COVID

Hausse marquée des prescriptions d’antidépresseurs chez les adolescentes

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Les conséquences sociales des mesures sanitaires


La consommation d’antidépresseurs a le vent dans les voiles en cette année pandémique, et elle frappe de plein fouet les filles de moins de 18 ans, dont le nombre d’utilisatrices a bondi de 15 % depuis la rentrée scolaire.


Selon les plus récentes données de la Régie de l’assurance-maladie du Québec (RAMQ) obtenues par Le Devoir, le nombre de mineures à qui ont été prescrits des antidépresseurs a commencé à croître de façon significative à la fin de l’été. En septembre, elles étaient déjà 11 % plus nombreuses à recevoir ces médicaments psychoactifs qu’à la même date en 2019, et jusqu’à 21 % de plus en décembre 2020, par rapport à 2019.


La hausse du nombre de jeunes femmes recevant des antidépresseurs depuis septembre est près de deux fois plus élevée que celle constatée depuis septembre dans la population générale (8,6 %), et le triple de l’augmentation notée chez les jeunes hommes (5,4 %).


La pandémie a mis à mal la santé mentale et le bien-être de bien des Québécois. Ils étaient près de 40 000 de plus à consommer cette classe de médicaments en décembre 2020 (411 114) comparativement à décembre 2019. Mais le phénomène s’est particulièrement intensifié chez les jeunes et chez les aînés, révèlent les fichiers de la RAMQ qui regroupent les usagers du régime public d’assurance médicaments, soit un peu moins de la moitié de la population.



Ces données traduisent la réalité vécue sur le terrain, assure le Dr Olivier Jamoulle, pédiatre et chef de la section de médecine de l’adolescence au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine.


« Les journées sont difficiles à l’hôpital, dit-il. On est plus qu’occupés. Ça déborde. C’est triste pour les jeunes. »


Cette consommation accrue d’antidépresseurs, « extrêmement préoccupante », découle selon lui des nombreux confinements vécus au cours de la dernière année. « L’addition des mesures sanitaires empêche les adolescents de refaire leurs activités sportives et de socialiser. L’école un jour sur deux, ça ne convient pas à beaucoup de monde. » Et pourquoi les filles sont plus touchées ? Parce qu’elles consultent davantage que les garçons, affirme ce spécialiste.


Avant même la pandémie, les troubles anxieux étaient en « nette progression » depuis quelques années, rappelle le médecin. Mais la pandémie a amplifié cette tendance de « façon impressionnante. » L’accès aux services psychologues est toujours restreint. « C’est saturé partout, au public ou au privé », signale le pédiatre. « On prescrit un antidépresseur parce que les tableaux sont tels que c’est un peu le dernier recours. »



Même avant la pandémie, les jeunes ne recevaient pas, la plupart du temps, les services [psychosociaux] dont ils avaient besoin en temps opportun. C’est pire maintenant.




Selon le Dr Jamoulle, il est « grand temps » que le gouvernement Legault permette aux adolescents d’aller chaque jour en présentiel à l’école et de renouer avec leurs activités sportives. « Ça presse ! » dit-il.


La Dre Annie Loiseau, psychiatre et présidente du comité enfants et adolescents à l’Association des médecins psychiatres du Québec, constate elle aussi « beaucoup plus de détresse » chez les jeunes depuis un an. À l’hôpital régional de Rimouski, où elle pratique, les demandes de consultations à l’urgence et en clinique externe sont en hausse.


« Est-ce une réelle augmentation de la prévalence des troubles mentaux, ou plus de la détresse psychosociale ? » soulève la psychiatre. Des jeunes peuvent souffrir de « symptômes anxieux ou dépressifs » sans être atteints d’un « trouble », insiste-t-elle.


« Même avant la pandémie, les jeunes ne recevaient pas, la plupart du temps, les services [psychosociaux] dont ils avaient besoin en temps opportun, rappelle la Dre Loiseau. C’est pire maintenant. »


Les effets de la pandémie vont se poursuivre « au-delà du déconfinement », ajoute-t-elle, et Québec doit investir dans les services en santé mentale pour les adolescents. À ce moment charnière de leur vie, les adolescents ont un grand besoin de s’identifier à leurs pairs, ajoute la psychiatre. « La vie sociale est super importante. Et là, on en a amputé une bonne partie. »


Des aînés plus médicamentés


Le nombre de consommateurs d’antidépresseurs chez les aînés a aussi gonflé de mois en mois à la RAMQ, avec 12 % d’utilisateurs de plus en décembre 2020 qu’en 2019.


Pour le Dr Quoc Dinh Nguyen, gériatre au CHUM, il est difficile de mesurer « l’effet pandémie » dans cette hausse, dont une partie découle du vieillissement de la population. « Mais on peut penser que les effets collatéraux du confinement ont eu un effet sur l’humeur générale des aînés, leur anxiété et sur certains comportements liés à la démence, augmentés par la perte de leur routine et la distanciation sociale », explique le gériatre.


La gérontopsychiatre Jessika Roy-Desruisseaux, professeure agrégée à l’Université de Sherbrooke, confirme le rôle joué par la pandémie dans l’augmentation des ordonnances. « L’isolement social est un facteur de risque de plusieurs problèmes, dont la dépression », dit-elle. Mais la prise d’antidépresseurs n’est pas une « solution idéale », à son avis, surtout quand certains aînés présentent un trouble d’adaptation, plutôt qu’une réelle dépression. Dans ces cas, la prise de médicaments n’est pas requise, d’autant plus que les antidépresseurs peuvent entraîner une perte d’appétit, des nausées et des problèmes gastro-intestinaux.


En Ontario, une étude a démontré que la prescription d’antidépresseurs a crû de façon significative chez les 80 000 aînés vivant en résidences durant la pandémie. Au Québec, les données de la RAMQ n’incluent pas les aînés en CHSLD.


La RAMQ dit ne pas être en mesure d’isoler l’effet pandémie dans les variations observées dans ses données, et souligne que les antidépresseurs peuvent être prescrits pour d’autres indications thérapeutiques que la dépression.


 

Avec Sandrine Vieira


 

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