Ce n’est plus un référendum ni une consultation populaire. Un « processus participatif », peut-être. Ou un « vaste sondage » sur le désir d’indépendance des Catalans. Dans la langue locale, on l’appelle le « Nou 9N » (prononcé « nô nô enné »), qui signifie le « nouveau 9 novembre ». Parce que depuis que le processus référendaire organisé par le gouvernement catalan a été suspendu par le Tribunal constitutionnel début octobre, l’événement qui aura lieu dimanche a pris une autre tournure.
« On ne sait plus trop comment appeler ça. C’est une sorte de grand sondage, avec quelques aspects rituels d’une élection », suggère pour sa part Joan Cullá, un historien et professeur à l’Université autonome de Barcelone connu pour ses positions indépendantistes.
Il y a quelques jours, le gouvernement de Madrid a fait une autre tentative pour plomber l’élan de ce mouvement, rappelant au gouvernement catalan que ce qu’il s’apprêtait à faire, en posant la même question, ressemblait encore étrangement trop au référendum prohibé. Il a même insisté auprès du président de la Généralitat, Artur Mas, pour que les lieux publics du gouvernement catalan ne servent pas et que la consultation reste populaire, soit entre les mains des bénévoles de la société civile.
« S’ils sont pour continuer à nous empêcher par tous les moyens de voter, raison de plus pour le faire », s’est indigné Lluis, un militant indépendantiste drapé d’un drapeau catalan près de la plaza de España. Comme lui, des milliers de personnes ont assisté vendredi soir à l’acte de fin de campagne du 9N organisé par les grands groupes de la société civile, dont l’Asemblea nacional catalana (ANC). Sur une grande scène devant la fontaine illuminée, des personnalités de tous azimuts — des écrivains et des poètes locaux, et même des leaders écossais — sont venues porter un message d’espoir à la foule gonflée à bloc, brandissant des milliers de petites pancartes jaunes portant la phrase « Un pais nou » (un nouveau pays).
« Je veux bien aller voter, mais j’ai peur d’être fichée. C’est quand même un processus qui nous a été interdit pour le moment, et deux fois plutôt qu’une on dirait », souligne la chauffeuse de taxi Montserrat, qui se dit pourtant indépendantiste jusqu’au bout des ongles.
Vrai qu’il y a des pressions faites sur le gouvernement central, surtout par le parti populaire (conservateur), pour que le président espagnol, Mariano Rajoy, empêche la tenue de la consultation. Il y a aussi des rumeurs voulant que la police intervienne pour enlever les urnes. Mais il y a peu de risques que ça arrive, croit Patrick Roca, professeur de traduction à l’Université Pompeu Fabra et militant du Oui. « Il y a plus de 600 journalistes ici. Tous les yeux sont tournés vers la Catalogne. Rajoy est quand même rusé. Il sait que ce qu’il faut, c’est tempérer. »
Le fédéraliste Xavier Arbós, professeur spécialiste du droit constitutionnel à l’Université de Barcelone, croit que les gens auront parfaitement le droit d’aller voter dimanche et « d’exprimer leur liberté d’expression ». « Quant à la suspension du référendum, elle n’attaque pas des actes juridiques publiés formellement, mais des démarches de faits. » Et cela ne concerne que le gouvernement catalan, et non pas les citoyens.
N’empêche, la consultation aura un caractère unique, même si elle sera sans doute boycottée par le camp du Non et fortement plébiscitée par ceux qui y sont favorables. « C’est la première fois qu’on ira tous faire une marque sur un bulletin de vote, qu’on se prononcera en même temps sur la question avec la complicité du gouvernement catalan », fait remarquer Patrick Roca.
Les racines du mouvement
Si le réveil indépendantiste est plutôt récent dans l’histoire de la Catalogne, la fierté et le nationalisme remontent à loin. « J’ai passé ma vie à résister », souffle l’enseignante retraitée Teresa Saltó, se rappelant les années sous la dictature franquiste et les « lavages de cerveau » des cours de « formation de l’esprit national » qu’on l’obligeait à suivre en colonie de vacances. À l’école où elle enseignait, l’inspecteur menaçait de fermer l’école si on y trouvait ne serait-ce qu’un seul livre en catalan, se souvient-elle.
Censure, répression, prohibition. La flamme identitaire ne s’est malgré tout pas éteinte. Loin de là. Au-delà du franquisme, Joan Cullá croit que ce nationalisme se nourrit encore davantage des souvenirs récents, des coups bas de l’État central qui ont été « ressentis comme des agressions ». C’est le cas de la proposition de réforme du statut d’autonomie faite par la Catalogne, qui ajoutait des pouvoirs sur le plan des finances et de l’autogestion à la Généralitat. Elle a été soumise à Madrid en 2006, mais le Tribunal constitutionnel l’a formellement et entièrement rejetée en 2010. « Ça a brisé les digues qui avaient freiné et contenu, pendant des décennies, l’aspiration indépendantiste. Il y a eu une rupture psychologique, morale en tout cas, et politique », constate encore l’historien.
Rupture qui aura eu un effet jamais vu, celui de réunir certains nationalistes catalans, qu’ils soient de gauche ou de droite, sous la même bannière. Devant l’affront, l’idée d’un pays s’est imposée. Alors que la ferveur indépendantiste recevait traditionnellement environ 15 % d’appui dans les sondages, elle est passée à plus de 20 % en 2010, note pour sa part, Ferran Requejo, professeur de sciences politiques à l’Université Pompeu Fabra. Aujourd’hui, elle a doublé, se situant à 45 %. Environ 30 % se disent non indépendantistes et le reste demeure indécis.
Un discours positif
Très rapidement, les Catalans sont passés de la colère et d’un discours victimisant à un discours positif, où ils ont organisé d’imposantes manifestations, comme la fameuse chaîne humaine longue de 400 kilomètres l’an dernier. « On s’est dit, on ne peut pas aller plus loin de cette façon-là. Il faut arrêter de dépendre de l’État pour ne compter que sur nous-mêmes », explique Patrick Roca. Les Catalans semblent ne pas être tombés dans le discours anti-espagnol. C’est très « bouddhiste », plaisante-t-il. « Comme notre principe d’identité est peu contraignant, on réussit à faire adhérer beaucoup de monde à nos idéaux. »
Le mouvement indépendantiste a une très forte base populaire, contrairement au Québec. Et il est n’est pas aussi typé que ce dernier. D’après les sondages, l’indépendance n’est pas une question d’âge, de sexe, d’origine ou de classe sociale, souligne Ferran Requejo. « Ce qui fait la différence, c’est la langue parlée à la maison. Quand c’est le catalan, le niveau d’indépendantisme est très élevé. »
La Catalogne sera-t-elle un jour indépendante ? Qui sait. Mais pour ce qui est de son avenir à court terme, l’étendue de la mobilisation et le taux de participation à la consultation de dimanche donneront certainement le ton.
CONSULTATION SUR L’INDÉPENDANCE
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