Affaire Maxime Bernier

La nouvelle droite et l'identité québécoise

Maxime Bernier - la loi 101 est inutile

L'appel de Maxime Bernier à la révocation de la loi 101 a ravivé les passions. Certains y ont vu une déclaration vouée à faire croître sa popularité au Canada anglais, où la Charte de la langue française a mauvaise réputation. D'autres se demandent pourquoi prendre au sérieux un député faisant de ses «déclarations controversées» une spécialité médiatique.
Pourtant, la déclaration de Bernier ne relève ni du calcul mesquin ni du «dérapage». Elle est plutôt symptomatique d'une contestation inédite de la loi 101, qui n'est plus réservée aux radicaux de la communauté anglophone, mais qui est désormais relayée chez les francophones par une frange particulière de la nouvelle droite.
Bernier n'est pas le sot qu'on dit, mais plutôt un politicien travaillant fort à défaire la plupart des consensus hérités de la Révolution tranquille. La logique derrière son raisonnement, on la connaît, il s'agit de la philosophie libertarienne fondée sur une vision minimaliste de l'État, le droit de choisir de l'individu devenant le seul horizon légitime de l'action publique.
La droite libertarienne s'est pendant un temps concentrée sur la critique socio-économique du modèle québécois, accusé d'entraver la prospérité. Sa condamnation du modèle québécois déborde désormais sur un autre aspect de l'héritage «étatiste» de la Révolution tranquille: les lois linguistiques. Ce rejet s'accompagne d'une disqualification plus généralisée de la question nationale.
Émancipation par l'anglais
La chose est révélatrice, car l'idéologie libertarienne dans son expression la plus populaire semble actuellement s'enraciner chez nous dans une pathologie singulière: le mépris de soi qui a longtemps représenté le côté sombre de la culture canadienne-française. Cette pathologie se réactive aujourd'hui à travers un désir d'américanisation, notamment repérable dans les radios de Québec, où la culture québécoise est généralement assimilée à la médiocrité.
C'est ce que j'ai appelé ailleurs «l'émancipation par l'anglais». On rêve de parler l'anglais «sans accent» (bien qu'on ne sache jamais où est parlé dans le monde cet anglais sans accent!) pour mieux masquer une origine québécoise ressentie comme honteuse et se dissoudre dans une culture que l'on croit supérieure. On rêve surtout d'une dissolution du particularisme historique québécois dans l'environnement nord-américain. Au mieux, on relativise la différence québécoise — au pire, on la dénigre. Dans aucun des deux cas on n'entend l'assumer et lui reconnaître une portée fondatrice.
La culture québécoise est présentée comme un cadre asphyxiant dont il faudrait s'affranchir. C'est ainsi qu'on peut comprendre les revendications de plus en plus pressantes pour la bilinguisation des jeunes générations. Le désir de s'angliciser est plus ou moins classé parmi les droits fondamentaux. Le libertarianisme recouvre ainsi un désir plus ou moins avoué de désaffiliation culturelle. La nouvelle droite finit par concurrencer la gauche multiculturelle dans la déconstruction de l'identité québécoise.
Défense du français
Cette expatriation mentale est pourtant porteuse d'un paradoxe. Car la nouvelle droite à laquelle se raccrochent les libertariens, sans en être la seule composante, retrouve à travers cette américanité revendiquée le vieux fond occidental de l'identité québécoise, occulté par la Révolution tranquille qui a souvent été tentée de réduire l'identité québécoise à sa seule dimension francophone. Ses leaders commencent ainsi à tenir un discours sur les «valeurs occidentales» du Québec, et à réhabiliter la question des «moeurs occidentales», évidemment tenue pour négligeable par le multiculturalisme ambiant pour qui le «vivre-ensemble» saurait se suffire des grands principes contenus dans les Chartes de droits.
La nouvelle droite s'essaye ainsi à la critique des accommodements raisonnables. Elle parvient par là à s'approprier une dimension de l'identité québécoise souvent négligée par ses défenseurs les plus officiels, associés à la mouvance souverainiste, qui font une fixation exclusive sur le français sans tenir compte du substrat historique dans lequel il s'enracine. On pourrait même dire que la nouvelle droite s'empare d'autant plus de la question des accommodements qu'elle abandonne celle de la défense du français.
On peut risquer une hypothèse forte: le discours identitaire propre à la nouvelle droite n'est peut-être que l'écho déformé d'une crise culturelle de plus en plus aisément repérable au sein même de la majorité francophone. Aujourd'hui, c'est moins l'anglais que le multiculturalisme qui inquiète les Québécois. C'est probablement pourquoi les questions liées à la laïcité, à l'héritage catholique et aux moeurs occidentales du Québec mobilisent davantage l'opinion que l'avenir du français.
Langue sans culture?
Il ne faut pourtant pas se faire d'illusion: le substrat occidental de l'identité québécoise auquel souhaite en revenir la nouvelle droite est indissociable du français, qui n'est pas qu'un «instrument de communication» parmi d'autres. Les Québécois ne sont ni Slovènes, ni Allemands, ni Américains. Tous sont pourtant des Occidentaux. C'est son caractère français qui particularise l'identité occidentale des Québécois et c'est sa défense qui caractérise la trame de notre histoire nationale dans ses dimensions les plus profondes.
Dissociés, la langue française et le substrat occidental de l'identité québécoise s'appauvriront respectivement. La langue sans culture n'a pas plus d'avenir que la culture sans la langue. Si cette tendance se confirme, on peut aisément prévoir le résultat. Le Québec deviendrait un no man's land identitaire progressivement déserté par un nombre croissant de ses citoyens ne voulant plus évoluer dans une société culturellement anémiée, ayant renié une fois de trop ses héritages. Sans son identité francophone, le Québec deviendra un régionalisme anonyme parmi d'autres dans l'Amérique des marchés.


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