Enseigner l’histoire au Québec est-il devenu subversif?

Les masques tombent


« Certains disent qu’il ne faudrait pas enseigner l’histoire parce qu’elle est politique, mais ça ne veut pas dire qu’elle amène à faire un choix pour tel ou tel autre parti. Ça veut dire que quand on raconte l’histoire, il y a des enjeux politiques. On peut enseigner intelligemment sans tomber dans la propagande »


Patrick Moreau, professeur de littérature au collège Ahuntsic et auteur de Pourquoi nos enfants sortent-ils de l’école ignorants ? aux éditions Boréal


Voilà qu’on apprend aujourd’hui que le ministre libéral-caquiste de l’éducation Sébastien Proulx va mettre la hache dans l’implantation des cours d’histoire au niveau secondaire prévue en septembre prochain… Il y avait péril en la demeure! S’il fallait que les prochaines générations soient informées des repères socio-politiques de leur histoire!


Mettre fin à l’enseignement aseptisé de l’histoire du Québec…


Quand le très éphémère gouvernement Marois a décidé de réintroduire des cours d’enseignement de l’histoire au niveau collégial et au secondaire, instantanément des critiques se sont fait entendre afin d’accuser ce gouvernement nationaliste d’instrumentaliser ces cours afin de mousser son option politique. Pourtant, priver des générations de jeunes Québécois de l’enseignement de leurs repères historiques n’est-il pas, aussi, implicitement, un choix éminemment politique? Celui très dommageable d’imposer l’oubli? L’absence de repères essentiels à la compréhension des enjeux politiques très actuels?


La réalité c’est que le Québec a ceci de particulier; quand vient le temps de réfléchir au nécessaire enseignement de l’histoire à l’école, des visions conflictuelles s’affrontent. Le gouvernement Marois voulait moderniser les cours d’histoires au secondaire dont la dernière mise à jour datait de 2006. Voici ce que l’éditorialiste du Devoir Antoine Robitaille disait des cours d’histoire concoctés sous la gouvernance libérale de Jean Charest (2006):


« En avril 2006, à la suite d’informations dévoilées par Le Devoir, un débat féroce avait éclaté autour d’un nouveau programme d’histoire de 3e et 4e secondaire. L’optique du projet, décrite par les concepteurs mêmes du programme, était postnationale : il s’agissait de rendre l’histoire « moins conflictuelle », « moins politique », d’« en finir avec l’espèce de vision misérabiliste qui perdure ». »


L’enseignant au collégial Patrick Moreau, cité en tête du présent article, explique comment l’enseignement de l’histoire de façon désincarnée de repères politiques et sociaux empêche les étudiants de bien saisir le contexte de ce que l,on veut leur apprendre :


« Les élèves retiennent peu de choses de ce qu’ils ont appris au secondaire. Quand ils arrivent [au cégep], ils n’ont pas de cadre historique. Ils ont vu des choses, mais ne savent pas quel rapport de causalité il y a entre les événements. Ils n’ont pas une vision claire du passé. »


On pourrait penser que c’est précisément le but de l’exercice. Enseigner des notions historiques privées de contexte, le plus possible désincarnée et vidée de leur référents politiques. Voilà qui fait en sorte que cette histoire demeure aseptisée, que ceux à qui on l’enseigne s’en sentent exclus, étrangers. D’ailleurs, les grandes associations de professeurs d’histoire au Québec réclamaient depuis longtemps que l’on en revienne à un enseignement chronologique des notions historiques, sans les vidées de leur contexte socio-politique.


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La refonte des cours d’histoire très bien accueillie par les professeurs…


En 2014, quand Marie Malavoy, la ministre de l’éducation d’alors, avait présenté le rapport d’experts concernant les nouvelles orientations à privilégier pour les cours d’histoires du niveau secondaire, la Société des professeurs d’histoire du Québec et la Coalition pour l’histoire avaient très bien accueilli l’exercice :


« Le rapport est bien accueilli dans l’ensemble, particulièrement par les groupes qui plaidaient pour le retour d’une trame nationale de l’enseignement de l’histoire du Québec. « Dans l’ensemble, on est très satisfait et on se réjouit de la proposition. Le rapport est bien écrit et très nuancé », a indiqué au Devoir le porte-parole de la Coalition pour l’histoire, Robert Comeau. Le retour à l’enseignement chronologique, le titre du cours, le renforcement de la formation universitaire, le nouvel équilibre compétences/connaissances… À peu près toutes les recommandations du rapport satisfont la Coalition. Seul bémol : elle aurait aimé que soit complètement éliminée la référence à l’éducation à la citoyenneté, qu’elle considère « prescriptive », contrairement à l’histoire qui est « analytique ».


