« Coudonc, Legault est-tu en train de parler de souveraineté ? »

60162539f63fddce609736a26e29a3cb

Legault est l'homme du réseau Desmarais-Sirois : il a déclassé le PQ pour peinturer les réseaux d'affaires rouges d'un vernis bleu

« Je pense aussi à nous autres les Québécois comme peuple. Tout ce qu’on a fait depuis quelques semaines. Les habitudes qu’on a changées au cours des dernières semaines. Notre vie a changé. (…) Les Québécois, les huit millions et demi de Québécois, quand on se met ensemble,  il n’y a rien au monde qui peut nous arrêter. (…) On le sait que le beau temps va arriver, on le sait que le printemps va éventuellement arriver. C’est ça que je veux dire aux Québécois: les beaux jours s’en viennent! », s’exclamait récemment le premier ministre François Legault, avec cette voix à la fois émue et réconfortante de bon père de famille qu’on lui a découverte ces dernières semaines.


Rapidement, le web – mon fil Facebook à tout le moins – s’est enflammé.


« Coudonc, Legault est-tu en train de parler de souveraineté ce midi? », a aussitôt commenté mon amie Marie-Noelle, à l’instar de plusieurs internautes. 


Quelques jours auparavant, c’est la députée indépendante de Marie-Victorin et ex-péquiste Catherine Fournier qui y allait de son grain de sel patriotique. 



SI LA PARTISANERIE ET LES AGENDAS POLITIQUES SEMBLENT ÊTRE EN MODE « TRÊVE PANDÉMIQUE », FORCE EST DE RECONNAÎTRE QU’ON ASSISTE EN CE MOMENT À LA NAISSANCE D’UNE CERTAINE LEGAULTMANIE.



« La réalité est que nous gérons présentement beaucoup mieux la situation que la plupart des pays du monde, sans même détenir tous les pouvoirs requis pour le faire. J’espère que nous en prenons d’ailleurs tous bonne note: M. Legault et la CAQ y compris. On ne peut peut-être plus sortir, mais rien ne nous empêchera de rêver », écrivait Mme Fournier sur sa page Facebook


Si la partisanerie et les agendas politiques semblent être en mode « trêve pandémique », force est de reconnaître qu’on assiste en ce moment à la naissance d’une certaine Legaultmanie.


Les plus vieux ont vécu cette effervescence avec René Lévesque, Trudeau père ou Mulroney. Ceux de mon âge se souviennent de Jacques Parizeau, Lucien Bouchard, Jack Layton, Gilles Duceppe ou Mario Dumont. Pour les plus jeunes, c’est sans doute une première, hormis un engouement envers certains député(e)s-vedettes de QS comme Gabriel Nadeau-Dubois, Catherine Dorion ou encore Trudeau fils sur la scène fédérale.


Bref, Legault marche sur les eaux, flanqué du bon docteur Arruda et de la ministre McCann, formant une triade quasi invincible, élevée au rang de chouchous nationaux. Avec un taux de popularité à rendre jaloux n’importe quel chef d’État despotique, il faudra plus qu’un faux pas sur un retour jugé hâtif à l’école pour faire pâlir son étoile. 



«M. LEGAULT, FINALEMENT, IL BAIGNE DANS UNE SORTE DE SACRALITÉ. IL EST DEVENU UN INTOUCHABLE», OBSERVAIT M. BOUCHARD.



Dans un segment fort intéressant de l’émission Plus on est de fous, plus on lit! la semaine dernière, c’est le professeur, chercheur, historien et sociologue Gérard Bouchard qui résumait le mieux ce culte inattendu envers le premier ministre. « M. Legault, finalement, il baigne dans une sorte de sacralité. Il est devenu un intouchable », observait M. Bouchard, ajoutant que le leader de la CAQ était à l’heure actuelle le « genre de leader dont les Québécois ont absolument besoin ».  


Dans un contexte aussi patriotique, presque chauvin, où la fierté québécoise s’exprime à grands coups d’#achatlocal et de frénésie autour d’une palme d’or d’un palmarès Google, LA question à 50% +1 mérite d’être posée: François Legault est-il en train de redorer le blason de la souveraineté?


Spontanément, on a l’impression que François Legault a une telle ascendance sur la population, qu’il pourrait faire passer ce qu’il veut. Une position politique qui aurait certainement fait saliver tous les chefs d’État depuis la Révolution tranquille. 


