Entretien avec Guillaume Rousseau

Conseiller du Premier ministre québécois sur la laïcité: «la question nationaliste revient»

Un ancien candidat péquiste passé à la CAQ pour défendre le Québec

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Chronique de Jérôme Blanchet-Gravel


Au Québec, le projet souverainiste bat de l’aile, mais le nationalisme est de retour. Le règne de Legault redonne espoir aux défenseurs de l’identité québécoise. Qu’est-ce qui explique ce revirement? Entretien avec Guillaume Rousseau, professeur de droit à l’Université de Sherbrooke et proche conseiller du gouvernement Legault sur la laïcité.




Le 1er octobre dernier, l’élection de François Legault a marqué une rupture dans l’imaginaire québécois. Ayant mis fin à 15 ans de règne libéral, la victoire de la Coalition Avenir Québec incarne la renaissance du mouvement autonomiste. Si le mouvement souverainiste s’essouffle, le nouveau Premier ministre entend défendre à tout prix l’identité québécoise. Pour Sputnik, le professeur de droit Guillaume Rousseau revient sur ces événements et décrypte cette nouvelle ère québécoise.


Sputnik France: En juin dernier, le gouvernement Legault a adopté une loi sur la laïcité de l’État. Des groupes accusent toujours le gouvernement de discriminer les minorités religieuses. Vous avez participé activement à l’élaboration de cette loi. La loi est-elle conforme à vos attentes?


Guillaume Rousseau: «Je suis bien satisfait de cette loi. Je suis d’ailleurs en train d’en rédiger une version annotée. L’idée est de reprendre la loi article par article et d’expliquer les sources philosophiques et juridiques qui ont inspiré chacun des articles. L’objectif est d’élaborer un guide pour les gens qui auront à faire appliquer la loi dans les organismes publics. Le résultat devrait être publié en octobre ou novembre prochain. Maintenant, il faudra surveiller la réaction de certains groupes lors de la prochaine rentrée scolaire. Des groupes du milieu de l’éducation ont annoncé qu’ils n’allaient pas se conformer à la loi. Nous allons voir comment la loi sera appliquée concrètement».


Sputnik France: Vous vous êtes présenté comme candidat du Parti québécois à la dernière élection. Ce parti visait autrefois à interdire le port de signes religieux à tous les employés de l’État. La loi actuelle l’interdit seulement aux juges, policiers, enseignants et gardiens de prison. Auriez-vous aimé que la loi aille plus loin?


Guillaume Rousseau: «C’est vrai que j’ai autrefois défendu le projet de Charte de la laïcité de l’ex-ministre Bernard Drainville. Un projet qui n’a jamais vu le jour. Toutefois, je suis très à l’aise avec la loi actuelle. […] Il fallait trouver un point d’équilibre entre l’ancien projet du Parti québécois et la nouvelle loi. J’estime que nous l’avons trouvé. […] Maintenant, ce qui manque encore au Québec est une loi sur la convergence culturelle. Une loi-cadre qui serait la réponse québécoise à loi canadienne sur le multiculturalisme. Le Québec a besoin de ce genre de loi, notamment pour faire valoir son caractère distinct. J’ai l’impression que des gens au gouvernement y réfléchissent actuellement. Une initiative sera-t-elle bientôt lancée? C’est possible».


Sputnik France: Récemment, la commission jeunesse du Parti libéral du Québec a proposé de rejeter le multiculturalisme d’État. Des députés libéraux proposent aussi de reconnecter leur parti à la majorité francophone. Ce parti a longtemps défendu le multiculturalisme. Est-ce un autre signe du renouveau nationaliste?


Guillaume Rousseau: «Selon moi, les jeunes libéraux ont d’abord fait ce virage pour des raisons stratégiques. Il y a quelque chose d’un peu calculateur et opportuniste dans ce virage. Mais ce tournant démontre quand même que la question nationaliste revient à l’avant-plan. La Coalition Avenir Québec a remporté l’élection en se présentant d’abord comme un parti nationaliste. En tout respect pour les autres enjeux soulevés, il est évident que c’est la question qui a eu le plus d’importance durant la campagne. Les autres partis ne peuvent plus ignorer cette réalité. Les libéraux commencent à réaliser qu’ils ne peuvent pas gouverner sans l’appui de la majorité francophone. Depuis que la souveraineté n’est plus à l’ordre du jour, ils ne peuvent d’ailleurs plus compter sur le vote des nationalistes fédéralistes, qui se sont tournés vers la Coalition Avenir Québec. […] C’est intéressant de voir que même des libéraux pensent revenir au nationalisme, que ce soit pour des raisons stratégiques ou de vrais motifs idéologiques».


Sputnik France: François Legault veut accroître les pouvoirs du Québec, mais à l’intérieur de la fédération canadienne. Malgré cela, des souverainistes soutiennent son gouvernement. Comme ancien candidat du Parti québécois, vous êtes vous-mêmes résolument souverainiste. Comme d’autres observateurs, croyez-vous que le renouveau nationaliste débouchera à nouveau sur le projet d’indépendance?


Guillaume Rousseau: «C’est une question très difficile. Honnêtement, je ne sais pas exactement si l’autonomisme pouvait ramener la souveraineté au cœur du débat public. Ou si l’autonomisme pouvait même produire le contraire… Pour moi, ce qui compte, c’est d’obtenir le plus de libertés possible pour le Québec. Cette volonté peut prendre la forme d’un référendum sur la souveraineté ou d’un combat autonomiste avec des revendications constitutionnelles. L’important, c’est que la liberté du Québec soit toujours plus grande et que les Québécois abondent dans ce sens. Cela dit, il y a deux hypothèses qui s’affrontent. Certains pensent que l’autonomisme pourrait renforcer le fédéralisme. En faisant des gains d’autonomie, les Québécois se sentiraient donc plus à l’aise dans la fédération. En revanche, d’autres voient l’autonomisme comme une manière de redonner confiance aux Québécois. Dans cette optique, l’autonomisme est vu comme un tremplin vers l’indépendance». 


Sputnik France: L’immigration est l’un des thèmes les plus débattus au Québec. Selon vous, les seuils d’immigration doivent-ils être revus à la baisse conformément au point de vue du gouvernement Legault?


Guillaume Rousseau: «Le débat bat son plein, mais nous n’utilisons pas les bons outils pour analyser la problématique. Nous parlons constamment des seuils d’immigration — du nombre d’immigrés reçus annuellement —, mais nous devrions plutôt utiliser le taux, c’est-à-dire le nombre d’immigrés par citoyen québécois. Les seuils ne sont pas la bonne donnée mathématique, mais c’est évidemment celle qui ressort le plus dans les débats. Il faut obtenir le taux pour faire des comparaisons avec d’autres pays. En obtenant le taux, on voit clairement que le Québec reçoit plus d’immigrés que la moyenne des pays de l’OCDE. […] C’est clair que les Québécois ont voté pour la Coalition Avenir Québec dans l’espoir de faire baisser les seuils d’immigration. Mais au-delà des chiffres, l’important est de pouvoir réaliser nos objectifs comme la francisation et la régionalisation tout en prenant en considération les besoins économiques».