Étudiants étrangers: «International Cegep Corp.»

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La dérive marchande de l'éducation mène à l'anglicisation


Aux prises avec une baisse de fréquentation, le cégep de la Gaspésie et des Îles a fait preuve d’un esprit d’initiative qu’une PME dynamique pourrait lui envier. Le cégep, qui peut offrir des programmes tant en français qu’en anglais en raison de la présence de communautés anglophones dans la région qu’il dessert, a ouvert un campus à Montréal où il donne une courte formation d’un an en anglais, conduisant à l’obtention d’une attestation d’études collégiales (AEC), à des étudiants étrangers en provenance de l’Inde, de la Chine et de la Corée du Sud. Cette percée d’affaires pose de sérieuses questions sur l’avenir du réseau collégial, d’une part, et sur la volonté du gouvernement caquiste de préserver le visage français de Montréal, d’autre part.


Créé en 2015, ce campus anglophone connaît un essor phénoménal, sa fréquentation passant de 35 à 2200 étudiants. C’est deux fois plus que les effectifs du cégep dans sa région. Comme les droits de scolarité de 15 000 $ sont entièrement à la charge des étudiants étrangers et qu’aucuns fonds publics ne sont engagés, le cégep, qui encaisse des profits d’un million par an grâce à ce programme, n’a aucune permission à demander au ministère et à son titulaire, a précisé le responsable de l’initiative, Sylvain Vachon, qui manie le langage entrepreneurial. « On est toujours à la recherche de nouveaux marchés, de nouveaux produits, de nouveaux clients et ça, [tant] sur le territoire de la Gaspésie et des Îles qu’à l’extérieur du Québec », a-t-il affirmé sur les ondes du 98,5 FM. Des cégeps anglais à Montréal s’apprêtent à « percer ce marché », a-t-il précisé.


Pour recruter les étudiants à l’étranger, le cégep fait affaire avec une entreprise privée, Matrix College. On ne connaît pas les frais qu’elle exige de ses « clients » ni ce qu’elle leur fait miroiter. Cette formation minimaliste, associée au permis de travail de deux ans qui suit, peut certes apparaître comme une voie rapide pour émigrer au Canada. Or ces étudiants étrangers ne sont pas admissibles au Programme d’expérience québécoise (PEQ) parce qu’une simple AEC n’y donne pas droit, contrairement au diplôme d’études collégiales (DEC) ou aux diplômes universitaires. Chose certaine, ce n’est pas cette formation sommaire que viennent chercher ici ces jeunes Indiens ou Chinois.


Mardi, le ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, Jean-François Roberge, a réagi mollement, trouvant « intéressant » que notre réseau d’enseignement supérieur soit reconnu sur le plan international, exigeant seulement que le campus fournisse une version française de son site Internet et offre éventuellement des cours en français. En revanche, François Legault a dit qu’il n’était « pas à l’aise » avec l’initiative du cégep.



Force est de constater que le plan d’affaires du campus montréalais du cégep de la Gaspésie et des Îles fonctionne à merveille. S’il accueille 2200 étudiants étrangers, combien en comptera-t-il demain ? Le marché est exponentiel quand on pense aux centaines de millions d’Indiens et de Chinois qui font partie de cette classe moyenne émergente. La business internationale du cégep anglais au Québec est promis à un brillant avenir. Sky is the limit !


C’est justement là le problème. Il y a des limites à la marchandisation de l’éducation supérieure au Québec. Il existe une différence entre des cégeps en région qui tentent d’assurer leur survie en accueillant en français des étudiants étrangers — ils représentent 45 % des effectifs du cégep de Matane, par exemple — et un collège qui ajoute des milliers d’étudiants qui s’expriment en anglais aux quelque 13 000 étudiants étrangers fréquentant l’Université McGill.


Le Mouvement Québec français a raison de souligner que l’essor de ce campus anglophone accélère l’anglicisation de Montréal. Certes, la présence d’étudiants étrangers au Québec — on en compte 60 000, établis principalement dans la métropole — est un atout. Mais leur nombre ne peut s’accroître de façon incontrôlable. On ne peut nier que cet afflux entraîne son lot d’effets pervers, comme la rareté des logements et les hausses considérables des loyers sur l’île.


Il serait possible d’augmenter par dizaine de milliers le contingent d’étudiants étrangers inscrits à des programmes en anglais, mondialisation oblige, surtout si les cégeps anglais entrent dans la danse. Mais ce serait au détriment du visage français, déjà amoché, de Montréal.


Ce développement sans entrave contrevient d’ailleurs à la politique d’immigration du gouvernement caquiste qui mise sur la régionalisation, lui qui doit accoucher cette année d’une nouvelle politique linguistique. Qu’il en profite pour mettre le holà à cette dérive marchande.

 



Une version précédente de cet éditorial comportait une erreur dans le nom du directeur du groupe Collegia. Il s'agit bien de Sylvain Vachon, et non Sylvain Rochon. Nos excuses.


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