Si la courbe du prix des matières premières observée au cours des derniers mois se maintient, il est probable que le coût de l'alimentation dans les pays en voie de développement occupe le haut des priorités du G20 lors de ses prochaines rencontres. Et, cela demeure vrai malgré la chute du prix de certaines ressources naturelles suite au séisme qui a frappé le Japon il y a quelques jours. Ce repli risque en effet de n'être que passager. En fait, si la filière nucléaire devait être remise en question, il est à penser que les prix du pétrole pourraient réagir à la hausse, avec des conséquences pénibles sur les prix des produits alimentaires un peu partout dans le monde. Certains voient d'ailleurs dans le prix des aliments une bonne part des causes expliquant les bouleversements en cours au Moyen-Orient.
À tout événement, même s'il est prévisible que le G20 abordera cette question dans un avenir rapproché, il est douteux que ce dernier livre une solution unanime à cet inquiétant problème. En effet, le président français Nicolas Sarkozy, qui assume la présidence du groupe pour l'année en cours, a à quelques reprises déjà laissé entendre qu'il envisage étudier la question sous l'angle de la volatilité des prix. Ce faisant, le G20 se verrait contraint de jeter un regard inquisiteur du côté des marchés financiers, plus précisément en direction du marché des contrats à terme. À l'opposé, le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, tente plutôt de diriger le G20 vers la recherche de solutions ponctuelles à la cherté des aliments pour les pays pauvres. Évidemment, son approche a pour effet de dédouaner les spéculateurs d'une possible responsabilité dans l'affaire, ce qui ne manquera pas de plaire à certains membres du G20.
Dans une bonne mesure, donc, le débat qui s'annonce risque de donner lieu à une intéressante chasse aux coupables. Et, s'il faut se fier aux manchettes, la liste des accusés potentiels est longue.
Parmi eux, donc, nous retrouvons la déréglementation consécutive à la libéralisation des marchés qui a marqué les années 80 et 90. Inspirés par la doctrine néolibérale caractéristique de notre époque, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ont imposé la déréglementation agricole aux pays en voie de développement qui recherchaient un programme d'aide ou une annulation de dettes. Le vide qui a suivi a laissé les producteurs locaux en concurrence avec les grandes multinationales qui, elles, étaient en surplus de production vis-à-vis de la demande effective, celle qui était capable de payer. Elles ont donc déversé, à faibles prix, leurs excédents de production sur le marché de ces pays, bien souvent à la grande satisfaction de leurs gouvernements qui voyaient là un moyen peu coûteux de garder leurs populations tranquilles. En réalité, cependant, ils cautionnaient la destruction des industries agricoles locales.
Avec les multinationales au banc des accusés, nous retrouvons l'Inde et la Chine, dont le développement en accéléré aurait gonflé de façon significative l'ampleur de la demande capable de payer pour les produits agricoles. Avec l'apparition de vastes classes moyennes dans ces pays «nouveaux riches», la demande pour une alimentation plus riche en protéines animales aurait explosé. Or comme les animaux de ferme se nourrissant de céréales, il y aurait eu réaction en chaîne et augmentation consécutive du prix de certains végétaux comme le blé et le maïs.
Également montrés du doigt, nous retrouvons les biocarburants. Dans le cadre de leur lutte contre les rejets de gaz à effet de serre, les gouvernements de nombreux pays occidentaux ont subventionné la production de biocarburants et forcé leur utilisation au moyen de lois contraignantes. Ces politiques auraient eu pour effet de tirer à la hausse la demande pour le maïs. Or, comme l'offre est peu extensible à court terme, les prix ont réagi à la hausse, d'autant plus que la demande pour les aliments est peu compressible. Encore une fois, il y aurait eu effet domino. Ainsi, le maïs étant largement présent dans la nourriture animale, les prix de la viande auraient suivi à la hausse. Un peu au même effet, le soja et le maïs étant en concurrence pour les surfaces de culture, les prix du soja auraient eux aussi été propulsés vers le haut. Selon la FAO, les biocarburants auraient été responsables de 33 % de l'augmentation du prix du maïs en 2007-08. Selon le FMI, il faudrait plutôt parler de 70 %.
Évidemment, l'envolée des prix du pétrole à cette même époque aura eu un effet amplificateur sur la dynamique décrite plus haut. Cette source d'énergie est en effet omniprésente dans l'ensemble de l'industrie de l'alimentation, des fertilisants à la livraison finale du produit.
La liste des suspects semble sans fin. On blâme également le fait pour les grandes puissances agricoles occidentales d'avoir abandonné leur politique de stockage massif des denrées au profit de l'approvisionnement en flux tendu (just in time). En effet, cela a eu pour conséquence d'amplifier l'effet sur les prix des contretemps climatiques et géopolitiques que l'on accuse d'ailleurs comme tels d'avoir contribué à l'explosion des prix. Apparemment, on jugeait trop onéreux les coûts du stockage.
Les producteurs de moindre importance, eux, tentent de profiter de la volailité des cours en imposant des droits de douanes et des taxes à l'exportation, lorsqu'il ne s'agit pas d'interdire l'exportation sans plus. Évidemment, cela n'aide pas à lisser la volatilité des prix.
Certains pays, dont la Chine et l'Inde, subventionnent lourdement les coûts du pétrole et de l'alimentation, avec un effet de soutien au niveau élevé des cours. Pour les pays pauvres consommateurs nets de ces produits, il en résulte des tensions fiscales difficiles à contenir.
