Devise du Québec : la légende court toujours

L’âme des peuples se trouve dans leur histoire


La
légende qui circule au sujet de l’origine et de la signification de la devise du Québec est comme la mythologique hydre de Lerne; on croit lui avoir coupé une tête (elle en avait plusieurs), il en repousse deux. Accouplée avec cet autre monstre que constitue Internet, elle devient quasi indestructible.
Prenant le relais du premier ministre, qui avait propagé la légende jusqu’au Japon en 2005 avant de la répéter devant Sarkozy en 2008, le président de l’Assemblée nationale a invité ses collègues jeudi dernier « à réfléchir sur ce mot d'Eugène-Étienne Taché: Je me souviens d'être né sous le lys et d'avoir grandi sous la rose », expression dont nous aurions « conservé le Je me souviens », pour en faire la devise du Québec.
Cette interprétation n’a pas de fondement historique. Il serait trop long de démontrer ici que la devise du Québec n’a jamais compris que trois mots, « Je me souviens » et que son concepteur ne lui a pas donné de complément car son emplacement original, au-dessus de la porte de l’Hôtel du Parlement, lui donnait tout son sens. Ceux et celles que le sujet intéresse trouveront une étude sur cette question dans l’encyclopédie virtuelle Agora (depuis 2001), étude reproduite dans Le Parlement de Québec (Multi-Mondes, 2005) et résumée dans L’Action nationale (2001), Québecensia (2003), L’héraldique au Canada (2005), le Bulletin d’histoire politique (2006), The Beaver (2008), L’encyclopédie canadienne (2010) et récemment dans L’encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française), le tout sans susciter la moindre réplique. Ni convaincre aux plus hauts niveaux, visiblement.
Un texte publié précédemment dans Le Devoir, en 1994 s’appuyait sur les propos d’un fonctionnaire francophone de Québec, Ernest Gagnon. La démonstration s’est ensuite enrichie d’un témoignage qui devrait mieux convaincre, celui d’un avocat anglophone de Montréal, David Ross McCord (fondateur du McCord Museum), qui écrivait ceci dans un cahier de notes, vers 1900, sous le titre « French sentiment in Canada » :

« However mistaken may be the looking towards France as a desintegrating factor operating against the unification of the nation – it may be perhaps pardonable – no one can gainsay the beauty and simplicity of Eugene Taché’s words « Je me souviens ». He and Siméon Lesage have done more than any two other Canadians towards elevating the architectural taste in the Province. Is Taché not also the author of the other motto – the sentiment of which we will all drink a toast – « Née dans les lis, je croîs dans les roses ». There is no desintegration there. »


La première phrase de cette citation a posé de la difficulté aux traducteurs consultés mais il serait possible de la rendre ainsi: « Aussi mal avisé que soit cet attachement à la France comme facteur de désintégration jouant contre l’unité nationale – c’est peut-être pardonnable –, personne ne peut nier la beauté et la simplicité du « Je me souviens » d’Eugène Taché. Siméon Lesage et lui ont fait plus que quiconque au Canada pour une architecture de qualité dans la province. D’ailleurs, Taché n’est-il pas aussi l’auteur de l’autre devise, « Née dans les lis, je croîs dans les roses », à laquelle nous lèverons tous nos verres. Il n’y a rien là pour favoriser la désunion ».
Ce passage à lui seul prouve sans l’ombre d’un doute que « Je me souviens » (créée vers 1880) et « Née dans les lis, je croîs (ou grandis) dans les roses » (créée vers 1900 et recyclée sur la médaille du tricentenaire de Québec) sont deux devises DISTINCTES et ne constituent pas un « poème » de Taché, comme plusieurs le prétendent. Mieux encore, ce texte prouve que les deux devises ont un SENS DIFFÉRENT et que la seconde ne peut donc expliquer la première. Enfin, on devine aisément que monsieur McCord est ennuyé par « Je me souviens » et qu’il préfère « l’autre devise » car elle traduit mieux ses opinions politiques.
Il est inutile de chercher l’origine ou l’auteur du poème-fantôme d’où viendrait la devise du Québec; il faut plutôt se demander dans quelles circonstances et par qui, après la mort de Taché, ces deux devises ont été rattachées pour donner une proposition bâtarde -- « Je me souviens que, né dans les lis, je croîs (ou grandis) dans les roses » -- et créer une légende urbaine qui court depuis plusieurs décennies, particulièrement dans la presse anglophone, et dénature la devise du Québec.

