Le ministre Pierre Arcand a déclaré hier à Montréal que le gouvernement acceptait «la plupart» des «avis» formulés par le BAPE au sujet des gaz de schiste.
Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir
o L'évaluation environnementale stratégique demandée par le BAPE aura lieu
o Les nouveaux projets gaziers devront faire l'objet de consultations publiques
Alexandre Shields - Admettant finalement qu'on en sait trop peu sur les impacts de l'exploitation du gaz de schiste, Québec lancera une évaluation écologique stratégique afin de mieux évaluer les risques imputables à cette filière énergétique. Cette recommandation constitue d'ailleurs le cœur du rapport du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) rendu public hier et n'est rien de moins que «la suite logique des choses», selon le ministre Pierre Arcand. Mais pas question de décréter un moratoire.
«La réalisation d'une évaluation environnementale stratégique (EES) devient un passage obligé tant dans un processus de prise de décision éclairée que pour la recherche d'une meilleure acceptabilité sur le plan social», insistent les commissaires du BAPE dans leur rapport de plus de 300 pages intitulé Développement durable de l'industrie des gaz de schiste au Québec.
Ceux-ci rappellent ainsi que, pour certaines questions fondamentales, les réponses sont demeurées «partielles ou inexistantes» durant les audiences menées l'automne dernier. Les auteurs du document estiment donc qu'«une base solide de connaissances techniques et scientifiques est à construire sur la ressource, notamment en matière de géologie, d'hydrogéologie, de traitement des eaux usées, d'aménagement du territoire ou de cohabitation avec la population». Ils constatent aussi «l'absence de faits probants permettant de déterminer les risques» liés à l'exploitation de cette source d'énergie fossile. Cette EES, jugent enfin les commissaires, devrait fournir «les outils essentiels» pour encadrer l'industrie. Visiblement, il ne s'agit pas de tourner le dos à cette filière.
Le ministre du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs n'a pas tardé à faire sienne cette recommandation du BAPE. Il a annoncé hier que le gouvernement formerait d'ici le printemps prochain un comité composé de représentants d'organismes gouvernementaux, municipaux, universitaires et d'entreprises privées qui devra statuer sur les modalités de l'évaluation.
Aucun moratoire ne sera décrété durant cette période, qui pourrait s'étendre sur environ deux ans. Mais les entreprises qui voudraient procéder à une fracturation hydraulique devront le faire dans le cadre de l'EES, et ce, dans le but de fournir de l'information scientifique. Les gazières pourront cependant poursuivre leurs activités dans les puits où il y a déjà eu une fracturation hydraulique. Dix-huit des trente et un puits forés au Québec ont déjà été fracturés.
Les entreprises pourront en outre réaliser d'autres travaux d'exploration, comme des relevés sismiques ou des forages. L'EES pourrait également nécessiter de nouveaux forages, mais ceux-ci seront «extrêmement limités», a assuré M. Arcand. L'échéancier que se fixera le gouvernement ne devrait pas contrecarrer les plans de l'industrie, qui ne prévoyait pas le démarrage de l'exploitation à grande échelle avant 2015. Qui plus est, certains projets d'exploration ont déjà été retardés, alors que les prix du gaz demeurent très bas. Trop bas, en fait, pour que ce soit intéressant de faire venir au Québec de la machinerie et de la main-d'oeuvre pour forer un ou deux puits.
Fait à noter, la proposition des commissaires qu'a retenue Québec est très semblable à ce qu'a suggéré tout récemment le nouveau président de l'Association pétrolière et gazière du Québec, Lucien Bouchard. «Je crois qu'on devrait convenir d'un programme limité où on travaille surtout sur les puits déjà forés. On va apprendre des choses pour réduire les risques et se donner des normes», avait-il proposé sur les ondes de RDI.
Mais est-ce que le gouvernement serait prêt à mettre un frein permanent à l'exploitation du gaz de schiste si l'EES concluait que les risques écologiques sont trop importants, comme ce fut le cas pour l'évaluation menée pour l'estuaire du Saint-Laurent? Oui, a répondu M. Arcand. «Nous ne ferons aucun compromis», a-t-il répété à plusieurs reprises.
