Maxime Bernier s'est lancé en politique fédérale pour défendre les champs de compétences... des provinces! Ce champion des valeurs beauceronnes sera-t-il l'arme secrète des conservateurs au Québec?
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À Ottawa, on l’appelle «l’Albertain du Québec». Comme ses collègues conservateurs de la province du pétrole, il préfère ses gouvernements minces. Et la majorité écrasante avec laquelle il a été élu lui donne les moyens de le faire savoir. Ce n’est pas tout. Il partage aussi la position de la majorité des Albertains sur le mariage gai: il est contre.
Ce n’est cependant pas vraiment pour cela que l’on parle tant de Maxime Bernier depuis sa nomination, en février dernier, au poste de ministre de l’Industrie au sein du cabinet de Stephen Harper. Il s’est rapidement fait remarquer, tant dans la capitale fédérale que dans la capitale financière du pays, avec un discours prônant une révision en profondeur des subventions aux entreprises et de la réglementation touchant ces dernières. Il est passé aux actes sans attendre en réduisant l’aide accordée à l’industrie aérospatiale et en abolissant les règles qui empêchaient Bell Canada de concurrencer Vidéotron sur les prix des services de téléphonie locale. Bernier insiste pour dire que le consommateur en sortira gagnant, même si cette décision favorisera à court terme les anciens monopoles, tels Bell et Telus. Les sceptiques restent… sceptiques. En tout cas, ce n’est qu’un avant-goût de la réforme que Maxime Bernier dit vouloir effectuer et dont les consommateurs seraient le centre, quitte pour cela à ouvrir le secteur canadien des télécommunications aux investisseurs étrangers. Un tel changement faciliterait la percée au Canada de fournisseurs américains, comme Verizon et Cingular, et pourrait même entraîner l’achat de Bell, de Telus ou de Vidéotron par un concurrent étranger.
Décidément, pour un novice en politique, Maxime Bernier fait beaucoup de vagues. Il semble avoir les coudées plus franches que la plupart de ses collègues du Conseil des ministres — qui demeurent peu connus des Canadiens tant le cabinet du premier ministre les empêche de parler. C’est que les stratèges de Stephen Harper estiment qu’il incarne parfaitement l’image que veulent projeter les conservateurs au Québec.
Ce Beauceron de 44 ans, divorcé, grand, élégant, bouillonnant d’énergie et plutôt nationaliste pourrait être l’arme secrète du parti aux prochaines élections. Michael Fortier, l’avocat et banquier montréalais devenu sénateur et membre du Cabinet, a beau demeurer le principal architecte de la stratégie conservatrice au Québec, on n’a qu’à jeter un coup d’œil sur la presse régionale pour voir le rôle clé que réservent les conservateurs à Maxime Bernier.
La logique du message envoyé aux électeurs pourrait ressembler à ceci. Entre un Bloc québécois condamné à l’opposition et des conservateurs de la trempe de Bernier, les Québécois préféreront l’action qu’incarnent ces derniers. Et entre les libéraux de Stéphane Dion, plutôt froids à l’égard des revendications du Québec sur le déséquilibre fiscal, et un Bernier, dont c’est la principale raison d’être en politique, les Québécois se rangeront du côté des conservateurs. Reste à voir si les électeurs verront cette logique. Dans la région montréalaise, les politiques conservatrices sur l’environnement et le mariage gai alimentent l’opposition. Mais les régions semblent un terrain plus fertile pour le discours des conservateurs. Et d’aucuns parmi ceux-ci considèrent avoir trouvé en Maxime Bernier le porte-étendard parfait.
Presque un an après son élection en Beauce avec la plus forte majorité au pays à l’exception de l’Alberta — 26 000 votes de plus que son plus proche rival —, Maxime Bernier fait toujours du porte-à-porte dans sa circonscription une fin de semaine sur deux. Pas seulement à cause de la situation minoritaire de son gouvernement ou en prévision des prochaines élections. Il s’agit d’une occasion pour les citoyens de la Beauce de lui parler, tant des grands enjeux nationaux que de leurs préoccupations personnelles. «Ça me permet d’être en contact avec la population et de bien la représenter à Ottawa. Je n’ai pas besoin de lire des sondages pour savoir ce qui se passe, dit-il. Je n’ai pas fait de promesses locales durant la dernière campagne. J’ai dit que j’allais défendre les valeurs beauceronnes — la responsabilité individuelle, la liberté individuelle, l’intégrité et le libre marché.» Et, devrait-il ajouter, la définition traditionnelle du mariage.
