Financement des universités: les coûts cachés de la philanthropie

Université - démocratisation, gouvernance et financement




Dans le débat actuel sur l'amélioration du financement des universités au Québec, la ministre de l'Éducation a récemment rappelé que la solution ne passerait pas par de nouvelles taxes ou de nouveaux impôts. Comme d'autres, elle s'est cependant tournée vers la philanthropie et l'entreprise privée en lui demandant un effort supplémentaire. Le Québec, reconnaît-elle, a du retard à rattraper au niveau de sa culture philanthropique et l'entreprise privée, notamment, devrait montrer l'exemple en soutenant davantage les universités.
La proposition vaut certainement la peine d'être examinée sans pour autant se faire d'illusions sur les coûts cachés de la philanthropie et certains de ses travers qui font en sorte qu'elle ne peut en aucun cas être considérée comme la seule solution au sous-financement actuel des universités.
Tout d'abord, le don philanthropique, qu'il provienne d'individus ou de sociétés, demeure un geste fortement subventionné par des crédits d'impôt dont la valeur est inévitablement assumée par l'ensemble des citoyens. Plus les universités québécoises auront du succès en philanthropie, plus l'État devra trouver la façon de compenser d'une manière ou l'autre le rétrécissement de son assiette fiscale.
La philanthropie engendre donc un coût fiscal pour le trésor public qui devra bien aller chercher ailleurs les sommes dont il a besoin pour remplir ses différentes missions. La façon la plus évidente d'y arriver, et aussi la plus «logique» dans les circonstances, sera de diminuer progressivement sa propre participation au financement des universités. C'est d'ailleurs ce que font la plupart des États américains à l'endroit de leurs propres universités depuis une bonne quinzaine d'années.
La philanthropie coûte cher à l'État et il faut bien trouver une façon de la financer. Dans ce retrait éventuel du financement public des universités, ces dernières ont à mon avis beaucoup plus à perdre qu'à gagner.
La deuxièmement difficulté avec la philanthropie est qu'elle génère des coûts de gestion importants pour les universités (personnel spécialisé, locaux, activités de tous genres, communications et formations). Dans un contexte où l'argent des corporations ou des fortunes privées reste limité, la «concurrence de bienfaisance» devient vive et la campagne de financement se transforme en opération coûteuse et parfois même risquée.
Les plus «talentueux» qui peuvent faire la différence dans cette course aux fonds privés coûtent généralement chers et tout cela mis ensemble peut en arriver à distraire les universités de leurs missions premières: dispenser l'enseignement supérieur et développer la recherche fondamentale et appliquée. La gestion philanthropique, comme toute chose, possède un coût en ressources humaines et financières qui diminue encore une fois d'autant la valeur réelle du don.
Finalement et surtout, la philanthropie possède son propre agenda qui ne correspond pas nécessairement aux besoins réels de l'institution et de ses disciplines. Liberté du donateur oblige, le don philanthropique peut parfois être capricieux, erratique et suivre des effets de mode. Plus il sera important, plus les déséquilibres qu'il crée entre les universités et au sein des universités elles-mêmes pourront avoir un effet négatif sur la qualité de la recherche et de l'enseignement en orientant ces deux missions fondamentales de manière inappropriée, arbitraire et parfois même improductive.
L'entreprise privée et l'université
Les entreprises privées comme les individus peuvent venir en aide aux universités par des dons philanthropiques. Mais elles interviennent aussi dans la vie des universités en leur octroyant des contrats de recherche, des contrats de formation ou des commandites. Ici encore, rien d'absolument gratuit puisqu'en retour ces entreprises se retourneront vers l'État pour récolter les avantages fiscaux auxquels leur donne droit leur investissement dans le monde universitaire.
La situation se complique cependant puisque les intérêts des entreprises, bien que socialement importants (amélioration de la productivité, innovation de tous genres, etc.), restent finalement très limités au regard de la contribution globale de l'université à la société. En effet, des pans entiers de l'activité des universités intéressent peu ou prou l'entreprise privée. Et dans le cas où certains investissements apparaissent pertinents, on court chaque fois le risque de compromission des valeurs académiques fondamentales.
Aux États-Unis, où les pratiques de partenariat avec le privé existent depuis très longtemps, la littérature qui dénonce les abus de la commercialisation des universités abonde. L'ancien recteur de l'Université Harvard, Derek Bok, a d'ailleurs publié un ouvrage mettant en garde les dirigeants des universités contre les nombreux dérapages que peuvent entraîner leur collaboration avec le secteur privé: résultats de recherche biaisés ou encore non divulgués, programmes de formation douteux, professeurs-entrepreneurs ayant perdu toute distance critique, remise de doctorats honorifiques pour remercier de «généreux donateurs», etc.
Ces réalités et bien d'autres sont celles qui attendent inévitablement les universités qui ne placent pas les valeurs académiques de la pensée libre et critique bien en amont de toute collaboration avec des agents externes possédant un autre agenda. Ceci ne constitue pas un parti-pris pour le repli sur soi du monde universitaire, mais plutôt un rappel de la nécessité de s'éloigner de toute forme de partenariat qui viendrait entraver ou encore diminuer la capacité de l'université de jouer son rôle de phare et de soutien de la vie démocratique.
Les universités ne doivent surtout pas brader le capital de sympathie et de respect qu'elles possèdent encore pour une recherche à très court terme de profits. Elles ont beaucoup trop à perdre dans cet exercice. La ministre de l'Éducation peut bien lancer une perche à la philanthropie, il faut aussi l'inviter à poser tous les gestes qui protègeront le monde universitaire de son éventuel dépérissement moral et financier.
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François Blais
L'auteur est doyen de la faculté des sciences sociales de l'Université Laval.


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