Conflit d’intérêts

Et gens d’affaires en politique

Tribune libre

La venue de Pierre Karl Péladeau en politique soulève une nouvelle interrogation. Les propriétaires d’entreprise peuvent-ils s’impliquer en politique sans provoquer un questionnement sur leurs motivations et leurs intérêts ?

Au cours des cinquante dernières années, ces gens se sont fait reprocher de ne pas s’impliquer et même de ne pas se prononcer sur leur option politique. Pourquoi ?

Les gens d’affaires savent depuis longtemps qu’au moins 50 % de leurs clients et de leurs employés n’épousent pas la même orientation politique qu’eux. Ainsi, le simple fait de se prononcer risque de causer des dommages collatéraux à leur entreprise, les incitant à ne pas se prononcer et encore moins à s’impliquer.

Si certains gens d’affaires décident quand même faire le saut en politique active, il m’appert évident que certaines conditions doivent être réunies afin de rendre ce saut possible. Nommons quelques-unes de ces conditions :
1- Une certaine indépendance financière personnelle.
2- Une forte équipe de gestion et un conseil d’administration expérimenté bien en place.
3- Une période de transition entre la fin de leur implication dans leur entreprise et le début de leur implication en politique active.
4- Un pare-feu entre eux-mêmes et leur entreprise pendant la durée de leur implication.
5- Une forte motivation de contribution à la société, celles du pouvoir et de la sécurité de revenu ou d’employabilité étant déjà assouvies.

Avec la venue de Pierre Karl Péladeau, réalisons que nous faisons face à une nouvelle donnée en politique québécoise et que les propriétaires d’entreprise prendront acte des résultats de notre gestion de ce cas. Il nous faut trouver une solution qui transcende ce dossier.

Plusieurs personnes (dont des journalistes et ses adversaires politiques) prétendent que le cas de M. Péladeau est plus délicat, car ce dernier est investi dans l’industrie des communications.

Il y a cinquante ans, posséder un journal ou une radio permettait à son propriétaire de transmettre des informations partisanes aux lecteurs ou auditeurs, privilège qui pouvait être refusé ou inaccessible à ses opposants. Aujourd’hui, avec les outils de communication auxquels nous avons accès, toute personne volontaire peut enregistrer une vidéo de quelques minutes et influencer un auditoire citoyen avec plus d’impact qu’un article de journal ou qu’une émission de radio.

De plus, il est difficile d’envisager que les journalistes et animateurs (radio ou tv) puissent accepter des consignes du propriétaire de l’entreprise qui les emploie, sachant que l’auditoire est au fait de l’engagement politique du propriétaire. À mon avis, il est tout aussi, voire plus probable que cette situation se produise quand le propriétaire n’est pas actif en politique.

En résumé, l’industrie des communications s’est démocratisée et même si elle représente encore le quatrième pouvoir, son utilisation à des fins partisanes par un « propriétaire présent en politique active » me semble difficile.

Envisageons maintenant pour quelques minutes notre position si des gens d’affaires nommés Beaudoin, Bouchard, Coutu, Chamandy, Desjardins, Dutil, Godin, Lemaire, Marcouiller, Marcoux, Molson, Pomerleau, Sirois, Têtu, Verreault, etc. manifestaient leur intérêt pour la politique active. Je vous laisse imaginer les réactions que leur implication susciterait.

Souhaitons que la décision de Pierre Karl Péladeau soit imitée. Réalisons que ce phénomène est nouveau et que nous devons modifier nos perceptions en regard à cette communauté afin de pouvoir profiter des avancées de leur implication à la conduite de l’état. Comprenons l’effort important qu’exige cette décision et donnons l’opportunité à nos bâtisseurs de contribuer pleinement au développement de notre société.

Depuis de nombreuses décennies, les professionnels (avocats, économistes, médecins, journalistes, etc.) jouent un rôle important dans la conduite de l’état. Ils ne peuvent cependant prétendre que la propriété d’une entreprise déclasse de facto un postulant à la politique active. Cela m’apparaît trop facile et surtout d’une autre époque, alors que les gens en affaires faisaient l’objet d’un jugement critique par opposition à la noblesse de l’investissement social et politique.

Il y a au moins un avantage évident à avoir une indépendance financière lorsqu’on s’implique en politique active soit d’être plus indépendant et d’être moins tenté de flancher sous la pression des différents groupes de lobby.

Il y a certes lieu de se poser les questions suivantes :

Pouvons-nous penser que des gens qui réussissent en affaires peuvent faire le saut en politique active ?

Pouvons-nous vivre avec le fait que des gens ayant accumulé une certaine fortune contribuent à la société autrement, entre autres en faisant le saut en politique active ?

Pouvons-nous exiger qu’un propriétaire vende son entreprise s’il décide de s’impliquer en politique ?

Pouvons-nous accepter et comprendre qu’un propriétaire d’entreprise puisse confier son rôle d’actionnaire à quelqu’un d’autre sans droit de regard durant son implication politique ?

Avons-nous développé le réflexe de trouver tout louche, particulièrement lorsque les gens sont fortunés ?

Si tel est le cas, aussi bien leur dire qu’ils n’ont pas leur place en politique, car les conditions à réunir sont déjà suffisamment nombreuses.

Il y a là matière à réflexion.


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    30 septembre 2015

    Correction d'une erreur dans le texte original.
    J'aurais du écrire M. Bélan et non M. Blais.
    Milles excuses!

  • Richard Dancause Répondre

    26 septembre 2015

    Il serait très surprenant que M. Péladeau tente une manouvre à la Paul Martin (qui avait vendu son entreprise à ses fils) pour régulariser… sa situation.
    M. Péladeau n’est pas le genre de personne à se cacher, à faire semblant. Je le vois mal diminuer sa participation sous 10% pour ensuite dire à tous qu’il n’est plus l’actionnaire principal de son entreprise donc que le sujet est clos.
    Il veut jouer franc jeux, dire à tous que ses responsabilités de propriétaire sont dorénavant assumées par ses 3 mandataires dont M. Blais. En terme clair cela implique que la prochaine fois que M. Mulroney, président du CA de Quebecor souhaitera parler à l’actionnaire, il s’adressera à M. Blais.
    Qu’il ait donné instruction à ses 3 mandataires de ne pas vendre l’entreprise ne diminue en rien la qualité le mur pare-feu qu’il a mis en place entre lui et son entreprise.
    Enfin ce n’est pas parce que son entreprise est dans l’industrie de l’information que sa situation est différente. Il est selon moi beaucoup plus facile dans cette industrie d’influencer l’opinion publique en restant en dehors de la politique active qu’en s’y investissant. On en a la démonstration à chaque fois qu’on lit La Presse.

  • Archives de Vigile Répondre

    25 septembre 2015

    La situation particulière de Pierre Karl Péladeau est loin d'être simple car il ne s'agit pas d'une entreprise ordinaire mais également d'information. Il est parfaitement légitime que cette entreprise demeure québécoise et particulièrement entre les mains de la famille du fondateur.
    La vente étant exclu, une alternative serait de céder des actions à la génération suivante en ne conservant que 9,99% du capital, pour ne pas être considéré comme un des principaux actionnaires. Seul les règles d'attribution des revenus s'appliqueraient sur les actions ainsi cédés. Et ce sont des tuteurs qui pourraient gérer ces porte - feuilles jusqu'à la majorité des enfants. Simplement dit, faire immédiatement ce qui tôt ou tard arrivera...