Egypte : l'armée adresse un ultimatum aux forces politiques

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Le dénouement de la situation en Égype mobilisera bien des acteurs internationaux: nous sommes dans la deuxième phase des révolutions arabes

Au lendemain de rassemblements qui ont réuni plusieurs millions de personnes à travers le pays, la crise politique s'aggrave en Egypte : le siège des Frères musulmans au Caire a été mis à sac, lundi 1er juillet, et plusieurs ministres auraient remis leur démission. Face à cet enlisement, l'armée a adressé un ultimatum de quarante-huit heures aux forces politiques du pays.
L'armée adresse un ultimatum
Dans une allocution télévisée, lundi, le chef d'état-major de l'armée égyptienne a accordé quarante-huit heures aux responsables politiques pour "satisfaire les demandes du peuple", expliquant que celles-ci ont été exprimées d'une manière "sans précédent" et que le pays ne peut plus se permettre de perdre du temps. Le général Abdel Fatah Al-Sisi n'a pas demandé explicitement la démission du président Mohamed Morsi, principale revendication des opposants qui ont manifesté par millions dimanche. Il a en revanche déclaré que l'armée présenterait sa propre "feuille de route" pour sortir de la crise si les politiques n'arrivent pas à s'entendre. Il a ajouté que l'armée, qui a géré la transition entre la chute d'Hosni Moubarak en février 2011 et l'élection de Mohamed Morsi l'été dernier, ne souhaitait plus s'impliquer en politique ou au gouvernerment.
L'allocution du chef d'état-major a été accueillie par des cris de joie place Tahrir au Caire. "Morsi n'est plus notre président, Sisi avec nous", ont notamment scandé les manifestants lorsque la photo du général Abdel Fatah Al-Sisi est apparue à l'écran. Cinq hélicoptères de l'armée arborant le drapeau égyptien ont ensuite survolé Le Caire en boucle, et ont été ovationnés par les manifestants. Redoutant de graves troubles, l'armée et la police s'étaient déployées à travers le pays pour renforcer la protection des installations vitales, notamment le canal de Suez. Les militaires se sont dits récemment prêts à intervenir si le climat dégénérait.
Démission de quatre ministres
Selon l'agence officielle égyptienne MENA, cinq ministres se sont réunis pour étudier la possibilité d'une démission collective et leur ralliement au mouvement de protestation. Des sources gouvernementales citées par l'AFP et Reuters avancent que quatre d'entre eux ont d'ores et déjà présenté leur démission au premier ministre, Hicham Qandil : les ministres du tourisme, de l'environnement, des communications, et des affaires juridiques et parlementaires.
Obama appelle "toutes les parties à la retenue"
"Toutes les parties doivent faire preuve de retenue", a averti Barack Obama lors d'une conférence de presse à Dar es Salaam (Tanzanie), ajoutant qu'on ne pouvait pas "parler de manifestation pacifique quand il y a des agressions contre des femmes". Le président américain, qui effectue en Tanzanie la dernière étape d'une tournée en Afrique sub-saharienne, ne s'est pas prononcé explicitement sur les appels de l'opposition égyptienne au départ de M. Morsi, mais il a appelé le gouvernement égyptien à faire davantage pour enrayer la discorde dans le pays. "Ce qui est clair aujourd'hui, c'est que, même si M. Morsi a été élu démocratiquement, il faut faire plus pour créer les conditions dans lesquelles chacun a le sentiment que sa voix est entendue" en Egypte, a ajouté le président américain.
"Pour prendre nos décisions sur l'aide à l'Egypte, nous nous posons la question : 'la loi et les procédures démocratiques sont-elles respectées ?'", a précisé Barack Obama. "Nous ne prenons pas ces décisions en comptant simplement le nombre de participants à une marche de protestation. Nous regardons si oui ou non un gouvernement écoute l'opposition, s'il maintient la liberté de la presse et la liberté de réunion, s'il évite de recourir à la violence et à l'intimidation, s'il organise des élections libres et honnêtes." "Sur tous ces sujets, nous faisons pression sur le gouvernement égyptien", a souligné le président américain.
