J’aime bien lire les débats d’idées sur Vigile.net. Probable que je me retiens d’écrire plus souvent simplement pour avoir le plaisir d’assister aux foires d’empoigne qui explosent de temps à autre. Vraiment, c’est une créature fascinante que cet homo independantus. Et je suis fier de faire partie de cette race (petite parenthèse qui s’adresse aux bienpensants qui, par une intrigante corrélation, sont aussi dépourvus de culture qu’une huitre de pilosité : j’emploie le mot dans son acception nietzschéenne, c’est-à-dire d’individus qui sentent le monde de la même manière). Alors, j’en étais à Vigile et à ses débats qui, généralement, tournent à peu près à vide. D’ailleurs, qui a dit que l’homme n’a pas inventé l’art et la politique dans le seul but de se sentir vivant? De mon point de vue, en tout cas, c’est vachement plus amusant que d’accumuler méthodiquement son caca comme le font nos bons capitalistes.
Donc, cette fois-ci, quelque chose a changé, on s’est mis à dire des gros mots pour de vrai, on ne parle plus que de racisme et d’antisémitisme. Loin de moi l’idée de trancher le débat semel pro semper, simplement, il ne faudrait pas oublier qu’il s’agit, au-delà des barrières partisanes, d’un problème de première importance. Après tout, tous ces gens ne sont pas égorgés pour le simple plaisir de passer le temps. Ma première remarque est d’inspiration arendtienne. Dans Les Origines du totalitarisme, Arendt indique que leurs plus grands alliés des mouvements révolutionnaires ont toujours été les services secrets. En effet, ces derniers, dans le but de discréditer les mouvements, ont souvent (et ça s’est vu au Québec) commis des actes illicites. Or, cette stratégie déboucherait, la plupart du temps, sur l’effet inverse puisque ces actes donnent l’impression que le groupe en question est plus puissant qu’il n’y parait. Cherchez-vous encore à comprendre pourquoi le FLQ, un groupe désorganisé regroupant une poignée d’individus, a aussi fortement influencé l’imaginaire québécois?
Quel lien avec les accusations qui fusent sur Vigile? C’est qu’en accusant à qui mieux mieux tout ce qui bouge d’antisémitisme, on donne de l’attention (et donc de l’importance) à des idées qui devraient finir leur vie dans les poubelles de l’histoire. Ma recommandation sera donc la suivante pour les groupes qui surveillent la résurgence de ce genre de lubie : la modération a toujours meilleur goût.
Ma seconde remarque touche au problème de sémantique qui entoure la question de l’antisémitisme. Si l’antisémite est nécessairement antiisraélien, la relation inverse n’est pas toujours vraie. On peut dire la même chose de l’antisionisme. D’ailleurs, beaucoup de juifs, laïcs et religieux, critiquent ouvertement Israël et vont jusqu’à rejeter l’existence même d’un État juif (Arendt en faisait partie). Par conséquent, dire d’un opposant aux politiques de l’État hébreu est un antisémite n’est ni toujours faux ni toujours vrai. Si l’on pousse un peu plus loin, on ne pourrait même pas qualifier une personne raciste (je l’emploie désormais dans son sens usuel) qui déteste les juifs d’être antisémite. Il y a un fossé considérable (bien qu’il ait été trop souvent franchi au XXe siècle) qui sépare la haine des juifs à la volonté d’extermination. Renier ce fait reviendrait à rejeter la distinction grecque entre bios (un mode d’être) et zoè (la chair). Bien entendu, le racisme, plus commun et moins violent, est lui aussi condamnable puisqu’il sert d’alibi à l’antisémitisme. Cependant, je me permets d’insister sur le fait que juger le dénigrement du raciste de la même manière que la volonté d’extermination de l’antisémite revient, ceteris paribus, à assimiler voies de fait et meurtre au premier degré.
Je recommande donc aux vigiliens de rester vigilants (désolé du mauvais jeu de mots) par rapport aux racistes (qui sont plus nombreux à mon avis que certains voudraient le croire) qui pourraient permettre, à l’usure, d’offrir une couverture aux véritables antisémites qui, à moins que je me trompe, n’ont jamais eu de tribune sur Vigile.net. Enfin, aux deux parties, je conseille d’éviter les réactions mimétiques qui poussent à une inélégante surenchère de méchanceté. La tentation (c’est sans doute plus que ça) de juger par association est un très vilain défaut puisque c’est fondamentalement injuste. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on juge (presque) toujours les accusés individuellement.