Dans le but de revenir à l'équilibre budgétaire, le gouvernement du Québec s'apprête à augmenter les tarifs de divers services publics. Il a choisi cette voie plutôt qu'une hausse des impôts, par exemple. Il faut savoir que l'augmentation des tarifs affecte beaucoup plus les gens de la classe moyenne et les moins fortunés de la société.
En effet, la proportion d'un revenu plus faible qui sera consacrée à des services essentiels sera beaucoup plus importante, ce qui entraîne par le fait même une diminution du revenu disponible; il en résulte un accroissement des inégalités sociales. Il s'agit là d'un choix déplorable qu'il faut à tout prix éviter, car il en résultera nécessairement une détérioration des conditions de vie de tous les Québécois.
Une telle affirmation n'est pas gratuite; elle s'appuie sur les résultats d'une importante recherche menée par deux épidémiologistes de renom, qui viennent d'être publiés dans un livre au sous-titre évocateur: The Spirit Level — Why More Equal Societies Almost Always Do Better («Le Niveau spirituel — pourquoi les sociétés plus égalitaires fonctionnent presque toujours mieux»). Richard Wilkinson et Kate Pickett démontrent, à partir d'une analyse rigoureuse, qu'il y a d'énormes différences dans la qualité de vie qu'on trouve dans diverses sociétés, selon le degré de variation dans les revenus.
Pour arriver à leurs conclusions, ils ont comparé les données issues de nombreux pays industrialisés dans divers domaines; puis ils ont validé leurs résultats en comparant entre eux les divers États de nos voisins du sud. Leurs résultats — confirmés par de nombreuses autres recherches et salués par beaucoup d'autres chercheurs comme étant de première importance — étonnent par le large spectre des domaines touchés: la santé physique (y compris la longévité), la santé mentale, la violence (et le taux d'emprisonnement), la consommation de drogues, l'obésité, le taux de grossesses chez les adolescentes, la réussite dans les études...
Sociétés égalitaires
Dans chaque domaine, les pays les plus égalitaires (comme le Japon et les pays scandinaves) font de trois à dix fois mieux que ceux qui le sont le moins (les États-Unis, le Royaume-Uni, le Portugal). Fait à noter, dans les pays industrialisés, ce n'est pas le niveau absolu de revenu qui importe, mais l'écart entre les revenus de la classe la plus favorisée et ceux de la classe la moins comblée. En conséquence, la vie est beaucoup plus agréable dans les sociétés les plus égalitaires. Et, étonnamment, ce sont toutes les classes sociales qui en bénéficient; certes, les plus pauvres davantage, mais les autres aussi.
Les auteurs ne se contentent pas de montrer les liens entre la meilleure qualité de vie et une moindre inégalité des revenus; ils expliquent les mécanismes psychosociaux en cause, et notamment l'importance du statut social pour les êtres humains. Dans les sociétés industrialisées les plus inégalitaires, la consommation devient le principal moyen d'établir son statut social, ce qui entraîne une grande propension à la surconsommation, avec pour conséquences une augmentation de l'endettement et un allongement du temps de travail; dans les sociétés les plus inégalitaires, les gens travaillent en moyenne l'équivalent de deux à trois mois de plus par année. Tout cela a des conséquences sur le plan écologique; et, selon les auteurs, il est clair qu'on n'arrivera jamais à arrêter le réchauffement climatique si on continue à avoir des sociétés aussi inégalitaires. D'où l'urgence d'agir pour faire diminuer les inégalités.
Des leçons à tirer
Comment réduire les inégalités? Tout ce qui permet de diminuer les écarts de revenu donne des résultats: augmentation des salaires les plus bas ou des allocations sociales, diminution des revenus les plus élevés, augmentation du salaire minimum, diminution des coûts ou gratuité des services publics, etc. Les auteurs notent que la privatisation des services et la multiplication des très grandes entreprises conduisent à un plus grand écart des revenus; c'est donc là un autre message qu'il faudrait lancer au gouvernement québécois, tellement porté à privatiser les services publics.
Il y a beaucoup de leçons à tirer de l'étude Wilkinson-Pickett:
- les niveaux d'inégalité actuels sont injustes et socialement dommageables;
- une plus grande égalité mène à des sociétés plus heureuses, avec plus de cohésion, une meilleure santé et plus de sécurité;
- une plus grande égalité constitue une condition essentielle pour une société soutenable et une lutte efficace contre le réchauffement global;
- une plus grande égalité est réalisable.
Les impôts des riches
Au lieu de s'attaquer aux divers problèmes sociaux et écologiques un à un, voici donc un levier important qui permet d'agir pour une multitude de problèmes en même temps. Saisissons-le dès aujourd'hui en faisant comprendre au gouvernement que, la plupart du temps, il n'est dans l'intérêt de personne que soient augmentés les tarifs des services publics, bien au contraire; les seuls cas où une hausse serait souhaitable seraient ceux pour lesquels il peut y avoir un usage abusif flagrant; est-il normal, par exemple, qu'on paie aussi cher l'eau du robinet pour se laver que pour remplir sa piscine?
Augmenter les impôts des plus riches contribuerait bien davantage au mieux-être de toute la société, même des plus riches eux-mêmes! Si le gouvernement persiste dans sa volonté d'augmenter les tarifs, l'argent ainsi récolté devra bientôt être dépensé en services nécessaires au maintien de l'ordre social: police, aide aux décrocheurs, soins de santé...
Peut-être devrions-nous songer à imiter les Anglais qui, après la publication des résultats de cette recherche, ont mis sur pied une fondation (The Equality Trust, www.equalitytrust.org.uk) pour faire la promotion de mesures menant à une plus grande égalité des revenus.
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Serge Mongeau - Mouvement québécois pour une décroissance conviviale
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