Arrive enfin le spéculateur. Au cours des dernières années, le prix au comptant des matières premières est devenu plus ou moins tributaire des transactions qui ont lieu sur le marché des contrats à terme. À l'origine, le marché à terme visait à procurer une assurance contre la volatilité des prix aux utilisateurs de ressources naturelles dans l'économie dite réelle. Armé dun contrat porteur d'un prix fixe, les producteurs pouvaient en effet se protéger, du moins en partie, contre une hausse malvenue sur le marché au comptant. Mais, les détenteurs de contrats pouvant régler leurs obligations en argent plutôt qu'en prenant livraison de la denrée visée, le marché à terme a vite attiré les spéculateurs qui y voient une source de profit rapide plus attrayante que ce que pourraient leur offrir les autres marchés, du moins à leurs yeux. En grande partie, cela est dû à la réglementation hautement permissive des marchés à terme, qui permet d'y accéder au moyen d'un dépôt initial insignifiant (les achats sur marge). Évidemment, le risque sera d'autant plus grand que le dépôt exigé sera réduit.
Et, tout cela est exacerbé du fait que les fond spéculatifs versent bien souvent ce maigre dépôt à même...de l'argent emprunté aux banques qui, elles, l'ont obtenu des banques centrales à des taux insignifiants. Pourquoi, selon vous, les banques centrales s'engagent-elles, à l'heure actuelle, à garder leur taux directeur bas dans un avenir prévisible? Les banques au détail, elles, peuvent se permettre ce genre de largesses pour au moins deux motifs. D'abord, bien sûr, il y a leur accès privilégié au crédit des banques centrales. Ensuite, elles agissent de la sorte confiantes en le fait que les gouvernements ne les laisseront jamais tomber, les plus importantes du moins (too big to fail). Ce faisant, elles contribuent à l'enflure ridicule du marché des produits dérivés, dont fait partie le marché des contrats à terme. En 2010, par exemple, le marché des dérivés était évalué à 600 000 milliards de dollars US, alors que le PIB mondial, lui touchait les 60 000 milliards $US. Du côté du pétrole, on estime qu'avant sa production et sa livraison finale, un baril est vendu et racheté 27 fois. On imagine l'effet sur les prix de ce torrent de transactions.
En fait, les spéculateurs ne se limitent pas au marché des contrats à terme. Lors de l'envolée des prix, en 2007-08, une rumeur circulait à l'effet que certains d'entre eux se livraient à une intéressante forme de gestion d'inventaire. Ils auraient stocké du pétrole au large des côtes sur des superpétroliers dans le but de garder les statistiques d'inventaire le plus bas possible. D'autres fonds spéculatifs achètent directement des métaux pour les revendre plus tard à profit; du moins l'espèrent-ils. Évidemment, cela a pour effet de créer une rareté fictive et a un effet à la hausse sur les prix.
Les accusés sont donc nombreux. Mais, y en a-t-il un dont la responsabilité se démarque par rapport à celle des autres? Le spéculateur semble ressortir comme le suspect idéal.
D'abord, la multiplicité des transactions sur le marché des contrats à terme a pour effet de neutraliser l'objectif visé initialement par ces contrats, le lissage de la volatilité des prix. Ensuite, ces transactions ont un effet à la hausse sur les prix qui n'a rien à voir avec la réalité de la demande et de l'offre dans l'économie dite réelle. En effet, dans sa livraison des 4 et 5 septembre 2010, le Devoir faisait état d'une déclaration du PDG de la société Nestlé voulant que la valeur des titres financiers rattachés aux produits agricoles soit 38 fois supérieure à la valeur de ces produits. Selon le même PDG, Peter Brabeck, les produits agricoles sont devenus «le terrain de jeu» des fonds spéculatifs. Il blâmait également les biocarburants et une chute de la productivité agricole au cours des dernières années. Peu importe, l'écart entre la valeur des dérivés rattachés aux produits agricoles et la valeur des produits sous-jacents nous donne une idée du poids des spéculateurs dans la machine.
D'ailleurs, l'indice du prix des produits alimentaires de la FAO semble pointer dans la même direction. En juillet dernier, cet indice marquait 172. Or, en août, alors que l'on commençait à envisager la possibilité d'un second programme d'assouplissement quantitatif (QE2) aux États-Unis, un revirement s'est amorcé. En février 2011, après six mois de hausse continue, l'indice affichait 236, pour une augmentation de 37 %. Lorsque le second programme d'assouplissement quantitatif a été effectivement annoncé, les pays émergents l'ont unanimement dénoncé au motif qu'il était de nature à canaliser une vague d'argent spéculatif vers leurs marchés, en quête de profits rapides, avec un effet à la hausse sur le prix des ressources. Or, c'est exactement ce qui semble s'être passé.
La reprise semble donc s'être produite beaucoup plus vite du côté de la spéculation que du côté de l'économie dite réelle. Lorsque les banques prêtent aux fonds spéculatifs, elles ne prêtent pas aux PME. Tout cela pointe évidemment en direction d'une nouvelle débâcle à plus ou moins brève échéance. Or, c'est exactement pour éviter ce genre de situation que l'administration Roosevelt avait proposé la Loi Glass-Steagall dans les années 30. De nos jours, elle est considérée... désuète.
Entre-temps, certains analystes parlent d'un baril de pétrole à 200 $US. D'autres rêvent d'un troisième programme d'assouplissement quantitatif (QE3). Il semble donc y avoir des domaines où l'histoire se répète.
Spéculation
Flambée du prix des produits alimentaires
Dans une bonne mesure, donc, le débat qui s'annonce risque de donner lieu à une intéressante chasse aux coupables. Et, s'il faut se fier aux manchettes, la liste des accusés potentiels est longue.
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