Contre la société de l’indignation

“Nul ne ment autant qu’un homme indigné.”

«Les indignés» dans le monde


3 août 2010 Auteur : Jean - Le petit livre de Stéphane Hessel, qui fait grand bruit en ce moment, fait étonnamment écho à un article paru sur notre site le 7 août 2010, et intitulé “Contre la société de l’indignation”. Alors, s’indigner ou pas ?
Poursuivons notre analyse des ennemis de l’époque, et après l’esprit de parti, l’assistanat, la liberté d’expression pour soi mais pas pour les autres, penchons-nous sur la société de l’indignation. D’autres noms auraient pu être choisis, société de la sensiblerie, de l’hypersusceptibilité, etc., mais l’indignation a cet avantage d’avoir été parfaitement analysée par deux des penseurs les plus puissants que je connaisse :
Raymond Abellio : “L’indignation est un plus gros péché que le mensonge”.
Friedrich Nietzsche : “Nul ne ment autant qu’un homme indigné.”

Tout est dit, et il est frappant de constater la similitude de ces deux citations, de la part de ces deux géants : les grands esprits se rencontrent. En quoi l’indignation est-elle une des principales plaies de l’époque ? L’indignation est-elle à bannir ?
Sûrement pas. Mais comme souvent, l’overdose est un mauvais médicament, et notre époque crève d’indignation. Indignation : “Sentiment de colère et de révolte suscité par tout ce qui peut provoquer la réprobation et porter plus ou moins atteinte à la dignité de l’homme.”
Je connais peu de définitions où l’émotion domine autant la raison. Or les émotions sont mauvaises conseillères, même à petites doses. On s’indigne pour tout et surtout pour n’importe quoi à notre époque : les clandestins (“sans-papiers”), les sdf (“sans-abris”), les pauvres (“sans-le-sou”), les traders (“trop-de-sous”), les minorités visibles (“pas assez visibles”), les patrons (“exploiteurs”), les grévistes (“irresponsables”), le gouvernement (“corrompu”), les syndicats (“corrompus”), le FN (“f-haine”), l’immigration (“invasion”), les communistes (“staliniens”), les médias (“à la botte du gouvernement”), etc.
Tous ces discours chargés à haute dose sensationnaliste nous éloignent du chemin de la raison et nous entraînent sur la route de la servitude émotionnelle. Impossible de débattre dans de telles conditions, puisqu’il y a un camp du bien (les indignés) et un camp du mal (les autres). Quoi ? Vous n’êtes pas sensible au malheur de ces pauvres clandestins qui se font traîner sur le sol par des policiers qui font leur travail comme leurs aïeux lors de la rafle du Vel d’Hiv ? Mais vous êtes un monstre ! Sans âme, sans cœur, sans rien ! Vous méritez donc la peine de mort !*
Alors, certes, c’est le camp du Bien qui a aboli la peine de mort physique, mais ce faisant il a également instauré la peine de mort sociale. Extrême-droite ! Fasciste ! Stalinien ! Raciste ! Hitler ! Le Pen ! Mussolini ! Gestapo ! Négationniste ! Déportation ! Goebbels ! Assassin ! Apartheid!, toutes ces insultes gratuites ont remplacé depuis de trop nombreuses années les arguments factuels, rationnels et pertinents.
Aujourd’hui, on préfère scruter le dérapage, et le dénoncer, comme d’autres dénonçaient les Résistants ou les juifs pendant la 2nde guerre mondiale. Déjà, à l’époque, on dénonçait pour ne pas être dénoncé. Aujourd’hui, on accuse pour ne pas être accusé. A une époque où chacun est devenu un flic de la pensée, celui qui ne s’indigne pas mérite l’indignation nationale. Il est devenu suspect de ne point s’indigner, comme si on avait quelque chose à cacher.
Qui ne dit mot consent, et qui ne s’indigne pas endosse automatiquement les pires horreurs qui sont proférées devant lui. L’on devient coupable d’avoir écouté des paroles sans y avoir réagi, comme assister à un accident sans prévenir immédiatement les pompiers. Non assistance à indignation en danger. Il faut sauver le soldat indignation. Notre civilisation en dépend. Elle reposait sur des valeurs, sur une culture millénaire, mais toute cette évolution est balayée par notre cerveau reptilien qui s’exprime librement.
Qui s’oppose à l’antiracisme ? Le racisme !
_ Qui s’oppose à la pauvreté ? Les profiteurs !
_ Qui s’oppose aux privilèges ? Les jaloux !
L’indignation fait donc du passé table rase, et s’impose sans opposant, laissant aux réprouvés de tous ordres le soin de défendre des causes perdues d’avance, donc qui ne sont pas dignes qu’on s’y attarde ne serait-ce qu’en prenant connaissance des faits. L’indignation est l’ennemi des faits, les faits sont les ennemis de l’indignation. L’indignation avance quand les faits se reculent, aurait écrit Corneille.
Il existe pourtant une solution pour sortir de ce piège de l’indignation permanente et perpétuelle : l’identifier. Arrêter le débat, ou ce qui se prétend tel, et citer au choix l’une des citations de nos deux grands esprits, Abellio ou Nietzsche. Vous verrez, c’est radical, et parfaitement digne.
*notez que j’aurais pu remplacer “clandestins” par n’importe quel autre nom de la liste dressée ci-dessus, l’effet eût été le même


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