L’affaire Michaud à froid

Chez Pauline Marois, on semble pédaler dans la choucroute.

Affaire Michaud 2000-2011


C’est reparti. Dix ans après l’adoption, par l’Assemblée nationale, d’une motion condamnant des propos tenus par Yves Michaud, le Parti québécois et son chef sont à nouveau en émoi. Faut-il s’excuser (plusieurs députés l’ont fait), et si oui, comment ?

Pour certains, à l’extérieur du PQ, il s’agit d’une tempête dans le microcosme souverainiste. Pour d’autres, à l’intérieur du PQ, c’est une affaire de la plus haute importance. À Québec Solidaire, Amir Kadir est gauchement intervenu dans le dossier. Au PLQ, on raffole de ce débat qui met le PQ sur la défensive et ranime le spectre du “nationalisme ethnique”. Chez Pauline Marois, on semble pédaler dans la choucroute.
Mais l’affaire est importante. Elle va au cœur des rapports, pour l’instant troubles, entre nos élus et la liberté d’expression. Elle vaut la peine qu’on s’y arrête. Je tenterai, dans les paragraphes qui suivent, de mettre un peu d’ordre dans cet intense désordre. Comme d’habitude, il faut d’abord revenir aux faits et aux textes.
1) Les propos d’Yves Michaud
Voici l’extrait pertinent de ce qu’a dit M. Michaud, le 13 décembre 2000, lors des audiences publiques de la Commission des États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française:


Moi, j’habite à la lisière du Montréal français et du Montréal anglais, à Côte St-Luc, où, vous avez ça dans l’annexe en document, douze (12) circonscriptions [bureaux de vote], deux mille deux cent soixante-quinze (2 275) votants, aucun oui dans les douze (12) circonscriptions. Aucun oui, deux mille deux cent soixante-quinze (2 275) non. Il y a même pas un étudiant égaré qui a voté oui. Il y a même pas un aveugle qui s’est trompé, ou un mal-voyant. C’est l’intolérance zéro.
Il y a trois (3) explications à cela ou bien d’un vote comme celui-là, alors que les Québécois, eux, votent, exercent leur liberté démocratique, soixante – quarante (60-40) en faveur du oui, cinquante-cinq – quarante-cinq (55-45), là, c’est cent pour cent (100%) contre la souveraineté du peuple québécois. Je le répète, Côte St-Luc, vérifiez dans le rapport du directeur général des élections. Et c’est pas les seuls cas, hein. Je n’ai pas fait toute l’étude.[...]
Pourquoi ? Il y a trois (3) hypothèses quand ça arrive. Un, il y a un phénomène de rejet chez eux. Deux, il y a un phénomène de rejet et peut-être d’hostilité, peut-être de haine. Trois, ils ne nous ont pas compris.

