Évaluation environnementale stratégique - Québec compte exploiter les énergies fossiles du Golfe malgré les avertissements

L'inconscience

Le Québec connaît mal le golfe du Saint-Laurent, et serait inapte à répondre à un déversement pétrolier qui surviendrait en raison de l’exploitation d’énergie fossile en milieu marin. Mais le gouvernement Marois garde le cap et souhaite bel et bien lancer le Québec sur cette voie, tout en promettant d’y intégrer des normes environnementales strictes.

Québec a finalement rendu public vendredi après-midi le rapport de l’évaluation environnementale stratégique (EES) commandée par les libéraux à la firme de génie-conseil Genivar pour étudier le golfe du Saint-Laurent en vue d’y permettre ou d’y interdire l’exploration et l’exploitation pétrolière et gazière.

Ce document de plus de 800 pages, très technique et mis en ligne sans préavis, souligne qu’il demeure « plusieurs lacunes » dans l’état actuel des connaissances sur le Golfe. Les carences concernent les technologies d’exploration et d’exploitation, les composantes des milieux physique, biologique et humain, ainsi que les « effets environnementaux potentiels des activités d’exploration et d’exploitation, ainsi que des déversements accidentels ».

Plusieurs lacunes

On ignore par exemple comment récupérer du pétrole « lorsqu’il y a présence de glace ». On connaît relativement peu de choses des « courants et de l’évolution de ceux-ci en fonction des changements climatiques ». Les données nous manquent pour bien évaluer le mouvement et les aires de fréquentation des espèces menacées. Et les scientifiques ne comprennent pas encore bien l’acidification et le phénomène de l’hypoxie des eaux du Saint-Laurent.

« Il est donc entendu que plusieurs données factuelles précises ne sont actuellement pas disponibles et ne permettent pas d’avoir une appréciation optimale des effets sur l’environnement que pourrait avoir un “projet” donné d’exploration ou d’exploitation pétrolière ou gazière », insiste le rapport, qui devait au départ être remis au gouvernement en novembre 2012.

Le document met aussi en lumière notre incapacité à répondre à une éventuelle marée noire. « La capacité d’intervention en cas de déversement accidentel en mer est actuellement déficiente pour répondre à d’éventuels accidents majeurs, même ceux qui pourraient impliquer le transport maritime existant. » Les travaux de l’EES ont notamment permis de conclure qu’en cas d’intervention pour tenter de contenir un désastre environnemental, « les arrimages entre les divers intervenants du gouvernement du Canada et ceux des provinces limitrophes ne sont pas clairement établis ».

La chose est d’autant plus problématique que le gouvernement Harper a réalisé d’« importantes coupes » dans son service d’urgence environnemental, mais aussi en recherche sur le Saint-Laurent.

Un seul golfe

L’évaluation produite par Genivar insiste aussi sur la nécessité de considérer le golfe du Saint-Laurent comme une seule entité. À l’heure actuelle, Terre-Neuve mène sa propre évaluation environnementale, sans partenariat avec Québec. Or, la structure de Old Harry, ciblée par l’industrie pétrolière, se trouve à cheval sur la frontière maritime entre les deux provinces. En cas de marée noire, cinq provinces risquent d’être polluées.

Dans le contexte actuel, marqué par de vives inquiétudes, les auteurs du rapport estiment en outre que « l’acceptabilité sociale d’une éventuelle exploration et exploitation des hydrocarbures en milieu marin n’est pas acquise ».

La ministre des Ressources naturelles a promis vendredi que « toutes les recommandations seront analysées » et que la démarche d’évaluation se poursuivra. « Je mets en place des comités d’experts pour approfondir des questions, particulièrement le volet économique, donc l’ensemble des retombées économiques », a-t-elle expliqué au Devoir. Selon la ministre, ce volet du rapport est « plutôt léger ». Elle estime donc qu’il faut mener « une analyse beaucoup plus détaillée des retombées économiques d’un gisement comme Old Harry ».

Mais le gouvernement Marois continue de plaider pour une exploitation d’éventuelles ressources pétrolières au Québec. « On pense qu’il y a un intérêt économique pour le Québec de pouvoir exploiter son propre pétrole, a souligné Mme Ouellet. Mais il faudra que ça se fasse avec les plus hauts environnementaux. Il faut aussi documenter les retombées économiques, ce qui nous permettra de décider ensemble d’aller de l’avant ou non. »

Les pétrolières qui souhaitent exploiter d’éventuelles ressources en énergie fossile dans le Golfe visent surtout la structure de Old Harry, située sur la frontière maritime entre le Québec et Terre-Neuve, à 80 kilomètres des îles de la Madeleine. C’est l’entreprise Corridor Resources (qui contrôle aussi des permis d’exploration en partenariat avec Pétrolia sur l’île d’Anticosti) qui détient tous les permis du secteur.

Selon des évaluations préliminaires, cette structure située en profondeur pourrait contenir quelque deux milliards de barils de pétrole et des centaines de milliards de pieds cubes de gaz naturel. Mais aucun forage n’a encore été effectué pour vérifier si on y retrouve bel et bien un gisement d’énergie fossile. Corridor Resources espère pouvoir forer un premier puits d’exploration du côté de Terre-Neuve au cours des prochains mois. Québec doit pour sa part adopter une loi avec Ottawa avant de pouvoir aller de l’avant dans l’exploration en mer.

Golfe à protéger

En entrevue au Devoir il y a de cela quelques mois, l’écologiste David Suzuki avait mis en garde le gouvernement Marois contre la tentation de lancer le Québec sur la voie de l’exploitation pétrolière, particulièrement dans le golfe du Saint-Laurent.

« Le Québec ne devrait pas aller de l’avant. Le golfe du Saint-Laurent devrait être considéré comme un sanctuaire. C’est un élément culturel et historique central dans l’histoire du Québec. Plusieurs personnes dépendent des pêcheries et du tourisme liés au Saint-Laurent. Et maintenant, on voudrait risquer tout cet écosystème pour quelques années de pétrole ? », a-t-il fait valoir au cours d’une rencontre.

« Le problème est que les politiciens voient le monde comme s’il s’agissait de compartiments séparés, a ajouté M. Suzuki. Il y a l’environnement, il y a l’économie, il y a la santé, etc. Mais on ne peut agir ainsi, spécialement lorsqu’il s’agit d’énergie fossile. Il faut prendre en compte tous les éléments. »

Christian Simard, directeur général de Nature Québec, a invité vendredi Québec à prendre en compte la valeur même du golfe du Saint-Laurent. « Les pêches dans le secteur du Canada Atlantique, c’est plus d’un milliard de dollars de débarquements par année, seulement pour le crabe et le homard. Près de 10 000 petites entreprises dépendent de cette industrie. Pour le Québec, la valeur des débarquements dépasse les 125 millions. Ce sont des montants très importants pour l’économie liée au golfe du Saint-Laurent. Mais se lancer dans l’exploitation pétrolière risque de compromettre tout cela. »


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