CRISE ÉCONOMIQUE

Hyperinflation : un fléau qui taraude à nouveau les esprits

Aujourd’hui le Liban, demain l’Occident

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Chronique de Rémi Hugues

Les plans de soutien à l’économie lancés par la Banque centrale européenne de Christine Lagarde à partir de la crise du Covid-19, qui poursuivent la politique d’assouplissement monétaire lancée en mars 2015, sont en train de provoquer une flambée des prix. Les grands médias rendent compte sans relâche depuis quelques jours de l’accélération de l’inflation, cela n’aura échappé à personne.


Le 17 décembre 2020 la Commission finalisait son programme appelé « NextGenerationEU » qui prévoit d’injecter pas moins de 2 018 milliards d’euros (en prix courants ; il s’élève à 1 800 milliards aux prix de 2018) dans l’économie de pays de l’Union européenne. Une somme absolument considérable qui ne peut être obtenue qu’en faisant fonctionner à plein la planche à billets.


Voici ce qu’écrivait Pierre Mendès France le 6 juin 1945 dans sa lettre de démission du poste de ministre de l’Économie nationale, et sur quoi nos dirigeants politiques devraient méditer : « l’inflation gorge les spéculateurs d’une hausse constante et assurée, les enrichit automatiquement […] ; mais ne voit-on pas qu’ils sont les seuls bénéficiaires et les principaux soutiens de la politique de faiblesse à laquelle on reste malheureusement attaché... Or, j’y reviens, distribuer de l’argent à tout le monde sans en reprendre à personne, c’est entretenir un mirage […]. C’est la solution commode immédiatement. Il est plus facile de consentir des satisfactions nominales que d’accorder des satisfactions réelles, plus facile de profiter de l’illusion des gens qui réclament des billets […]. Mais plus on accorde de satisfactions nominales, moins on peut donner de satisfactions réelles. »1


 


Or les commentateurs (journalistes, économistes, politiques) se bornent à expliquer que l’inflation constatée actuellement est surtout due à la hausse des coûts d’approvisionnement, les échanges ainsi que la production industrielle ayant été entravés par les confinements successifs. Marc Nouschi et Régis Bénichi notent sur ce point : « explication commode et qui a beaucoup servi : l’inflation, c’est la faute des autres »2.


Certes la pandémie cause une défaillance de l’offre, qui provoque « des inflations de pénurie »3. Mais les deux universitaires précisent qu’un tel phénomène « peut déclencher des inflations sectorielles »4. Alors que nous assistons là à une inflation rampante, généralisée.


Rappelons-nous de cette vieille leçon de Jean Bodin, qui inspira le chef de file des Chicago boys Milton Friedman, à qui l’on doit cette affirmation, pierre de faîte de l’approche monétariste : l’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire.


 


Stephen O’Brien, journaliste au Sunday Times, a rapporté le 12 septembre dernier, dans un article intitulé « L’hyperinflation menace les nouvelles écoles »5, que la construction de douze établissements scolaires irlandais a été annulée par les pouvoirs publics à cause de la hausse vertigineuse du coût des matériaux de construction.


Cette information est très inquiétante pour deux raisons. D’abord qu’un grand média ose prononcer un terme aussi fort, qui évoque la situation de la république de Weimar en 1923, ou celle actuelle du Venezuela et du Liban, insinue que c’est à un scénario chaotique d’explosion des prix auquel il faut se préparer. En outre parce que si un État n’est plus en capacité de faire fonctionner un système d’éducation de qualité – ce qui passe notamment par la construction d’écoles et l’entretien de celles existantes –, sa croissance de long terme est gravement mise en péril.


 


Le très libéral professeur d’économie à Harvard passé par le M.I.T. et Princeton Gregory Mankiw, peu enclin à vanter les mérites de l’endettement public à tout-va, fait remarquer ceci :


« Imaginons par exemple que le gouvernement s’attaque au déficit budgétaire en réduisant les crédits de l’instruction publique. Quand les jeunes d’aujourd’hui entreront dans la population active, leur fardeau fiscal sera moins lourd, car la dette nationale sera réduite par rapport à aujourd’hui. Mais si leur éducation scolaire a été de moindre qualité, leur productivité et leurs revenus seront inférieurs à ce qu’ils auraient pu être. La plupart des études considèrent que le rendement de l’instruction est élevé. La réduction du déficit budgétaire par des coupes sombres dans le budget de l’éducation pourrait très bien désavantager les générations futures au lieu de les aider. »6


Qu’un pays prospère comme l’Irlande, qui a su bien rebondir après avoir été sonné par la crise des subprimes, en arrive à être confronté à ce type de défaillance habituellement réservé aux pays du Sud, cela est particulièrement alarmant. Tant sur le plan démographique, avec l’immigration massive, que sur le plan économique, l’Europe est clairement en voie de tiers-mondisation.


