Des Idées en revues - Concurrence entre médias: rivaliser en qualité plutôt qu’en insultes

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Un enjeu démocratique de premier plan

Le problème ne se dessine peut-être pas encore clairement dans les grandes villes du Québec - où une masse critique de lecteurs ou d’auditeurs potentiels continue de justifier les investissements commerciaux -, mais [dans certaines] régions du Québec, […] il n’y a presque plus d’information d’intérêt public locale et régionale.
Ainsi, on constate que la crise du modèle d’affaires des médias se double au Québec d’un déséquilibre régional compte tenu de l’occupation particulièrement inégale du territoire. Là où la population est concentrée, il est encore possible d’obtenir des services, bien que la concentration de la propriété des médias - qui atteint au Québec et au Canada des taux inégalés dans le monde - constitue là aussi un sérieux problème. Là où la population est disséminée, le marché n’est plus assez rentable pour combler les attentes et les exigences des entreprises d’aujourd’hui.
De nombreux pays ont réagi à cette crise des médias en accentuant le rôle de l’État dans le soutien aux entreprises de presse de manière à ne pas laisser le champ libre aux seules forces du marché. Au Québec, comme dans le reste de l’Amérique du Nord, le régime de presse libéral considère avec suspicion toute éventuelle intervention de l’État. Il faudra sans doute revoir ce présupposé hérité d’une tradition bien différente de celle issue du modèle de développement québécois.

Impact négatif
De nouvelles voix se font entendre à ce sujet, y compris aux États-Unis, un pays traditionnellement hostile à toute intervention dans ce domaine. Dans un article bien documenté, le Christian Science Monitor fait état des inquiétudes grandissantes de l’autre côté de la frontière concernant l’impact négatif sur l’exercice de la citoyenneté de la disparition - ou du passage sur Internet seulement - de journaux régionaux aux États-Unis : participation moindre à la vie politique locale, baisse du nombre de candidatures aux postes électifs, etc. On commence à peine à mesurer les conséquences de ces fermetures ou diminution de services en information sur l’activité démocratique. Ces études viennent confirmer les travaux d’Henry Milner (2004) sur la compétence civique, directement corrélée, d’après ses travaux, à la quantité et à la qualité de l’information dont une communauté bénéficie.
Parallèlement à ces changements d’ordre économique et sur ce fond de concurrence féroce où la part publicitaire de chaque entreprise de presse semble se réduire comme peau de chagrin, l’autorégulation du travail journalistique vit aussi une crise profonde. Cette autorégulation à laquelle avaient consenti in extremis les entreprises de presse au Québec et qui a donné lieu à la création du Conseil de presse du Québec (CPQ) en 1973 est mise à mal aujourd’hui après le départ de Québecor Média, un géant de l’industrie des médias invoquant l’injustice des décisions du CPQ à l’encontre de ses publications et la limite imposée par cette instance bona fide à la liberté d’expression.
Mise à mal aussi la crédibilité générale de l’information à cause notamment de la virulence de nombreuses attaques répétées entre entreprises de presse, souvent par l’intermédiaire des journalistes travaillant pour ces médias, quand ce n’est pas directement le propriétaire de l’un des empires, comme le déplorait l’éditorialiste André Pratte : « Il faut aussi déplorer les propos désobligeants, d’une rare arrogance, tenus par M. Péladeau à Ottawa au sujet de plusieurs médias canadiens. Selon le patron de Québecor, La Presse, le National Post, CTV, le Globe and Mail et le Toronto Star sont tous “inféodés” à Radio-Canada et donc incapables de tout reportage critique au sujet de la société d’État. »
Selon nous, les organes de presse devraient se faire concurrence dans un climat de respect mutuel. Ils devraient rivaliser de qualité plutôt que de sombrer dans les insultes (2011).
Deux défis
Ce qui aurait paru inacceptable parce que totalement contraire à l’éthique professionnelle entre collègues il y a quelques années à peine est aujourd’hui monnaie courante. On s’apostrophe brutalement, on s’insulte par média interposé, on cherche à miner la crédibilité des concurrents, mais on réussit surtout à saper la crédibilité de toute l’industrie en illustrant, par le fait même, le lien primordial qui lie certains journalistes à leur employeur au détriment et par-delà leur public à qui ils doivent pourtant leur première loyauté. Les règlements de comptes sont publics, les dommages le sont tout autant.
En résumé, le Québec - comme la plupart des pays occidentaux - fait face à au moins deux défis en information : d’une part, augmenter l’offre d’information, notamment régionale et locale, et veiller à ce qu’elle soit répartie équitablement sur l’ensemble du territoire et, d’autre part, soutenir le journalisme en aidant les journalistes à replacer la déontologie, et non pas les objectifs économiques de leurs employeurs, au coeur de leur pratique professionnelle pour rebâtir ou pour solidifier le lien de confiance entre la population et l’information dont elle bénéficie.


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