De temps à autre, alors que je fais du porte-à-porte ou que j'assiste à un événement parmi une foule de têtes grises, un vieil indépendantiste me demande plein d'espoir si les jeunes d'aujourd'hui sont souverainistes. Voulant garder l'espoir présent, et parce que c'est tellement plus facile de ne pas décevoir, je réponds à tous coups que oui, les jeunes québécois sont très majoritairement souverainistes. Cette réponse, n'est pas fausse, mais elle est au moins rigoureusement incomplète.
Puisque l'indépendance n'est pas qu'une idée mais une cause, il faut que les prétendants à cette voie ne soient pas que des partisans idéologiques, mais des militants. C'est là tout le problème... Demandez aux vastes majorités des jeunes d'aujourd'hui de passer 5 minutes à parler de ses idées politiques, ou même de dépenser 5$ pour que d'autres les propagent, c'est déjà trop, souvent beaucoup trop. Alors à savoir si ma génération va participer à un combat qui demande abnégation et conscience sociale, rien n'est moins sûr.
En cette ère de facilité c'est de « perdre son temps » que d'étudier l'histoire, ou simplement de réfléchir un peu sur ce que nous attendons de notre société. Nous perdons conscience de l'importance qu'a la culture collective au cœur de chacun de nous. Nous oublions aussi que nous ne faisons pas que parti du Québec, nous sommes le Québec. Finies les soirées où de jeunes Québécois allaient écouter de la poésie, des pièces de théâtre ou participer à de longues discussions politiques. Il ne nous reste plus que quelques fous, comme moi, comme d'autres, qui sentent l'importance du combat et qui deviennent « le souverainiste » de leur entourage.
Ainsi, quand j'observe la lutte que nous menons actuellement, je ne peux que me questionner sur l'évolution du mouvement indépendantiste depuis une trentaine d'années. Nous avons actuellement près de trois millions de partisans, mais nous pourrions à peine mobiliser 1000 personnes dans la rue comme au temps du RIN.
Nous avons un parti qui prend fréquemment les rênes du pouvoir, mais qui tient ses messes à vide, comme autant d'assemblées de caisses de populaires.
Nous avons 135 000 membres inscrits, mais combien sont prêts à plus que de donner leur 5 $ une fois par année ? À lire du Vallière, à écouter parler Lévesque ou à sentir les hurlements en réponse au général de Gaulle, c'est se demander si la majorité que nous touchons presque sera utile en quoi que ce soit dans cette lutte.
Pour dire vrai, les Québécois ne veulent plus entendre parler d'indépendance, comme ils ne veulent plus entendre parler de rien. Si encore ils étaient farouchement fédéralistes, ça nous donnerait au moins une pierre d'assise sur quoi bâtir, mais dans le vide, comment ériger quoi que se soit ?
Nul doute que si cette situation demeure encore longtemps, le noyau indépendantiste fort se radicalisera progressivement, répondant à une indifférence grandissante. Que peuvent les quelques milliers de véritables libérateurs de peuple contre la lâcheté et l'aplaventrisme d'une jeunesse qui ne connaît que son nombril ou celui de la planète, mais jamais de celui de son pays.
L'ennemi veston-cravate que nous subissons actuellement est bien pire qu'un tyran conventionnel, parce que son influence est insidieuse, et qu'on ne peut le saisir qu'intellectuellement. La faim et la misère sont matérielles et tangibles, l'édulcoration culturelle et l'assimilation sont des phénomènes lents et indolores. Le mouvement de décolonisation des années 70 n'a fait que la moitié de son parcours. Nous avons la main mise sur notre culture, notre économie, et même partiellement sur notre langue, mais toujours pas sur les réelles rênes du pouvoir politique.
Le mouvement souverainiste doit impérativement devenir plus qu'une police d'assurance contre l'influence néfaste des puissances économiques et politiques, il devra un jour donner au Québec un choix définitif entre sa disparition et une transition volontaire vers un statut stable pour un peuple qui n'a jamais rien connu de tel.
Julien Gaudreau
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