 


Désormais les investisseurs s’attendent à ce que l’inflation soit un phénomène prédominant de la période à venir. Le 13 septembre, l’agence de presse Reuters a publié une dépêche signalant qu’une jauge clé mesurant les anticipations de l’inflation dans la zone euro est à son plus haut niveau depuis mi-2015. Son auteur, Dhara Ranasinghe, indique que cet indicateur extrêmement complexe, que seuls des experts en économétrie maîtrisent, et que la BCE surveille comme le lait sur le feu, vient d’atteindre 18 207 %7.


 


Maintenant que la crainte du retour en force de l’inflation est dans toutes les têtes, on peut s’attendre à ce que la confiance des investisseurs se détériore, ce qui pourrait occasionner un nouveau krach boursier, similaire à celui de mars 2020, dans les prochains mois. Krach peut-être cette fois venu de Chine, dont le secteur financier est extrêmement fragilisé par le possible défaut de paiement du géant de la construction Evergrande8.


Et, sur le plan social, ce retour de l’inflation pourrait amener à l’irruption de mouvements de protestation encore plus suivis et tendus que la révolte des Gilets jaunes. « L’inflation ruine la paix sociale et conduit toutes les catégories qui s’estiment lésées à revendiquer plus ou moins violemment »9, est-il indiqué dans l’ouvrage des agrégés d’économie Nouschi et Bénichi.


 


Les responsables politiques ainsi que les entreprises doivent alors calmer le jeu en accordant des augmentations des traitements et des salaires, ce qui a pour effet de renchérir le coût de la vie, eu égard au fait que les employeurs doivent répercuter ces augmentations sur leurs prix de vente de biens ou services.


Nul doute que la revalorisation automatique du SMIC de +2,2 % confirmée par la ministre du Travail Élisabeth Borne pour le 1er octobre prochain, que prévoit l’article L.3231-5 du Code du travail, annonce d’autres relèvements salariaux. Qu’on ne s’y trompe pas : si elles paraissent légitimes, ces augmentations ne feront que provoquer un effet boule-de-neige, hausses des prix et des salaires s’alimentant mutuellement. Nous voici empêtrés dans un guêpier duquel il est difficile de réchapper.


 


Certes un peu d’inflation peut être bénéfique pour relancer la machine économique. Le très rigoriste Antoine Pinay, dont les politiques d’austérité budgétaire sont vues comme des modèles du genre, l’admettait volontiers : « Tous les remèdes sont des poisons et tous les poisons des remèdes. L’inflation comme les autres. Le tout est de ne pas s’en servir à dose mortelle. Il faut ajuster les proportions convenablement. […] L’inflation à faible dose peut être une incitation à l’investissement et à l’activité économique »10.


Le problème, précisément, c’est que nos gouvernants ont dépassé les bornes. Nous avons déjà atteint l’au-delà du raisonnable, l’overdose, qui risque bel et bien de nous ruiner.


 


 


 


1Cité par Jacques Fauvet, La IVème République, Paris, Arthème Fayard, p. 178.


2La croissance au XIXème et XXème siècles. Histoire économique contemporaine, Paris, Ellipses, 1990, p. 172.


3Ibid., p. 170.


4Idem.


5https://www.thetimes.co.uk/article/hyperinflation-threat-to-new-schools-htj0b0957


6Principes de l’économie, Paris, Economica, 1998, p. 945.


7https://www.reuters.com/business/key-gauge-euro-zone-inflation-expectations-highest-since-mid-2015-2021-09-13/


8https://www.la-croix.com/Economie/Faillite-dEvergrande-crise-limmobilier-chinois-secoue-secteur-financier-2021-09-14-1201175473


9Nouschi, Bénichi, op. cit., p. 175.


10Cité par Nouschi, Bénichi, op. cit., p. 168.



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