Yves Michaud, citoyen québécois qui, alors, veut devenir candidat du PQ dans la circonscription de Mercier, a parfaitement le droit de tenir ces propos. Il se situe exactement dans son exercice de la liberté d’expression.
Ces propos, il faut le dire clairement, ne sont pas antisémites. (Bien qu’il soit légal de tenir des propos antisémites.) Cependant, ils concernent directement la communauté juive anglophone qui constitue le groupe principal habitant Côte Saint-Luc. Chacun sait (sauf, apparemment, Amir Khadir) que Côte Saint-Luc et Communauté juive anglophone sont quasi-synonymes.
Mais les juifs anglophones ne sont pas les seuls à voter dans Côte Saint-Luc. M. Michaud a donc raison d’utiliser le terme plus général “allophones” pour désigner ces électeurs.
Sur le fond, que dit-il ? Que les citoyens québécois habitant dans ces douze bureaux de scrutin, parce qu’ils se sont exprimés à 100% contre la souveraineté lors du référendum de 1995, sont coupables soit de “rejet”, soit de “rejet et hostilité”, soit d’incompréhension du message des souverainistes.
Cette opinion de M. Michaud est évidemment hautement discutable. Le projet souverainiste vise, fondamentalement, à donner aux francophones du Québec, minoritaires au Canada, un pays où ils deviendraient majoritaires. Les membres de la communauté anglophone vivent déjà dans un pays où ils sont majoritaires et il est parfaitement normal qu’ils votent massivement contre un projet qui les transformerait en minoritaires. De même, il est normal que des immigrants accueillis par le Canada se sentent, du moins dans un premier temps, loyaux envers leur pays d’accueil.
C’est pourquoi je suis extrêmement reconnaissant à la minorité d’anglos et d’allos qui, par intégration extrême, votent Oui lors des référendums québécois sur la souveraineté. (Et c’est pourquoi j’ai toujours considéré comme un piège idéologique le test imposé par les fédéralistes voulant que l’appui à la souveraineté ne soit légitime que si elle devient plus qu’anecdotique chez les non-francophones. C’est un non-sens sociologique et politique.)
J’use de mon droit à la liberté d’expression pour dire — comme j’ai déjà dit face-à-face à Yves Michaud lors d’une entrevue à Radio-Canada — que ces propos sont condamnables. Ils constituent un déni du droit démocratique de chaque citoyen de voter tel qu’il l’entend, selon son opinion et son intérêt.
La question de l’unanimité — 100% — de ces électeurs pose évidemment problème. Et il est vrai que nous avons des indices de pression forte, dans des milieux non-francophones en 1995, contre les individus qui s’aventuraient à penser voter Oui. Ces pressions sont, elles aussi, condamnables.
Mais au delà, pour suivre la logique de M. Michaud, il faudrait établir un taux en-deçà duquel le refus de voter Oui serait démocratiquement acceptable. Devrions-nous dire 72% ? Le taux de vote pour le Oui des francophones du centre de Montréal? Cela exclurait les quelques électeurs de l’ïle d’Anticosti. Ils ont voté Oui à 100%. Font-ils preuve d’intolérance ?
2) L’impact sur le débat politique
Au moment où il tient ces propos, M. Michaud ne pouvait ignorer leur impact politique. Avant le référendum, le regretté Pierre Bourgault avait usé d’un argument similaire (assimilant au “racisme” l’unanimité anti-souverainiste de certaines communautés) ce qui avait forcé Jacques Parizeau à ne plus l’utiliser comme conseiller, à mon plus grand regret.
Le soir du référendum, dans une déclaration tragique, pour lui et pour nous, M. Parizeau avait tenu les propos que l’on sait, segmentant Nous et Eux. L’impact fut terrible et mis les souverainistes sur la défensive sur la question identitaire pendant, exactement, 12 ans.
En reprenant cette rengaine devant les États Généraux, M. Michaud, personnalité souverainiste très en vue, mettait du gros sel sur cette plaie et rejetait le mouvement souverainiste sur la défensive, à son point le plus vulnérable.
Soyons clair: je ne conteste pas à Yves Michaud le droit de s’exprimer, ni le droit de causer un tort politique à son propre camp. Mais il faut reconnaître que c’est là l’impact, totalement prévisible, des paroles qu’il a prononcées.
3) Les libéraux sautent sur l’appât
Le lendemain 14 décembre les libéraux de Jean Charest, alors dans l’opposition, bondissent sur la déclaration d’Yves Michaud et proposent la motion sans préavis qui suit et qui :

“dénonce sans nuances, de façon claire et unanime, les propos inacceptables à l’égard des communautés ethniques et, en particulier, à l’égard de la communauté juive, tenus par Yves Michaud lors de la Commission des États généraux de la langue française à Montréal”

La motion est, à mon avis, correctement écrite. Le problème réside dans son existence même. Les libéraux de Jean Charest n’hésitent pas un instant, pour un gain politique, à transformer l’Assemblée nationale en “tribunal populaire” — précisément ce que M. Charest dénonce aujourd’hui.
Il y avait un précédent. Le 19 mars 1997, sur proposition de l’alors chef de l’opposition libérale Daniel Johnson, l’Assemblée avait voté à l’unanimité moins un (l’alors seul député de l’ADQ, Mario Dumont) une motion de blâme contre une émission de TVA fondée sur un livre du journaliste André Pratte (Le syndrome de Pinocchio), dont le thème central était l’utilisation du mensonge par les figures politiques.
La motion se lisait comme suit:

«Que les membres de cette Assemblée déplorent les propos, le thème et les procédés de l’émission Un jour à la fois diffusée au réseau TVA le 17 mars 1997, lesquels discréditaient l’ensemble des hommes et des femmes élus et candidats à tous les niveaux de gouvernement, scolaire et municipal, provincial et fédéral.»

J’étais présent lors de l’événement (mais j’avais démissionné avant l’affaire Michaud) et j’ai conseillé au Premier ministre Bouchard de refuser d’appuyer cette motion. Il me semblait, et il me semble toujours, absurde qu’une assemblée parlementaire donne, par un vote, son opinion sur des commentaires émis par des citoyens ou, a fortiori, par des journalistes. Faudrait-il aussi féliciter, par motion, une déclaration ou une émission remarquable ?
Il y a eu des suites. Deux fois, la Chambre des communes a sanctionné des propos de journalistes. Dans le cas des écrits stupides de la journaliste du Globe and Mail Jan Wong sur les liens entre la loi 101 et les tueries de Dawson et de Polytechnique puis, plus récemment, pour condamner l’article de Maclean’s sur la corruption au Québec. Deux cas, encore, inacceptables d’ingérence de l’institution politique dans l’exercice de la liberté d’expression.
Le principe est pourtant simple. Les Assemblées parlementaires sont les garantes des droits des citoyens. L’Assemblée nationale a voté la Charte québécoise des droits de la personnes, dont la liberté d’expression est un élément capital. Elle ne peut pas, ensuite, en tant qu’Assemblée, décerner des blâmes à tel ou tel citoyen qui exerce ce droit.
Comme député, comme ministre, comme premier ministre, chacun est libre de condamner tel ou tel propos. Et il n’y aurait eu rien de choquant à ce que Lucien Bouchard, de son pupitre, rabroue le souverainiste Yves Michaud. Il aurait également été dans son rôle de chef de parti s’il avait indiqué, ensuite, qu’il refuserait de signer le bulletin de candidature du fameux militant, si ce dernier ne rectifiait pas le tir.
Mais il fut effectivement, pour dire le moins, malhabile et, pour dire le plus, contraire à l’éthique démocratique, de tomber dans le piège posé par les libéraux et d’utiliser la motion parlementaire pour sanctionner les propos d’un citoyen.
Yves Michaud — et André Pratte — méritent donc réparation.
4) Des excuses, lesquelles ?
Le député de Québec Solidaire a déposé la semaine dernière la motion suivante:

