Déclaration de revenus unique: quand les conservateurs et les bloquistes s’entraident

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L'alliance bleue contre Trudeau se dessine : il faut en finir avec Justin


Le premier ministre François Legault a fait sa prophétie : si Justin Trudeau s’entête à refuser au Québec la gestion d’une éventuelle déclaration unique de revenus, il « devra [en] payer le prix politique ». Mais les électeurs québécois tiendront-ils vraiment rigueur aux libéraux et, si oui, qui tirera profit de leur colère ? Il semble qu’en la matière, conservateurs et bloquistes soient des alliés objectifs.


M. Trudeau avait déjà indiqué en mai 2018 qu’il n’était pas chaud à l’idée de confier à Revenu Québec la perception de tous les impôts, mais c’était avant que la CAQ ne prenne le pouvoir à Québec. Il a définitivement fermé la porte à ce projet cette semaine en affirmant ne pas être « aligné avec le gouvernement du Québec sur l’idée d’un rapport unique provincial ».


Les libéraux appuient leur refus sur trois arguments. Ils plaident que la déclaration unique ferait perdre leur emploi aux quelque 5300 Québécois travaillant à l’Agence du revenu du Canada, qu’elle nécessiterait une harmonisation des règles fiscales fédérales et québécoises qui diffèrent, et qu’elle nuirait à la lutte contre l’évasion fiscale parce que le Québec n’a pas accès aux informations provenant d’autres provinces et d’autres pays pour vérifier que ses contribuables déclarent tous leurs revenus.


Les conservateurs, qui ont fait débattre à la Chambre des communes mardi une motion — défaite — réclamant la déclaration unique, accusent les libéraux de mener une « campagne de peur ». Ils assurent que le changement est possible sans mettre quiconque au chômage.



Pour faire valoir leur point de vue, ils empruntent une rhétorique qu’on a été plus habitués jusqu’à présent à entendre dans la bouche de souverainistes. « Moi, ce que j’entends, c’est un discours paternaliste et centralisateur qui manque de respect envers le Québec », a lancé le député Alain Rayes lors du débat sur la motion qu’il parrainait. « La ministre du Revenu national a comme seule fonction d’être le haut-parleur d’un gouvernement centralisateur qui fait la sourde oreille quand vient le temps d’examiner des demandes légitimes pour les Québécois », a renchéri son collègue Jacques Gourde.


Les libéraux ont promptement accusé les conservateurs de compromettre l’unité nationale. « Dans les années 1980, les députés conservateurs disaient au Québec qu’il était oublié, qu'il était différent et que le fédéral ne travaillait pas pour lui. Qu’est-ce qui est arrivé ? Le Bloc québécois est devenu l’opposition officielle, le Parti réformiste a été formé et les conservateurs ont disparu. De plus, il y a eu le référendum de 1995 », a lancé le député de Mont-Royal, Anthony Housefather. « Pourquoi faire le jeu des séparatistes québécois ? »


Le député de Québec Gérard Deltell s’est insurgé contre ces « bêtises absolues » et a mis au défi M. Housefather d’étiqueter comme séparatiste Pierre Arcand, son homologue libéral sur la scène provinciale et fédéraliste assumé, dont le parti est en faveur d’une déclaration unique de revenu. « Est-on surpris de Justin Trudeau qui claque la porte dans la face des Québécois ? Non, on n’est pas surpris, a poursuivi M. Deltell. C’est dans l’attitude propre du gouvernement libéral fédéral, particulièrement de MM. Trudeau, père et fils. »


Bataille du Québec


En coulisse, les stratèges consultés par Le Devoir (et qui réclament l’anonymat pour parler plus librement) expliquent que cette bataille vise le cœur des Québécois. Le Québec sera très courtisé en vue de l’élection cet automne parce qu’il offre un potentiel de croissance — ou de dégringolade — pour quatre des partis représentés. Pour l’heure, les libéraux y détiennent 39 sièges, contre 15 pour le NPD, 11 pour le Parti conservateur, 10 pour le Bloc québécois et 1 pour le Parti populaire.