Évidemment on spécule ici. François Legault n’a – à notre connaissance du moins – pas exprimé ni même effleuré cette volonté d’indépendance depuis sa conversion caquiste en 2011, où il dit défendre un « nationalisme autonomiste mais non indépendantiste ». 


Et même si on avait voulu en discuter de vive voix avec François Legault, il semble passablement occupé à gérer une crise sanitaire mondiale. 


On s’est donc tourné vers des gens de différents horizons, histoire d’explorer un peu ce nationalisme ambiant, à l’heure où les frontières sont fermées et où les gens sont contraints de rester chez eux.  


QUESTION SURRÉALISTE MAIS NATIONALISME CERTAIN


D’emblée, le politologue Jean-Herman Guay qualifie la question de « surréaliste », même s’il reconnaît sans l’ombre d’un doute que Legault tricote avec de la fibre nationaliste. « Le lexique du PM et son électorat sont dans un nationalisme certain, que j’ai qualifié de nationalisme défensif, identitaire, de repli… mais qui est différent du souverainisme », nuance le professeur de science politique et ex-directeur de l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke. 


Ce n’est tout de même pas d’hier que Legault – décrit dans ses années péquistes comme un souverainiste pressé – brandit la carte nationaliste. Une carte que qu’il avait d’ailleurs déjà dans son jeu, du moins selon Mathieu Bock-Côté, qui relevait en décembre dernier le retour du nationalisme au coeur de notre vie politique, 25 ans après la défaite référendaire de 1995. 



«IL EST CEPENDANT CERTAIN QUE LE PM, PAR SA PRÉSENCE QUOTIDIENNE, SES PROPOS ACCESSIBLES, CONCRETS ET POSITIFS, PROVOQUE UN SOUTIEN CERTAIN. PAR LA SUITE, IL FAUDRA VOIR…»



Dans cette autre lettre d’opinion publiée en janvier, l’écrivain Marco Micone dénonçait pour sa part ce nationalisme «rabougri et mesquin, délesté de son horizon progressiste et de son idéal souverainiste. » Au premier ministre qui se targuait d’avoir redonné la fierté aux Québécois, Micone répliquait qu’il ne voyait « ni un projet de société exaltant ni quelque vision novatrice que ce soit », seulement une « loi sur la laïcité qui visait une communauté immigrante parmi les plus vulnérables et, de surcroît, peu nombreuse».


Avec la crise en cours, le nationalisme de François Legault prend soudainement un visage humain, s’exprimant sous la forme d’un appel à la nation quotidien devenu aussi incontournable que La Petite Vie dans les années 90. « Il est cependant certain que le PM, par sa présence quotidienne, ses propos accessibles, concrets et positifs, provoque un soutien certain. Par la suite, il faudra voir…», résume Jean- Herman Guay, soulignant au passage que le bilan québécois est moins reluisant qu’ailleurs au pays et pourrait mettre cette fierté locale à l’épreuve. 


CHOISIR SES COMBATS


Née en 1982, la solidaire Catherine Dorion admet n’avoir jamais vu de son vivant un engouement aussi palpable autour d’une personnalité politique québécoise. « En période de crise, les gouvernements sont toujours très populaires. Ils appellent à une solidarité québécoise et c’est tant mieux », souligne la députée de Taschereau, qui apprécie aussi le comportement des élu(e)s, qui ont mis de côté leur partisanerie. « J’aime vraiment ça et ça nous libère de cette lutte. C’est ça le problème en politique, si tu ne te chicanes pas ou si t’es pas là pour te battre, tu te fais bouffer », admet-elle.


Elle se réjouit toutefois de voir un retour au local avec des initiatives comme Le Panier bleu, après des décennies de mondialisation. « On cherche toujours des façons d’associer le mouvement séparatiste à la droite économique et anti-immigration. Rien n’est plus efficace que de se débarrasser en une shot de cette gestion macro et déconnectée, de la plus grosse des structures, pour revenir au local », souligne Catherine Dorion, pour qui l’indépendance est une culture et non une science. 


En tant que membre d’un parti indépendantiste assumé, Catherine Dorion ne se berce pas d’illusions quant au réveil souverainiste de François Legault en ce moment d’unité nationale. « Plusieurs politiciens pensent que [la souveraineté] c’est une bonne idée, mais se disent que ça ne se fera pas, alors ils choisissent leur combat », tranche la députée, d’avis que la CAQ se comporte comme un « PQ qui s’assume » dans sa gestion de la crise.