« Que l’Assemblée reconnaisse avoir commis une erreur le 14 décembre 2000, en condamnant M. Yves Michaud, dont l’intervention aux États généraux de la langue française, la veille, ne comportait pas de propos offensants à l’égard de la communauté juive. »

Comme je l’ai indiqué plus haut, j’estime que les propos tenus étaient, de manière transparente, offensants à l’égard de la communauté juive. C’est une opinion. Mais en ciblant sa motion sur ce point, Amir Khadir embrouillait tout. La simple volonté de faire voter, par les Libéraux, une motion réparatrice envers Yves Michaud est, en soi, une erreur politique. Amir aurait voulu nuire au PQ, et à la cause souverainiste, qu’il n’aurait pas fait autrement. Partisan du bénéfice du doute, je préfère penser qu’il fut, en ce cas, gauche et… inefficace !
Pauline Marois, elle, a pris un autre biais, tout aussi critiquable. Dans une lettre envoyée au président de l’Assemblée, Yvon Vallières, elle propose:

un mécanisme qui, tout en préservant les droits et privilèges de l’Assemblée nationale à adopter toute motion ou ordre qu’elle juge nécessaire, permettra d’entendre toute personne ou organisme qui ferait l’objet d’une motion de blâme, et ce, avant que l’Assemblée nationale elle-même ne soit saisie d’une éventuelle motion.

Deux remarques.
D’abord, cela signifie que si un parti dépose une motion de blâme à l’Assemblée, le citoyen mis en cause serait convoqué pour s’expliquer avant que la motion ne soit mise au vote. Ce résultat serait ENCORE PIRE que la motion Michaud et la motion Pratte. Les deux pauvres citoyens auraient ainsi été traînés devant des élus alors réellement transformés en tribunal populaire. Ils auraient été sommés de s’expliquer ou de se rétracter, sous peine de motion de blâme des élus du peuple. De grâce, Mme la Chef de l’opposition, éloignez ce calice.
Ensuite, on sent que la proposition Marois exprime la volonté de ne réduire en aucun cas la souveraineté de l’Assemblée. Souci légitime mais qui, en l’espèce, est superflu. Admettons que l’Assemblée adopte une règle d’usage générale lui interdisant de sanctionner un citoyen usant de sa liberté d’expression. Supposons ensuite un cas extrême : un scientifique québécois de renom gagne le Prix Nobel et, lors de son allocution solennelle à Stockholm, affirme que le chef du gouvernement québécois est un transsexuel nazi à la solde de la Chine. L’Assemblée, qui est souveraine. pourrait affirmer que, nonobstant son règlement, elle tient à dénoncer ces propos mensongers. La règle générale tiendrait lieu de frein. L’exception permettrait l’exceptionnel.
5) Et pour tout de suite, que faire ?
Yves Michaud et moi sommes d’accord sur un point (en fait, sur plusieurs, mais, en l’espèce, sur un point): Il ne sert à rien de tenter de faire voter quoi que ce soit par l’Assemblée nationale actuelle. Les Libéraux ne demandent qu’une occasion pour renverser les tables et faire le procès du PQ.
Je comprends aussi que plusieurs députés péquistes estiment toujours, à bon droit, que les propos tenus il y a 10 ans par M. Michaud sont critiquables et ne veulent pas s’excuser de les avoir critiqués.
Il me semble cependant que les députés péquistes ayant voté la motion de décembre 2000 et siégeant toujours pourraient très bien envoyer une missive publique à M. Michaud indiquant que:

Quelle que soit l’opinion qu’on puisse avoir sur les propos que vous avez tenus il y a dix ans, il nous apparaît clair, avec le recul, qu’il n’appartenait pas à l’Assemblée nationale d’en être saisie, en tant qu’institution. Nous regrettons aujourd’hui avoir participé à un vote dont l’impact fut disproportionné eu égard, d’une part, aux propos tenus et, d’autre part, à votre importante contribution à la société québécoise et au mouvement souverainiste, contribution que nous tenons à saluer ici. Nous comptons faire en sorte que le type de motion dont vous avez été malheureusement victime ne soit plus utilisée par l’Assemblée nationale que dans des cas exceptionnel et, jamais, sans préavis.

Squared

Jean-François Lisée296 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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