Les controverses autour du port du burkini mettent aujourd'hui les principes fondateurs de la république et de la démocratie à l'épreuve, estime l'économiste Jacques Sapir.
Le Conseil d’Etat vient donc de rendre un arrêt invalidant l’arrêté du maire de Villeneuve-Loubet qui «interdisait» le «burkini». Cet arrêté, parce qu’il était plus extensif que ceux pris dans d’autres municipalités, était plus vulnérable à un argument d’ordre juridique. Notons aussi que cet arrêté, parce qu’il faisait référence aux «bonnes mœurs et au principe de laïcité», ouvrait la porte à une contestation en justice, ce qui semble être moins le cas d’un arrêté pris pour un motif «d’ordre public». Ceci ne fait que confirmer ce que l’on avait noté dans un texte précédant, soit que l’argument de laïcité, dans la situation actuelle, ne pouvait être juridiquement invoqué pour une interdiction motivée du «burkini». Mais, l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat, qui précise que «À Villeneuve-Loubet, aucun élément ne permet de retenir que des risques de troubles à l’ordre public aient résulté de la tenue adoptée en vue de la baignade par certaines personnes. En l’absence de tels risques, le maire ne pouvait prendre une mesure interdisant l’accès à la plage et la baignade», soulève, à son tour, d’autres problèmes.
Le «burkini»ne correspond pas à une obligation explicite de l'islam, mais bien à une interprétation donnée par certaines personnes
«Burkini» et ordre public
Le «burkini» comme d’autres vêtements ne correspond pas à une obligation explicite d’une religion (ici l’islam), mais bien à une interprétation qui est donnée par certaines personnes se réclamant de cette religion. En invoquant, dans ses motifs, le «liberté de conscience», ne peut-on pas considérer que le Conseil d’Etat établit en une jurisprudence ce qui relève d’une religion, rôle qui – à l’évidence – ne saurait être le sien ? Au-delà de cette légitime interrogation, il convient tout d’abord de rappeler que la loi de 1905, dans sa formulation actuelle, stipule bien que le «libre exercice des cultes» se fait sous réserve de «l’intérêt de l’ordre public». Il est intéressant ici de rappeler les divers articles de la loi :
«Article 1 . La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.»
Ou encore :
«Article 25. Les réunions pour la célébration d’un culte tenues dans les locaux appartenant à une association cultuelle ou mis à sa disposition sont publiques. Elles sont dispensées des formalités de l’article 8 de la loi du 30 juin 1881, mais restent placéessous la surveillance des autorités dans l’intérêt de l’ordre public.»
Si la municipalité de Villeneuve-Loubet voulait ré-intervenir sur cette question, elle devrait le faire pour un temps limité et en précisant que l’arrêté est pris pour des motifs d’ordre public, motifs qui devraient être explicités. C’est d’ailleurs ce que firent les maires de Cannes ou de Sisco. Il faut noter que le maire de Sisco entend maintenir son arrêté.
On peut penser que la question posée par le «burkini» va au-delà, qu’elle implique un regard et une lecture du rôle des femmes dans la société. Mais, aujourd’hui, en l’état du droit, c’est bien le motif dit «d’ordre public» qui doit être utilisé, en attendant que le législateur ne se penche sur la question, et considère que ce qui n’est qu’un vêtement «coutumier» est bien contradictoire avec l’article 1 du préambule de la Constitution.
La discussion sur les mosquées dites «salafistes», voire l’idée d’interdire le «salafisme», est largement sans objet
L’arsenal légal existant
Mais, une lecture attentive de la loi de 1905 révèle aussi que la discussion sur les mosquées dites «salafistes», voire l’idée d’interdire le «salafisme» (qui est loin d’être le seul à poser problème), est largement sans objet. Le respect strict des articles de la loi de 1905 couvre la quasi-totalité des cas de figure. Tout d’abord, en ce qui concerne la tenue de discours politiques de haines ou pro-djihadiste, nous avons l’article 26 :
«Article 26 : Il est interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l’exercice d’un culte.»
De même en ce qui concerne les «prières de rue», le point est traité par l’article 27.
«Article 27 Modifié par Loi n° 96-142 du 21 février 1996 (V) : Les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures d’un culte, sont réglées en conformité de l’article L2212-2 du code général des collectivités territoriales. [...]»
Enfin, le cas des «prêcheurs de haine», autrement dit de personnes se réclamant de l’exercice du culte pour tenir des propos haineux ou diffamatoires envers quiconque (et les femmes ou les minorités sexuelles sont à l’évidence concernées), on conseille la lecture de l’article 34 :
«Article 34 Modifié par Ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000 – art. 1 (V)
Tout ministre d’un culte qui, dans les lieux où s’exerce ce culte, aura publiquement par des discours prononcés, des lectures faites, des écrits distribués ou des affiches apposées, outragé ou diffamé un citoyen chargé d’un service public, sera puni d’une amende de 3 750 euros et d’un emprisonnement d’un an, ou de l’une de ces deux peines seulement. La vérité du fait diffamatoire, mais seulement s’il est relatif aux fonctions, pourra être établi devant le tribunal correctionnel dans les formes prévues par l’article 52 de la loi du 29 juillet 1881. Les prescriptions édictées par l’article 65 de la même loi s’appliquent aux délits du présent article et de l’article qui suit.»
L’ensemble de l’arsenal légal est d’ores et déjà présent
De même, la provocation, ou l’appel à provocation, quand il est le fait d’un religieux ou qu’il se produit sur un lieux de culte, tombe sous le coup de la loi, ainsi que le précise l’article 35 de la loi de 1905 :
«Article 35 : Si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile».
On pourrait durcir les peines, les accompagner d’interdiction du territoire, mais l’ensemble de l’arsenal légal est d’ores et déjà présent.
Les avocats qui ont cru défendre la «liberté individuelle» ont été instrumentalisés dans un combat où ils se sont fait les alliés de personnes qui en réalité haïssent ces libertés individuelles.
Un rappel à droite comme à «gauche»
Il n’est donc pas nécessaire, et par conséquence pas souhaitable, d’entrer dans une spirale législative, sauf pour préciser les conditions d’applications de l’article 1 du Préambule de la Constitution, Les déclarations des élus des «Républicains» qui se sont lancés dans une aveugle surenchère sur ce point sont à dénoncer. Mais, nous ne devons pas être naïfs et ignorer que les principes fondateurs de la république et de la démocratie sont aujourd’hui testés. Ils sont testés non pas tant par une idéologie qui cherche à confondre la cité de Dieu et la cité des hommes (vulgo : les courants salafistes et autres) que par une idéologie qui entend fonder sur la religion un projet politique séparé, aboutissant à terme à la négation du principe républicains qui veut que nul ne puisse être défini par sa religion ou son orientation sexuelle. De ce point de vue les avocats qui ont cru défendre la «liberté individuelle» ont été instrumentalisés dans un combat où ils se sont fait les alliés de personnes qui en réalité haïssent ces libertés individuelles.
Cette question est révélatrice d’un problème politique, et c’est politiquement qu’il faut la traiter.
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