Emprunts toxiques

Dexia juge «inacceptable» l'article de Libération

DEXIA - faut-il recapitaliser les banques?


Un listing que nous nous sommes procurés recense 5.500 collectivités locales et établissements publics français qui ont souscrit des emprunts toxiques entre 1995 et 2009.

La banque Dexia a qualifié mercredi d’«inacceptable» les révélations que nous avons publiées sur les prêts toxiques vendus par cet établissement bancaire à des collectivités locales.
«Des données erronées et tronquées ont servi de support à cet article qui met en cause la compétence et l’intégrité des collaborateurs de Dexia ainsi que des élus et agents administratifs des collectivités locales, ce qui est inacceptable», accuse la banque dans un communiqué.
«Non seulement Dexia les conteste mais examine toutes les suites juridiques à donner pour défendre l’intérêt de ses collaborateurs et de ses clients», ajoute-t-elle.
Selon la banque, «l’article assimile de façon abusive les crédits structurés à des "crédits toxiques" et fait état de chiffres fantaisistes qui ne reflètent aucunement la réalité».
Selon nos informations et la consultation d'un «fichier confidentiel» de la banque, 5.500 collectivités locales et établissements publics français y ont souscrit des emprunts toxiques entre 1995 et 2009.

A consulter: la carte que publie Libération indiquant les collectivités locales ayant contracté des produits financiers fournis par Dexia qui pourraient risquer, dans certains cas, de les conduire à la ruine.

La banque rétorque notamment qu’«il est totalement infondé et irresponsable d’avancer que "des milliers de communes françaises sont en faillite en raison des crédits structurés souscrits auprès de Dexia"».
Dexia conteste le chiffre du surcoût de ces emprunts évalués à 3,9 milliards d’euros, «sans aucun fondement», et dément avoir «"piégé les communes"».
Les prêts «ont été conclus à la suite d’appels d’offres lancés à l’initiative des collectivités locales qui le demandaient explicitement, le plus souvent accompagnées par des cabinets de conseil externes», souligne-t-elle.
Les crédits toxiques sont considérés comme les plus spéculatifs et les plus risqués de la famille des produits structurés. Ces derniers présentent des degrés de risque sur une échelle de 1 à 5. Les emprunts toxiques représentent le risque maximum, classé 5. Ils reposent sur des taux d’intérêt variables, indexés sur des valeurs extrêmement volatiles comme les variations de change, les écarts de taux d’intérêts ou le baril de pétrole, qui peuvent baisser ou augmenter dans des proportions importantes et impossibles à maîtriser.
(Source AFP)
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Collectivités : Dexia s’est payé leur dette
Un listing que s’est procuré Libération recense les prêts toxiques vendus par la banque aux villes, départements et régions, désormais exsangues.

Par NICOLAS CORI
Logo de Dexia sur un bâtiment du quartier de La Défense, à la pérphérie de Paris, le 1er février 2010. (© AFP Jacques Demarthon)
C’est un document exceptionnel que révèle aujourd’hui Libération. Nous nous sommes procuré un fichier confidentiel de la banque Dexia crédit local (DCL), qui recense les 5 500 collectivités locales et établissements publics ayant souscrit les fameux «prêts toxiques» entre 1995 et 2009. Ce listing, publié en intégralité sur notre site, montre que tout le monde est concerné : collectivités de droite comme de gauche, grandes communautés urbaines comme petites villes… Il atteste qu’au plus fort de la bulle, DCL avait distribué pour 25 milliards d’euros à ses clients. Et, selon l’estimation faite par la banque, le surcoût de ces emprunts était évalué à 3,9 milliards d’euros à la fin 2009. Ce qui veut dire que les collectivités devraient payer une pénalité de cet ordre.
Par exemple, Antibes, qui avait emprunté 60 millions, paierait 21 millions en plus de cette somme. Le département de la Loire réglerait, lui, une ardoise de 22 millions en sus des 96 millions de prêts toxiques et l’hôpital de Dijon devrait s’acquitter de 31 millions d’intérêts pour un emprunt toxique de 111 millions.
Couler. Banque historique des collectivités locales, DCL est la première à avoir poussé les élus à ne plus recourir aux bons vieux prêts à taux fixe. Mais elle n’est pas l’unique responsable : les Caisses d’épargne et le Crédit agricole étaient aussi très présents sur ce marché. Le document de Dexia signifie en tout cas que la faillite de certaines communes n’est plus une hypothèse invraisemblable. En raison de l’irresponsabilité passée des banques et des élus, les collectivités locales (villes, régions, départements, communautés de communes…) et les établissements publics locaux (hôpitaux, syndicats d’économie mixte…) ont dans leurs comptes des stocks d’emprunts toxiques, qui risquent de les couler totalement. Et du même coup, ce sont des dizaines de services publics qui risquent d’être affectés : crèches, écoles, collèges, voirie, ramassage des ordures… sont financés par les collectivités territoriales.
Gavé. Ces questions devraient être abordées aujourd’hui à l’Assemblée nationale. Claude Bartolone, député PS, préside une commission d’enquête sur les «produits financiers à risque souscrits par les acteurs locaux» et il a prévu de donner la parole à des responsables de collectivités dans la panade.
Bartolone est particulièrement concerné. En tant que président du conseil général de Seine-Saint-Denis, il a découvert en 2008 que son département, sous la direction des communistes, s’était gavé de prêts basés sur l’évolution comparée du franc suisse, de l’euro, du yen et du dollar. Depuis, il a déposé plainte contre Dexia et prit la tête d’une association qui regroupe des collectivités très touchées. Avec la crise de l’été, ses critiques trouvent un écho croissant : à cause de la hausse du franc suisse, de nombreuses communes ont vu leur taux d’intérêt passer à 10 ou 15%.
Mais l’addition pourrait encore grimper avec des prêts qui courent jusqu’en 2025 ou 2030. Les emprunts toxiques n’ont pas fini de pourrir la vie des collectivités. Et des contribuables, sur qui pèse une double menace : l’augmentation des impôts locaux et un déficit de services publics.
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Diagnostic d’une intoxication généralisée
Analyse - En quinze ans, 5 500 collectivités ont souscrit à ces produits complexes, au bénéfice des grandes banques.