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Historien

[http://openlibrary.org/a/OL184953A/Gaston-Desche%CC%82nes->http://openlibrary.org/a/OL184953A/Gaston-Desche%CC%82nes]


[Gaston Deschênes reçoit le Prix Monique Miville-Deschênes de la Culture->http://lepeuplecotesud.canoe.ca/webapp/sitepages/content.asp?contentid=99138&id=815&classif=Nouvelles]





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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    12 avril 2011

    Description
    Ce dépliant décrit les 26 statues ornant la façade de l’hôtel du Parlement, indique leur emplacement dans les différentes niches et présente les sculpteurs qui les ont créées. La majorité de ces statues représentent des hommes et des femmes qui ont marqué l’histoire du Québec et de l’Amérique : fondateurs, explorateurs, militaires, missionnaires, hommes politiques et administrateurs publics
    Pour plus de détails consulter le lien suivant:
    http://www.assnat.qc.ca/fr/publications/fiche-memoire-bronze.html
    Je me souviens!

  • Archives de Vigile Répondre

    12 avril 2011

    Son origine

    En concevant en 1883 les plans du Palais législatif de Québec (aujourd'hui l'Assemblée nationale), Eugène-Étienne Taché (1836-1912), architecte et sous-ministre des Terres de la Couronne, fit graver dans la pierre, sous les armes du Québec qui apparaissent au-dessus de la porte principale du parlement, la devise Je me souviens. Elle fut utilisée et désignée comme la devise du Québec durant plusieurs décennies. L'adoption en 1939 de nouvelles armoiries du Québec sur le listel desquelles elle figure, raffermit son caractère officiel.

    Sa signification
    En l'absence de textes où Eugène-Étienne Taché expliquerait ses intentions, c'est en se plaçant dans le contexte où il a créé cette devise qu'on peut en comprendre la signification. Taché a conçu la décoration de la façade de l'hôtel du Parlement comme un rappel de l'histoire du Québec. Il en a fait un véritable Panthéon. Des bronzes y représentent les Amérindiens, les explorateurs, les missionnaires, les militaires et les administrateurs publics du Régime français, ainsi que des figures du Régime anglais, comme Wolfe, Dorchester et Elgin. D'autres éléments décoratifs évoquent des personnages ou des épisodes du passé et Taché avait prévu de l'espace pour les héros des générations à venir. La devise placée au-dessus de la porte principale résume les intentions de l'architecte : Je me souviens... de tout ce que cette façade rappelle.
    http://www.drapeau.gouv.qc.ca/devise/devise.html

  • Archives de Vigile Répondre

    11 avril 2011

    En 1976, le Parti québécois, favorable à la souveraineté du Québec, était porté au pouvoir. Deux ans plus tard, la phrase Je me souviens était inscrite sur les plaques d'immatriculation de la Belle Province. Il en est résulté une controverse qui dure toujours. Les uns attribuèrent à cette devise une connotation revancharde, les autres y virent un éloge de l'administration anglaise; ils ajoutaient foi à une opinion selon laquelle la phrase complète d'où a été tiré le Je me souviens, était: «Je me souviens que né sous le lys, je croîs sous la rose.» Dans cet article, destiné à devenir un classique de l'analyse des rumeurs, Gaston Deschênes met fin à la controverse.
    Pour en savoir plus sur le sujet consulter le lien suivant:
    http://agora.qc.ca/Documents/Quebec_-_Etat--La_devise_Je_me_souviens_par_Gaston_Deschenes
    Merci M. Deschenes!