Du bon sens à l'intolérance

Laïcité — débat québécois



Le projet de loi du gouvernement Charest sur le voile comporte deux failles, dont la plus importante est qu'il pénalisera injustement les (très rares) femmes qui s'obstinent à porter le voile intégral, en leur interdisant l'accès aux services publics. Cette clause sera sans doute renversée par les tribunaux et ce sera bien mérité.
Que l'on interdise le port du niqab aux employés des services publics est une mesure parfaitement acceptable, c'est même une affaire de gros bon sens. Mais refuser à une femme portant le niqab de fréquenter une école ou de se faire soigner, c'est de l'intolérance pure.

Il faut des raisons extrêmement graves pour refuser à un citoyen (ou à un immigré) l'accès aux services publics, à plus forte raison ceux de première nécessité comme l'éducation ou la santé. Cela peut être le cas lorsque le demandeur a un comportement agressif et violent. Mais une femme intégralement voilée ne représente en elle-même aucune menace pour quiconque.
Si, comme ce fut le cas de la fameuse Naema, elle dérange les autres étudiants par des exigences outrancières, on peut l'expulser du cours comme on expulse un élève indiscipliné qui perturbe systématiquement le déroulement d'une classe. Mais si elle s'assoit au fond de la salle et ne dérange rien ni personne, pourquoi lui refuserait-on le droit élémentaire à l'instruction ou aux cours de français? Veut-on confiner ces pauvres femmes, déjà enfermées dans leur prison de tissu, à l'isolement total sans leur offrir au moins la chance de pouvoir un jour s'intégrer à la société?
Même chose, en pire, pour le droit aux services de santé: ce projet de loi ouvre la porte à la possibilité qu'une femme intégralement voilée soit refusée aux urgences d'un hôpital ou dans un CLSC. Ce serait indigne d'une société civilisée.
Le projet de loi accepte l'idée des accommodements raisonnables, mais seulement s'ils ne heurtent pas le principe de l'égalité des sexes. Encore une aberration. On ne peut pas proscrire des comportements personnels, quand ils sont pacifiques, au nom d'un principe moral qui est forcément subjectif. À ce compte-là, pourquoi ne pas interdire les commerces de danseuses nues, qui transforment les femmes en objets sexuels? Pourquoi ne pas fermer les églises catholiques, où l'on confine les femmes dans des fonctions subalternes puisque la prêtrise leur est interdite?
Ce projet de loi est certes immensément populaire, mais la popularité n'est pas une garantie de justice en matière de libertés fondamentales.
La seconde faille est d'un tout autre ordre, il s'agit ici d'une omission. Comme la ministre de la Justice, Kathleen Weil, semble elle-même y songer, la loi pourrait très bien reprendre la suggestion du rapport Bouchard-Taylor, et interdire le port de tout signe religieux ostentatoire aux détenteurs de l'autorité - juges, procureurs de la Couronne, policiers, gardiens de prison, auxquels il faudrait logiquement ajouter les douaniers (mais ces derniers relèvent du fédéral). Pour ces fonctions, les apparences de la plus stricte neutralité doivent en effet s'imposer.
À vrai dire, une telle interdiction ne ferait que confirmer ce qui se fait déjà dans la pratique - les juges et les policiers s'abstenant d'eux-mêmes d'afficher leur religion.
Le projet de loi a le mérite d'éviter de stigmatiser nommément les musulmanes intégristes - le texte ne parle ni de niqab, ni de burqa, ni de signes religieux. En principe, la même interdiction pourrait s'appliquer aux porteurs de cagoules... mais à qui fera-t-on croire que cette loi en est une d'intérêt général plutôt qu'une mesure discrétionnaire exclusivement dirigée contre une infime minorité de femmes se réclamant de l'islam? Au fait, combien de femmes intégralement voilées ont-elles sollicité un poste dans la fonction publique?


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