L'écrivain Ti-Jean Kérouac peut être considéré comme l'un des fleurons de la nation canadienne-française qui a essaimé partout au Canada et aux États-Unis.
Il est né et a été baptisé « Jean-Louis Kirouac ». On l'appelait Ti-Jean à la maison. Mais comme en anglais Jean est un prénom féminin qui pouvait porter à confusion, il a dû en changer pour Jack, grandissant dans sa famille établie à Lowell, Massachusetts, exilée comme tant d'autres pour y trouver du travail dans les usines, une ville possédant une communauté canadienne-française notable. Et "Jack" rimait bien avec "Kérouac".
C'était l'heureuse époque des Ti-Jean, Ti-Pierre, Ti-Claude, Ti-Jacques, Ti-Clin, lorsque le prénom était monosyllabique.
Les Kérouac (tout comme les Lévesque du côté maternel) étaient originaires du Bas-Saint-Laurent. À quand une statue de bronze à son effigie sur le bord du fleuve, comme l'a suggéré l'auteur David Goudreault?
La maison natale de Jack Kérouac, à Lowell.
Avant 6 ans et le début de l'école, Jean ne parlait que français à la maison et avec les autres enfants du quartier. C'est sa langue maternelle, la langue qui le reliait à sa famille, la langue qui a structuré ses toutes premières pensées. Il a continué à parler français avec sa mère et les gens de son quartier toute sa vie chaque fois qu'il retournait chez lui.
Pour célébrer le centenaire de sa naissance (1922-1969), on peut consulter avec intérêt un recueil de ses écrits rédigés directement en français, La vie est d'hommage, plus volumineux qu'on aurait pu le croire, et s'étendant tout au long de de sa vie. Il y a tout plein de choses qu'il tenait à exprimer qui continuaient à lui venir spontanément ainsi, comme si c'était de cette façon que se traduisait le mieux sa pensée, comme si c'était de cette manière que les idées créatrices nouvelles faisaient parfois irruption dans son esprit.
Pour quelqu'un comme moi qui ai grandi dans le quartier Limoilou de Québec, à l'époque où c'était un quartier de jeunes familles de classe ouvrière, Kirouac était un patronyme familier. Il y avait sur la troisième avenue un magasin 5-10-15 comme on les appelait, avec une impressionnante enseigne panoramique portant le nom de Kirouac, avec des vitrines garnies de jouets devant lesquelles s'agglutinaient les enfants. Il existe encore des dizaines de Kirouac dans la région de Québec.
Son œuvre la plus célèbre, Sur la route (1958), a fait le tour du monde comme lui-même a sillonné l'Amérique de part en part. C'est le livre de la découverte du monde à l'aube de l'âge adulte, le livre du premier périple en solo, ou à deux, ami ou blonde.
Récemment, j'écoutais une entrevue du troubadour-poète écossais Donovan Leitch qui citait Sur la route comme étant le Saint Graal de sa jeunesse. L'influence de l'oeuvre est universelle et son attrait particulier se renouvelle à chaque génération auprès des jeunes. C'est un récit de passage à l’âge adulte vers l'autonomie personnelle, la prise en charge de sa destinée à travers le voyage, les nouvelles expériences, l'aventure, les rencontres, le questionnement de la spiritualité, la quête du sens à donner à sa vie, la conquête de soi.
Les amateurs du genre poursuivront l'exploration de cet univers d'errance libre de toute attache et fourmillant de rencontres fortuites avec Les clochards célestes (1958).
La célèbre entrevue télévisée devenue mythique accordée en 1967 à François Séguin au Sel de la semaine nous le rend si attachant, humain et sans prétention. Une chose qui me frappe et m'émeut particulièrement, c'est de l'entendre s'exprimer avec le savoureux accent et le vocabulaire de nos pères et grands-parents dans une langue apprise uniquement par transmission orale, comme les contes et les chansons traditionnelles qui ont traversé le temps.
Photo: la famille Soucy rencontrée par Jack Kérouac lors de son dernier voyage dans le Bas-Saint-Laurent.
Et n'allez surtout pas croire que le français serait une langue qu'il a peu à peu oubliée et délaissée. Pas du tout, il a su la garder vivante en lui, par attachement à ses racines, parce que c'est important de conserver ses racines, parce que c'était une part importante de qui il était en tant que personne.
À preuve, il a écrit:
« Je suis Canadien français mis au monde à New England. Quand je suis fâché, je sacre souvent en français. Quand je dors, je rêve souvent en français. Quand je braille, je braille toujours en français. »
— Une citation de Jack Kérouac, extrait de La nuit est ma femme (texte rédigé en français)
Source : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/694165/serie-et-livre-sur-jack-kerouac
Tout au long de son existence -et on le découvre dans La vie est d'hommage, le recueil réunissant plus d'une quinzaine de textes écrits directement en français, Jack Kérouac restera obsédé par sa langue originelle. Il écrira même ces mots étonnants: «La langue canadienne-française est la plus puissante au monde. C'est de valeur qu'on peut pas l'étudier au collège, car c'est une des langues les plus "langagées" du monde. Elle est non-écrite; elle est la langue de la parole et non de la plume. Elle a grandi des vies des Français venus en Amérique. Elle est formidable, elle est grandiose, cette langue.»
Source : https://www.lapresse.ca/arts/livres/201604/11/01-4969896-jack-kerouac-ecrivain-bilingue.php
Autrement dit, Jack Kérouac est resté Canadien-français au plus profond de lui-même. Et il y tenait, à cette identité que nous partageons avec lui. Elle ne s'est jamais effacée ni perdue.
Jack Kérouac est toujours resté l'un des nôtres. Il n'a jamais oublié ni renié ses origines.
Photo: le rouleau tapuscrit original de Sur la route
Honorons sa mémoire et son oeuvre à la portée universelle.
Salut à toi, Ti-Jean!
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