Maxime Bernier dit simplement respecter la volonté de ses électeurs en s’opposant au mariage entre conjoints de même sexe. Il est l’un des rares députés québécois à avoir voté, en décembre 2006, en faveur de la réouverture du débat sur le mariage gai — légalisé par le gouvernement de Paul Martin en 2005. La motion fut rejetée par un vote de 175 voix contre 123.
Aidé par la débandade des libéraux de Paul Martin et par la bonne réputation de son père, Gilles — qui a fait de la Beauce un fief conservateur dans les années Mulroney —, Maxime Bernier a connu une élection quasiment gagnée d’avance. Qu’il se porte candidat n’était pas aussi prévisible. Du moins si l’on en croit le principal intéressé.
À la recherche de recrues québécoises, en 2005, Stephen Harper — dont le parti récoltait à peine 10% des intentions de vote dans les sondages au Québec — a demandé à Gilles Bernier d’effectuer un retour en politique. Celui-ci, alors âgé de 70 ans, a décliné l’invitation et a suggéré au chef conservateur de parler plutôt à son fils.
Vice-président à la Standard Life, Maxime Bernier n’avait pas fait campagne depuis 1988, année où, étudiant en droit à Université d’Ottawa, il a attrapé le virus de la politique. La campagne électorale se déroulait alors en plein débat sur l’accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Ayant obtenu un diplôme d’administration à l’Université du Québec à Montréal et étudié la théorie économique sur le libre-échange, Bernier se sentait bien armé pour expliquer l’entente. Membre du bureau de direction de l’association étudiante, il a invité un certain Bernard Landry à venir défendre l’accord auprès des étudiants sceptiques. Il rédigeait par ailleurs des discours pour les ministres québécois de Mulroney et faisait campagne aux côtés de son père en Beauce. «Je connaissais le dossier à fond. Je connaissais même des clauses de l’accord par cœur, rappelle-t-il. C’était un beau débat — un débat d’idées.»
Une fois l’élection gagnée, Maxime Bernier a rangé ses pancartes partisanes. Pour de bon, pensait-il. S’intéressant davantage au débat d’idées dans le calme des salles de conseils d’administration que dans la marmite politique, il se dirige vers une carrière d’administrateur spécialisé dans les affaires. Il est à la Commission des valeurs mobilières du Québec, en 1996, lorsque Bernard Landry, devenu ministre des Finances dans le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard, le recrute. Bernier le conseille sur une réforme des organismes de réglementation des institutions financières — réforme qui mènera à la création de l’Autorité des marchés financiers.
Sa présence dans le cabinet d’un ministre clé d’un gouvernement souverainiste équivaudrait-il à un engagement de sa part pour la cause? «J’ai donné de l’argent au Parti québécois. Est-ce qu’ils m’ont remis une carte de membre? Je ne pense pas», se borne-t-il à dire. Le Parti québécois ne dévoile pas sa liste de membres, anciens ou actuels. Et si des ex-collègues disent avoir présumé, à l’époque, que les sympathies souverainistes de Bernier allaient de soi, ils concèdent que la fonction qu’il occupait auprès de Bernard Landry ne touchait pas la question nationale. Le père de Maxime Bernier, ancien ambassadeur du Canada en Haïti et aujourd’hui vice-président aux relations publiques du Groupe Canam à Saint-Georges de Beauce, nie catégoriquement que son fils ait flirté avec la cause souverainiste. «Il est nationaliste — comme moi, comme les Beaucerons… Mais nous sommes de bons amis de Mario Dumont et de Jean Charest. On n’est pas du tout péquistes ou séparatistes.» Et le principal intéressé dit avoir voté non au référendum de 1995.
Quoi qu’il en soit, s’il avait des affinités souverainistes, Maxime Bernier se serait senti un peu à l’étroit dans les programmes interventionnistes du PQ et du Bloc. Il a participé à la création, en 1999, de l’Institut économique de Montréal (IEDM), à l’invitation de son ami Michel Kelly-Gagnon, aujourd’hui président du Conseil du patronat du Québec. L’IEDM est le premier véritable groupe de réflexion de droite au Québec.