Le mouvement Tamarrud refuse le dialogue avec Mohamed Morsi, Al-Azhar "inquiète"
A l'origine de la contestation, le mouvement Tamarrud estime que "l'armée s'est rangée au côté du peuple" après l'allocution du général Abdel Fatah Al-Sisi. Il avait précedemment sommé Mohamed Morsi à quitter le pouvoir avant mardi. En cas de refus, le mouvement appelle à une "campagne de désobéissance civile totale". Le mouvement rejette l'appel au dialogue lancé le même jour par le président Morsi. "Impossible d'accepter les demi-mesures. Il n'y a pas d'autre alternative que la fin pacifique du pouvoir des Frères musulmans et de leur représentant, Mohamed Morsi." Tamarrud, soutenu par de nombreuses personnalités et des mouvements de l'opposition laïque, libérale ou de gauche, assure avoir collecté plus de 22 millions de signatures pour une présidentielle anticipée, soit plus que le nombre d'électeurs de M. Morsi en juin 2012 (13,23 millions).
La grande institution islamique Al-Azhar, principale autorité sunnite, a de son côté exprimé son inquiétude face à la présence d'hommes armés dans les manifestations "pacifiques". "Al-Azhar suit ce qui se passe avec une profonde inquiétude, en particulier les informations sur les victimes et l'arrestation de passeurs d'armes qui semblent avoir infiltré les rassemblements pacifiques", a annoncé dans un communiqué l'institution, redoutant un "nouveau bain de sang".
Les Frères musulmans dans l'attente, leur siège saccagé
"Les Frères musulmans étudient le communiqué de l'armée", a déclaré Mahmoud Ghozlan, un haut responsable de la confrérie, précisant que le bureau politique du mouvement allait se réunir pour "décider de sa position". Lundi, des manifestants ont attaqué le siège des Frères musulmans. Le bâtiment, dans le quartier du Moqqatam, situé dans l'est du Caire, a été envahi par des assaillants qui ont jeté des objets par les fenêtres, tandis que d'autres emportaient des meubles. Aucun membre de la confrérie ne se trouvait à l'intérieur du bâtiment, qui avait été évacué dans la nuit.
Les Frères musulmans ont déclaré qu'ils ne toléreraient plus les attaques contre les institutions. Le porte-parole de la confrérie a ajouté que la formation de milices d'autodéfense, sur le modèle des "comités de défense populaire" formés pendant le soulèvement contre Hosni Moubarak en 2011, était l'une des pistes étudiées. "Il est très dangereux qu'une partie de la société utilise la violence comme un moyen d'obtenir le changement, car cela pourrait inciter d'autres à faire de même", a dit le porte-parole en critiquant l'absence des services de sécurité autour de leur quartier général.
Seize morts dans les manifestations dimanche
Au moins seize manifestants ont été tués dimanche, selon le ministère de la santé, dont huit au Caire dans des heurts entre partisans et adversaires du président, et six dans les provinces de Beni Suef, Assiout, Kafr Al-Cheikh et Fayoum. Un manifestant est mort asphyxié devant le palais présidentiel au Caire et un autre des suites de ses blessures à Alexandrie. Les cortèges, d'une ampleur sans précédent depuis la révolte qui fit chuter le président Hosni Moubarak au début de 2011, ont défilé en scandant "Dégage" et "le peuple veut la chute du régime".
L'armée estime à "14 millions" le nombre de manifestants descendus dans la rue – sur une population de 84 millions d'Egyptiens –, a déclaré une source militaire. Il s'agit "de la plus grande manifestation de l'histoire de l'Egypte", a ajouté cette source sous couvert de l'anonymat. Les adversaires de M. Morsi dénoncent une dérive autoritaire du pouvoir destinée à instaurer un régime dominé par les islamistes, ainsi que son incapacité à relancer l'économie. Ses partisans en revanche soulignent qu'il puise sa légitimité dans la première élection présidentielle libre de l'histoire de l'Egypte. Ils accusent l'opposition laïque de faire le jeu des nostalgiques de l'ancien régime.


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