« La déclaration unique s’inscrit dans une stratégie plus large pour trouver une façon pour notre chef de “connecter” avec le Québec », explique un stratège conservateur. Le parti détecte un « sentiment anti-Trudeau au Québec » qu’il cherche à exploiter. « Malgré ses belles paroles, on sent chez Trudeau, c’est dans son ADN, ça lui vient de son père, une espèce de paternalisme, une conviction qu’il ne faut pas donner plus de pouvoirs aux provinces. »


Au Bloc québécois, on ne se fâche pas de se faire voler par les conservateurs un thème traditionnel. Au contraire. « C’est nous qui allons en bénéficier parce que le Parti conservateur n’est pas capable de nous suivre partout », explique un stratège. Il entend par là que les conservateurs ne pourront satisfaire les Québécois lorsqu’il sera question de l’industrie pétrolière ou de laïcité. « Ils vont contribuer à l’affaiblissement de Justin Trudeau, mais ils ne seront pas capables de nous suivre. »


Cette analyse est partagée… par le Parti conservateur ! On donne l’exemple des deux sièges gaspésiens détenus par les libéraux qu’on reconnaît n’avoir aucun espoir de ravir. Le Bloc, lui, pourrait le faire. « Pour nous, c’est aussi bon que de les gagner ! […] Si c’est pas pour être nous, c’est mieux que ce soit le Bloc que les libéraux. Si le Bloc est compétitif, c’est plus mauvais pour les libéraux que pour nous. »


Dans les années 1990, les libéraux de Jean Chrétien remportaient leurs majorités en partie à cause de la force du Bloc québécois. La quarantaine de sièges du parti de Lucien Bouchard n’allait peut-être pas aux libéraux, mais elle avait l’avantage de ne pas aller au parti le plus susceptible de les remplacer. Comme le mouvement conservateur était divisé dans le reste du pays, les libéraux perpétuaient leur hégémonie. Les conservateurs, désormais unis, calculent que cette logique de neutralisation québécoise pourrait cette fois jouer en leur faveur.


Ressac de l’Ouest


Au Parti libéral, on estime que le Parti conservateur joue un « jeu dangereux » qui pourrait se retourner contre lui dans le reste du pays. Un stratège rappelle la récente sortie du premier ministre conservateur du Manitoba, Brian Pallister, qui a critiqué la « politique de marchandage » de François Legault. Il cite aussi un sondage publié cette semaine par l’institut Angus Reid démontrant qu’un hypothétique Western Canada Party récolterait plus de votes que n’importe quelle autre formation — même le Parti conservateur !


« Ou bien ils sous-estiment la hargne à l’endroit du Québec dans l’Ouest canadien, ou bien, s’ils ne la sous-estiment pas, ils font le calcul assez arrogant que ces gens n’auront nulle part d’autre où aller et donc qu’ils peuvent promettre tout ce qu’ils veulent au Québec. »


Ce libéral pense que le Parti populaire de Maxime Bernier pourrait jouer le rôle d’un Western Canada Party et canaliser une partie de cette grogne. Maxime Bernier a d’ailleurs voté mercredi contre la motion conservatrice favorable à la déclaration de revenus unique, la qualifiant de « promesse irresponsable » visant à « acheter des votes au Québec » qui « n’est pas dans l’intérêt du Canada ».


N’y a-t-il pas un risque que ce débat réveille les vieux démons québécois anti-Trudeau ? Lorsque le premier ministre a lancé à la Chambre des communes qu’il s’opposerait à ceux qui « se plient aux exigences des provinces », il a été chahuté.


Les libéraux estiment qu’au Québec, la division du vote leur sera encore une fois favorable. « Si le Parti populaire va chercher 13 % à Québec, les verts, 7-8 % dans la province, le NPD garde 5-6 % et que les conservateurs et le Bloc se divisent le reste, d’un point de vue purement stratégique, ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose. »




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