Le professeur au département de didactique de l’Université de Montréal, Marc-André Éthier, confirme que la trame nationale est « très assumée » mais n’y voit pas d’inconvénient et ne croit pas que cela diffère de ce qui s’enseigne actuellement dans les écoles.


Pour sa part, la Société des professeurs d’histoire du Québec accueille positivement le rapport. « C’est un pas extrêmement positif et dans le bon sens. Il y a bien sûr des détails qui mériteraient d’être peaufinés mais l’esprit général du document va tout à fait dans le sens de ce qu’on demande depuis des années », a souligné Félix Bouvier, vice-président de la SPHQ. »


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Fin de l’enseignement de « l’histoire nationale »…


À la lumière de tout le travail qui avait été fait, de l’implication des nombreux intervenants dans les études et les analyses faites en 2013 et 2014, on peut bien se demander pourquoi, moins de 18 mois après son implantation graduelle, très limitée, le ministre de l’éducation libéral Sébastien Proulx vient annoncer aujourd’hui que la mise en place complète de ces cours d’histoire prévue pour l’automne prochain est désormais annulée, stoppée net.


« Ouf! Il s’en est fallu de peu! » diront ceux qui profitent le plus de l’ignorance de plus d’une génération de jeunes Québécois à qui l’on n’a plus enseigné ses repères historiques!


Le ministre Proulx (et son gouvernement) s’insurgerait que le nouveau cours d’histoire ne fasse pas une place assez grande aux minorités culturelles et linguistiques selon un texte paru aujourd’hui sur CTV News:


« A proposed high school history course that critics said ignored minorities in Quebec and promoted a rigid, nationalist ideology will not be implemented provincewide as planned, sources familiar with the program said Thursday. Instead, the Education Department will make changes to the program to better reflect the province’s cultural and linguistic minorities, according to an official in the department as well as other well-placed sources. »


Ah les cours d’histoire, ces vecteurs d’une idéologie nationaliste radicale…


On apprend aussi dans le texte de CTV News toute la joie du groupe Quebec Community Groups Network, un organisme voué à la défense des droits de la minorité linguistique anglophone au Québec qui reçoit son financement du gouvernement… fédéral! Ce groupe s’oppose depuis longtemps à l’enseignement « national » de l’histoire au Québec. Aujourd’hui, il crie victoire:


« This is absolutely good news, » said Sylvia Martin-Laforge, head of the Quebec Community Groups Network, a federally funded organization that advocates for the province’s anglophone community.


« We understand that the minister was not happy with the material. It would seem that people were eager (in the Education Department) to roll out this program and the minister had the courage to say ‘No. We will not roll this out. »


Implicitement, la cheffe du Quebec Community Groups Network accuse l’ensemble des intervenants du ministère de l’éducation d’avoir voulu implanter le plus rapidement possible la nouvelle mouture des cours d’histoire; un genre de complot de méchants « nationalistes » contre la très bafouée et si maltraitée minorité anglophone du Québec. Mais, se félicite Sylvia Martin-Laforge, le ministre Proulx a eu le courage de leur dire non! Nous ne procéderons pas!


Refuse d’enseigner l’histoire au collégial, au secondaire, relève aussi d’un choix qui est éminemment politique… 


Pour bien saisir l’ampleur de la carence de l’enseignement de l’histoire, mais cette fois au niveau collégial, on lire avec beaucoup d’intérêt cette étude de Myriam D’Arcy et de l’historien Gilles Laporte. Le mot de la fin au chroniqueur du Devoir Louis Cornellier, cité par D’Arcy et Laporte…


« Pour Louis Cornellier, un fin observateur du milieu collégial québécois, « à ne pas fréquenter l’histoire, un peuple se vide de sa substance. Le Québec devrait en convenir et donner, dans l’école, des heures à l’histoire. Les querelles d’écoles et de méthodes, par ailleurs passionnantes, sont secondaire».« 


« Derrière le déclin de l’histoire du Québec, c’est en fait le concept même de nation québécoise qu’on est à sortir des écoles, au profit d’une histoire « citoyenne » qui confond valeurs universelles et valeurs québécoises et qui refuse de voir le cheminement historique du peuple québécois autrement que par une série de singularités. »





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