Maxime Bernier profite de son association avec l’IEDM, d’abord comme membre du conseil d’administration et ensuite en tant que vice-président, pour faire connaître la pensée de son idole, l’économiste français Frédéric Bastiat (1801-1850), et sa Pétition des fabricants des chandelles. Cette satire contre le protectionnisme tourne en ridicule les revendications d’un groupe d’intérêts fictif, qui cherche à se protéger de «la compétition ruineuse d’un rival étranger» fournissant sa lumière à des prix trop bas — il s’agit bien sûr du soleil. Maxime Bernier, comme Bastiat, considère que la meilleure politique économique est celle qui favorise les consommateurs, et non les producteurs. Sa remise en question des lois actuelles interdisant aux non-Canadiens de devenir actionnaires majoritaires d’une entreprise canadienne de télécommunications découle de ce principe.
En 2003, Maxime Bernier publie Pour un taux unique d’imposition (Varia), essai économique préconisant que tout contribuable paie le même pourcentage d’impôts sans égard à son revenu. Qu’il gagne 10 000 dollars ou 100 000 dollars, il devrait, selon Bernier, envoyer la même proportion de son salaire à l’État. Le système à taux unique, adopté en Alberta et dans une poignée d’États américains, fut brièvement l’une des politiques de l’Action démocratique du Québec. Le parti a cependant décidé de ne pas l’inclure dans sa plate-forme électorale en 2003.
Maxime Bernier ne se laisse pas décourager. Il continue plutôt de prêcher l’idée dans des notes économiques publiées par l’IEDM. Le système d’imposition actuellement en vigueur au Québec, fortement progressif, repose sur la théorie de «l’utilité marginale décroissante», selon laquelle un dollar supplémentaire dans la poche d’une personne riche vaut moins qu’un dollar dans la poche d’un pauvre. Or, peut-on lire dans une étude de l’IEDM datant de 2004, «il est impossible de comparer l’utilité marginale d’une somme d’argent entre individus, puisque le concept économique d’utilité réfère à un phénomène de satisfaction subjective propre à chacun… Par conséquent, affirmer que la progressivité des taux d’imposition permet d’assurer l’égalité des sacrifices entre les citoyens relève du mythe et n’a aucun fondement scientifique: on ne peut mesurer ni comparer les sacrifices faits par différents individus.»
«Je ne suis pas entré en politique pour défendre cette idée-là, précise Maxime Bernier aujourd’hui. La première raison pour laquelle je suis en politique est bien simple: le dossier constitutionnel. On veut un gouvernement central fort, mais fort dans ses champs de compétence et qui ne s’ingère pas dans ceux des provinces, qui respecte la Constitution telle que les pères de la Confédération l’ont signée.»
Bernier s’inscrit ainsi dans la lignée des «bleus» typiques d’autrefois, qu’incarnaient l’Union nationale et le Crédit social. L’ex-chef de cette dernière formation, Fabien Roy — celui-là même qui a fait tomber le gouvernement minoritaire du progressiste-conservateur Joe Clark, en 1979 —, s’est d’ailleurs publiquement réjoui de l’élection de Bernier en janvier dernier.
Maxime Bernier a fait valoir ses idées à Stephen Harper lorsque ce dernier lui a téléphoné pour la première fois, en 2005. Il a été surpris de trouver une oreille aussi attentive. Les deux hommes ont dîné ensemble à Montréal quelques jours plus tard. «Je lui ai donné quelques conseils par rapport à la position que les conservateurs devaient adopter au Québec pour la prochaine campagne électorale, rappelle Bernier. Je lui ai dit que c’était important pour moi de régler le déséquilibre fiscal et de respecter les champs de compétences des provinces. Mais je n’avais jamais pensé faire de la politique active.»
D’aucuns doutent qu’il ait été difficile de le convaincre. «Lui, c’est un mordu de la politique. Ah! ça, je le sais», insiste Isabelle Hudon, présidente de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain et fille de l’ancien député conservateur Jean-Guy Hudon. «Je connais très bien Maxime, parce que mon père a été député avec le sien.»
Lorsque Stephen Harper a prononcé son fameux discours du 19 décembre 2005, à Québec, dans lequel il s’est engagé formellement à s’attaquer au déséquilibre fiscal entre Ottawa et les provinces, certains ont reconnu dans ses propos l’influence de son candidat dans la circonscription de Beauce. Ce discours fut le moment décisif de la campagne, permettant aux conservateurs de faire une percée québécoise et de dépasser les libéraux en nombre de sièges afin de former un gouvernement minoritaire.