JUGER L’ARBRE À SES FRUITS


À défaut d’être dans la tête de François Legault, on ne peut que spéculer sur les rêves d’indépendance du premier ministre. Certains ont avancé qu’il demeure un souverainiste convaincu, prêt à délibérément faire avancer des priorités aux antipodes de la vision d’Ottawa afin de faire la démonstration du caractère distinct de la province.


Une « guerre idéologique » calculée, au sujet de l’immigration, la santé et l’énergie «sale» de l’Alberta. « Eh voilà, Legault le souverainiste le plus convaincu et le plus pressé de tous n’a jamais changé d’idée. Il a simplement changé de tactique », écrivait à ce propos la blogueuse Marie-Ève Doyon en février 2019. 


Dans une chronique signée l’an dernier, Josée Legault suggérait plutôt que Legault avait opté pour un fédéralisme réfléchi et cartésien, à l’instar de Robert Bourassa qui jouait aussi une carte nationaliste «moderne», grandement exacerbée par l’échec de l’accord du lac Meech. 


«François Legault pratique un nationalisme autonomiste, mais enrobé dans un fédéralisme choisi par défaut », écrivait Mme Legault, pointant des motifs purement économiques pour justifier le mariage Québec-Canada. 



«LEGAULT N’A PAS POSÉ D’ACTION SUR LE PLAN CONSTITUTIONNEL ET JE NE VEUX PAS PÉTER VOTRE BULLE, MAIS ON N’A PAS ATTEINT LE STADE DE PASSION NATIONALE QUI EXISTAIT AU TEMPS DE BOURASSA.»



Pour le président de la Société Saint-Jean-Baptiste, seul François Legault connaît les réponses. « Certains se plaisent à penser qu’il est un souverainiste refoulé, je ne suis pas de cet avis, jusqu’à preuve du contraire. Si on juge l’arbre à ses fruits, la CAQ a nettement une posture fédéraliste et affirmationniste », raconte Maxime Laporte, qui reconnaît néanmoins un changement de ton par rapport à la « noirceur libérale ». 


S’il reconnaît à Legault quelques efforts de distanciation par rapport à son homologue fédéral, Maxime Laporte lui lance le défi de mettre en branle son plan de réforme constitutionnelle déposé en 2015, qui vise à doter le Québec d’une plus grande autonomie politique et économique dans l’ensemble canadien. 


Ce sera alors là, le véritable test selon le président général de la SSJB. « Legault n’a pas posé d’action sur le plan constitutionnel et je ne veux pas péter votre bulle, mais on n’a pas atteint le stade de passion nationale qui existait au temps de Bourassa », souligne Maxime Laporte, néanmoins très conscient que le PM a présentement d’autres chats à fouetter. 



  1. Laporte lui a d’ailleurs publiquement rendu hommage récemment pour sa gestion de la crise. « Tout n’est pas parfait, mais nos dirigeants font un travail incroyable. C’est la moindre des choses de rendre à César ce qui revient à César », souligne-t-il.


UN FÉDÉRALISME PRAGMATIQUE


N’en déplaise à l’ancien premier ministre Jean Charest qui affirmait en 2012 que François Legault était toujours un « souverainiste gauchiste », le président des Jeunes libéraux estime que le chef de la CAQ est aujourd’hui un fédéraliste pragmatique. « Il a accepté de mettre ça (la souveraineté) de côté pour accéder au pouvoir.


Même s’il aimerait peut-être ça au fond de lui, il est passé à autre chose. Sa coalition tient à cause de ça d’ailleurs », explique Mark Dewar de la Commission-Jeunesse du Parti libéral du Québec, qui reconnaît néanmoins un « ton Legault» présentement. « Comme ancien souverainiste, il se donne des libertés et parle de nation avant tout. On n’entendra jamais Legault parler de la province du Québec », estime M. Dewar, qui salue aussi le pas de recul pris par les adversaires politiques en temps de crise. 


En attendant, François Legault continue à rallier le peuple derrière lui, au-delà des allégeances et des chicanes de clochers. 


Il aura certes marqué les esprits et joué un rôle central dans ce film bizarre, mais seul l’avenir dira si son aura de superhéros survivra au virus.