Octobre 1970

Crise d'Octobre : Ottawa n'a jamais cru à une insurrection, révèle une étude

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Le prétexte pour un charge brutale contre un mouvement souverainiste


Le recours aux mesures de guerre, lors de la crise d’Octobre 1970, est largement critiqué depuis 50 ans. Une étude publiée cette semaine jette un nouveau pavé dans la mare : on y apprend que Pierre Elliott Trudeau et son entourage, même à l’époque, ne croyaient pas qu’une insurrection était possible au Québec.




L'idée d'une insurrection appréhendée était non seulement tirée par les cheveux, je vous dirais plutôt que personne n'y a jamais cru, commente le directeur de l’étude, Anthony Beauséjour, en entrevue à Radio-Canada.


Cette étude de l’Institut de recherche sur l’autodétermination des peuples et les indépendances nationales (IRAI) a notamment recueilli les propos de l’ex-directeur de cabinet de Pierre Elliott Trudeau, Marc Lalonde.


Ce dernier aurait confié que M. Trudeau et lui-même ne croyaient pas que le Front de libération du Québec (FLQ) pouvait être soutenu par une partie importante de la population.


Ils ne croyaient pas non plus qu’un groupuscule puisse renverser le gouvernement de Robert Bourassa à Québec. L'ex-premier ministre avait rejeté ça du revers de la main en disant : "Ça ne tient pas debout", aurait admis M. Lalonde aux chercheurs de l’IRAI.


Une dizaine de militaires armés sont vus dans une rue du Vieux-Montréal.

Des militaires canadiens patrouillent dans les rues de Montréal, le 20 octobre 1970.


Photo : Getty Images / The Toronto Star / Bob Olsen




M. Beauséjour s’étonne de cette confidence. Il rappelle que le recours à la Loi sur les mesures de guerre a eu de graves conséquences, dont l’arrestation arbitraire d’environ 500 personnes au Québec.



La vérité mérite d’être sue.


Anthony Beauséjour, directeur de l'étude « Démesures de guerre »


Un grand nombre de personnes arrêtées vivent encore avec les séquelles de l’injustice qu’elles ont subie, ajoute-t-il. Malgré des demandes répétées, Ottawa refuse toujours de leur présenter des excuses.



D’après l’étude de l’IRAI, il est pourtant clair que le gouvernement Trudeau ne disposait pas de renseignements fiables et étoffés pour recourir à la Loi sur les mesures de guerre.


Quelles preuves?


L’enlèvement du diplomate James Richard Cross, le 5 octobre 1970, puis celui du ministre québécois Pierre Laporte, cinq jours plus tard, ont accéléré les discussions entre Québec et Ottawa pour résoudre la crise.


Même si les mesures de guerre étaient envisagées depuis un certain temps déjà, seuls trois scénarios permettaient d’y recourir : une guerre, une invasion ou une insurrection réelle ou appréhendée.


Marc Lalonde aurait admis aux chercheurs de l’IRAI que cela ne laissait pas beaucoup [de solutions de rechange] comme langage, mais que c’était le seul instrument immédiatement disponible pour faire cesser les violences au Québec.


L’étude conclut donc qu’Ottawa s’est livré à un impressionnant exercice de gymnastique, ayant utilisé le prétexte d’une insurrection appréhendée pour déclencher les mesures de guerre, mais sans preuve tangible.



C'est une situation classique de tirer une flèche sur le mur, puis on va aller peinturer une cible autour. Quand on procède comme ça, on a toujours raison, on est toujours un bon viseur!


Anthony Beauséjour, directeur de l'étude « Démesures de guerre »


Anthony Beauséjour, directeur de l'étude "Démesures de guerre" de l'IRAI

Anthony Beauséjour, directeur de l'étude « Démesures de guerre », de l'IRAI


Photo : Radio-Canada




En effet, deux jours avant la proclamation d’une insurrection appréhendée, le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ne recommandait pas le recours à des pouvoirs d’exception, rappelle l’étude.



Le commissaire indiquait plutôt que les forces policières avaient déjà tous les moyens nécessaires. Il ajoutait que recourir aux mesures de guerre reviendrait à agir pour le plaisir d’agir.


Peu avant l’enlèvement de Pierre Laporte, Ottawa avait même été informé que le FLQ comptait tout au plus une vingtaine de membres actifs, la plupart étant déjà connus des forces policières.


On réalise que c'est après la rafle que le conseil des ministres s'est demandé : "O.K., quelles sont les raisons qu'on peut invoquer pour justifier, avec la moindre crédibilité, les mesures exceptionnelles et démesurées qu'on a adoptées?" résume M. Beauséjour.


Marc Lalonde précise ses propos


Lors d’un appel avec Radio-Canada, Marc Lalonde a réitéré qu’il n’avait jamais cru que le FLQ puisse obtenir un appui significatif de la population. Il a aussi qualifié de farfelue l’idée qu’un gouvernement parallèle aurait pu prendre le pouvoir.


Marc Lalonde

Marc Lalonde, ex-directeur de cabinet de Pierre Elliott Trudeau


Photo : Radio-Canada




Je n'y ai pas cru, parce que je ne trouvais pas ça réaliste. [...] Ce qui était impensable, c'est que des gens songent à mettre sur pied un groupe qui serait une espèce de substitut ou de complément à un gouvernement qui venait d'être élu démocratiquement, a-t-il dit.


M. Lalonde a insisté sur le fait que son ancien patron, Pierre Elliott Trudeau, était d’abord opposé aux mesures de guerre. Il aurait plié sous la pression de Montréal et du gouvernement québécois.



On avait une indication claire des deux gouvernements que, s'il arrivait quelque chose, ils n'hésiteraient pas à blâmer le gouvernement fédéral pour son inertie. [...] C'est sûr que ça a joué dans l'analyse de la situation.


Marc Lalonde, ex-directeur de cabinet de Pierre Elliott Trudeau


L’étude de l’IRAI démontre toutefois qu’Ottawa était visiblement plus pressé d’intervenir que le gouvernement de Robert Bourassa, qui aurait même voulu retarder la rafle.


Exagération


Selon le professeur de droit constitutionnel à l’Université Laval Patrick Taillon, l’étude de l’IRAI démontre que l’insurrection appréhendée était une exagération à laquelle ne croyait même pas le gouvernement.


Patrick Taillon, professeur de droit constitutionnel à l'Université Laval

Patrick Taillon, professeur de droit constitutionnel à l'Université Laval


Photo : Radio-Canada / Alexandre DUVAL




Il y avait une réelle violence, un véritable fléau. Il fallait véritablement lutter contre ce fléau, mais de là à prétendre que le gouvernement était menacé, ce n'était pas du tout le cas, commente M. Taillon.


C'est une des graves fautes d'Octobre 1970; c'est d'avoir utilisé, instrumentalisé un vrai problème, mais de l'avoir tellement instrumentalisé à des fins politiques autres que ça en devient un peu grossier, conclut le professeur.




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