Maxime Bernier a été tout de suite projeté sous les feux de la rampe. À la différence de quelques-uns de ses pairs au Cabinet, il n’a pas déçu son patron. Les gens sont généralement impressionnés par la clarté de son discours et l’élégance avec laquelle il le communique. «Maxime est un type qui peut, en très peu de temps, décortiquer un problème et l’expliquer. Il veut convaincre par des arguments, soutient son père, Gilles. C’est sûr qu’il n’est pas à gauche.»
Il reste à voir si Maxime Bernier sera capable de faire preuve de souplesse, condition sine qua non de la longévité politique. Certes, son emprise sur la circonscription de Beauce semble assurée pour les prochaines élections. Mais Bernier représente un courant politique, celui de la droite dite de marché — la droite économique, par opposition à la droite religieuse —, qui demeure marginal au Québec. Si certains trouvent rafraîchissante sa franchise, ils le mettent en garde contre l’oubli du rôle que l’État doit continuer de jouer dans le développement économique. «C’est sûr que le milieu des affaires est beaucoup plus favorable à une idéologie de libre marché qu’à l’étatisme, explique Isabelle Hudon. Sauf qu’à Montréal on sait qu’un petit côté interventionniste nous a bien servis. C’est une question de dosage. Maxime est capable de penser comme ça. Il n’est pas campé à 150% sur ses positions.»
La preuve: il s’est engagé — sur l’insistance d’un Michael Fortier soucieux de gagner des appuis dans la région montréalaise — à respecter la lettre d’entente signée par l’ancien gouvernement libéral avec Bombardier. Selon cette entente, Ottawa investira 260 millions de dollars américains si Bombardier se lance dans sa série C, son projet d’avion de 130 places. En revanche, on se demande s’il ne le fait pas contre son gré. On a beaucoup remarqué l’absence sur place de Maxime Bernier lorsque Michael Fortier a annoncé une aide de 350 millions de dollars à Pratt & Whitney Canada, à Longueuil, en décembre dernier. Qui plus est, Bernier promet en même temps de revoir de fond en comble, et peut-être même d’abolir, le programme Partenariat technologique Canada (PTC), qui a permis à de nombreuses sociétés aéronautiques ou de haute technologie de mettre au point de nouveaux produits au Canada. Son budget annuel de 300 millions a déjà été réduit de 42 millions. L’industrie somme le gouvernement de ne pas abolir le programme. Le sort de PTC démontrera jusqu’à quel point Maxime Bernier est prêt à faire des compromis. À moins que son patron ne lui demande d’occuper d’autres fonctions avant qu’une décision soit prise à propos de PTC. Une rumeur voulant qu’un prochain remaniement ministériel envoie Bernier à l’Environnement, pour remplacer une Rona Ambrose en panne, remplissait les BlackBerry de la capitale fédérale à la veille de la relâche parlementaire, en décembre.
Quel que soit le bureau qu’occupera Bernier à Ottawa, il pourra profiter de la webcaméra qu’il y aura installée pour que ses filles, âgées de sept et quatre ans, puissent lui montrer leurs nouveaux souliers ou lui demander de les aider dans leurs devoirs. Il leur a donné une carte du Canada pour qu’elles puissent le suivre dans ses déplacements. «La fin de semaine où je les vois, je vais les chercher à 15 h 30 le vendredi et mon BlackBerry reste fermé jusqu’au dimanche soir.»
Il a choisi d’inscrire ses filles à l’école privée anglophone Miss Edgar’s and Miss Cramp’s, à Westmount. «Je veux que mes enfants soient bilingues. Je ne veux pas qu’elles parlent l’anglais comme moi, c’est-à-dire avec un accent.»
Gageons que ce ne seront pas les idées économiques controversées de Maxime Bernier que les conservateurs mettront en relief au cours de la prochaine campagne électorale. Son image de père dévoué, de marathonien et de beau Beauceron prendra sans doute le dessus. Et parions que les Québécois trouveront plutôt sympathique leur Albertain honoraire.
L'Albertain du Québec
À Ottawa, on l’appelle «l’Albertain du Québec». Comme ses collègues conservateurs de la province du pétrole, il préfère ses gouvernements minces.
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