Par NICOLAS CORI
Une banque qui s’est comportée comme un dealer de produits financiers complexes, des collectivités locales qui se sont droguées au risque de faire faillite et des banques d’affaires internationales qui se sont gavées sur le dos des contribuables français. Voilà la réalité du scandale des emprunts toxiques, qui s’est déroulé, en toute opacité, dans les années 2000, au cœur des finances locales françaises.
Des prêts toxiques vendus par milliers
A la base, il y a un constat fait à la fin des années 90 par Dexia, ex-Crédit local de France, financier historique des collectivités locales. Les taux d’intérêt sont bas, la concurrence diminue les marges et les collectivités sont réticentes à augmenter leur fiscalité. Pourquoi ne pas leur offrir des solutions de «prêt structurés» ? Ces produits ont l’air formidables : ils offrent des taux d’intérêt très bas les premières années et les collectivités peuvent immédiatement faire des économies. Les banquiers, eux, peuvent en profiter en augmentant leurs commissions.
En fait, ces prêts sont un piège mortel. Car, les économies des premières années sont contrebalancées par un risque énorme. Trois ou quatre ans après le début du prêt débute la phase dite «structurée». Les taux sont calculés en fonction de formules absconses, à partir d’indices financiers très variés (comme le cours du franc suisse, du yen ou du dollar). Et là, on entre dans un monde de fous, où tout événement mondial ayant des répercussions économiques (catastrophe de Fukushima, décision de la Banque centrale suisse…) peut renchérir les remboursements d’une commune française.
Or, malgré cette complexité, la plupart les élus et responsables de collectivités se sont jetés sur ces prêts. A fin 2008, Dexia avait vendu à 5 500 clients pour 25 milliards d’euros de prêts structurés. Mais la banque franco-belge n’est pas la seule en cause : les Caisses d’épargne, le Crédit agricole ou la Société générale ont aussi été très actifs.
De grandes banques qui se gavent
Ces prêts structurés sont un risque énorme pour les collectivités. Mais aussi pour celui qui les commercialise. Dexia a donc cherché à se couvrir auprès de grandes banques internationales. Concrètement, la banque a acheté auprès de JP Morgan ou Goldman Sachs des «swaps structurés», c’est-à-dire des contrats d’échange, qui font en sorte que sa position soit équilibrée. Exemple, si la hausse du franc suisse fait gagner de l’argent à une collectivité, ce n’est pas Dexia qui perd mais la banque qui couvre. Et si la collectivité perd, Dexia ne gagne rien, c’est sa contrepartie qui est bénéficiaire.
Du coup, le montage mis en place est totalement à l’avantage des grandes banques. Seules ces dernières disposent d’outils informatiques et d’experts pour anticiper sur les marchés. Et si elles spéculent bien, le jackpot est au rendez-vous. Les banques enregistrent le plus à gagner du prêt comme bénéfice et elles récupèrent de la trésorerie. Les contrats de swaps signés prévoient en effet un système de caution, Dexia devant y être de sa poche en cas d’évolution des emprunts.
Dès la fin 2009, on pouvait avoir une idée du coût pour les collectivités de ces montages très toxiques : au moins 4 milliards d’euros. Soit autant d’argent qui est allé dans les poches des grandes banques. JP Morgan a ainsi engrangé 712 millions d’euros de bénéfice, Royal Bank of Scotland 676 millions et Goldman Sachs 507 millions.
Des collectivités qui risquent la faillite
Pour les collectivités, le piège s’est refermé.
Même avec la meilleure volonté du monde, Dexia ne peut pas offrir à ses clients une sortie acceptable, en transformant leurs prêts toxiques en emprunt à taux fixe. Ce serait alors elle qui se retrouverait avec un risque de perte énorme face aux banques internationales qui lui ont vendu les swaps structurés. Et ces dernières n’ont aucun intérêt à faire des cadeaux à Dexia ou aux communes françaises.
En réaction, certaines collectivités ont porté plainte (c’est le cas de la Seine-Saint-Denis), d’autres, comme Argenteuil (lire page 4), tentent de diminuer leur risque en jouant sur les marchés et la plupart diminuent simplement leurs investissements. «La hausse du franc suisse, c’est un collège en moins pour la Seine-Saint-Denis», résume Claude Bartolone, président du département. Mais la principale conséquence pourrait être une augmentation des impôts. Les collectivités n’ont en effet pas le droit de présenter des budgets déséquilibrés. Cela veut dire que, in fine, les contribuables seront les grands perdants de ce jeu toxique.


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