Reste que le ton très rassurant du ministre contraste avec ce qui prévalait il y a moins d'un an, alors que le gouvernement Charest ne comptait absolument pas recourir au BAPE pour évaluer les risques liés à l'exploitation du gaz de schiste, et ce, même si cette industrie s'active déjà depuis quelques années au Québec sans un encadrement législatif conçu spécifiquement à cette fin. Et encore au moins d'août, la ministre Nathalie Normandeau disait vouloir déposer un projet de loi sur les hydrocarbures au cours de la session parlementaire de l'automne 2010. Tout cela alors que les inquiétudes augmentaient au sein de la population, qui ignorait trois mois plus tôt que les basses terres du Saint-Laurent renfermaient d'immenses réserves de gaz.
Consultations
Hier, le ministre responsable des dossiers écologiques a plutôt salué le travail du BAPE en précisant que le gouvernement acceptait «la plupart» des «avis» formulés par les commissaires. Ainsi, Pierre Arcand a assuré que, à l'avenir, les nouveaux projets gaziers feraient l'objet de consultations publiques inspirées des façons de faire du BAPE. Cela devrait permettre d'en «faciliter l'acceptabilité sociale», selon lui. Il a toutefois refusé de dire si les municipalités allaient avoir un droit de veto sur un projet.
«Les MRC et les municipalités des régions concernées devraient être impliquées dans la planification du développement de l'industrie du gaz de shale sur leur territoire. Une approche participative et concertée devrait être adoptée pour que le développement de cette industrie soit harmonisé avec les spécificités territoriales de chaque milieu», note lui aussi le BAPE. Par le passé, certaines entreprises ont réalisé des travaux sans même prévenir les municipalités touchées.
Le ministre Arcand a également annoncé qu'il proposera une entente-cadre pour guider les négociations entre les entreprises et les propriétaires des terrains qui seront forés.
Il faudra par ailleurs voir si Québec se rendra à l'avis des commissaires lorsqu'ils soutiennent que l'émission des permis d'exploration devrait être l'affaire du ministère de l'Environnement. La façon de faire actuelle «ne favorise pas la surveillance et le contrôle intégrés des activités», déplorent-ils.
Leur rapport note d'ailleurs de nombreuses interrogations quant aux risques écologiques liés à cette filière. «La vulnérabilité des aquifères à une contamination potentielle provenant du sous-sol occasionnée par l'exploration et l'exploitation du gaz de shale devrait être établie par des études scientifiques», écrivent-ils notamment. Et, puisque cette industrie utilise d'énormes quantités d'eau, il faudrait impérativement prendre en considération «les effets cumulatifs» de l'exploitation dans les plans directeurs de l'eau.
Le ministre a voulu répondre à certaines lacunes mises en évidence par le BAPE en annonçant qu'il pourrait restreindre l'usage de certains produits chimiques utilisés lors de la fracturation du roc, en plus de bonifier les inspections en mettant l'accent sur les migrations de gaz.
Sans surprise, les commissaires ont souligné que le Québec devrait augmenter les redevances sur la ressource, de façon à en tirer des revenus «substantiels», mais sans rien préciser. Ils réclament aussi une «une analyse économique» qui servirait à «proposer une façon de récupérer le plus rapidement possible le manque à gagner en raison des faibles montants des droits qui ont été exigés lors de l'attribution initiale des droits d'exploration». M. Arcand a refusé de dire si le gouvernement allait revoir le prix des permis d'exploration, qui se situent actuellement à 10 ¢ l'hectare.
Selon l'industrie, de 150 à 600 puits pourraient être forés chaque année en période d'exploitation. Mais le BAPE souligne que ce rythme «pourrait être dépassé advenant des conditions favorables de développement», à l'instar de ce qui s'est vu au Texas et en Pennsylvanie. Au total, on pourrait donc devoir raccorder pas moins de 20 000 puits au réseau de Gaz Métro. Le sous-sol des basses terres du Saint-Laurent contiendrait de 9000 à 40 000 milliards de pieds cubes de gaz de schiste.
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