« Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé » : Beigbeder désenchanté

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La liberté de pensée demeure irréductible


Ismaël Houdassine


Collaborateur


Frédéric Beigbeder, écrivain et critique littéraire, dandy aux cheveux longs, ne se reconnaît plus dans notre époque. Son plus récent livre, Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé, brosse un état désenchanté et très personnel de la société occidentale balayée par un vent d’autocensure qui affole l’auteur de 99 francs (Grasset, 2000). Il y vilipende notamment le politiquement correct, qui empêcherait toute liberté de pensée.


Dès le premier chapitre du livre, Beigbeder débute par un événement particulier survenu en 2018 qui aurait été l’acte déclencheur pour prendre la plume. « J’ai vécu une intrusion violente dans mon domicile pendant la nuit, alors que mes enfants dormaient à l’étage, déclare-t-il en entrevue avec Le Devoir. Ma maison a été recouverte d’insultes peintes en rouge vif et en rose fluo par des inconnus avec de l’acrylique, ce qui est très difficile à faire disparaître. »


Une des inscriptions, « Ici vit un violeur », fait tache. On s’interroge alors sur ses mauvaises fréquentations, dont celles avec l’écrivain pédophile Gabriel Matzneff ou avec l’ancien présentateur de télévision Patrick Poivre d’Arvor, accusé de viol.


« Je n’ai jamais rien fait d’illégal ni agressé quiconque, mais il se peut que je lise des choses affreuses, écrites parfois par des salauds. Oui, il y a des monstres qui ont pondu de bons livres. Le métier d’un critique littéraire est de lire un livre, pas de juger un auteur. »


De trublion à victime


Sans vouloir minimiser la souffrance des femmes, Beigbeder va jusqu’à se qualifier de victime et ne comprend pas la persécution qu’on lui fait subir. Il consacre d’ailleurs un passage à plusieurs expériences vécues durant l’enfance. Battu à l’âge de sept ans par un prêtre sadique, il a aussi eu la malchance de croiser le chemin d’un exhibitionniste qui lui a montré son sexe. « J’ai écrit des bouquins dans les années 2000 qui signalaient déjà les violences sexistes et les agressions sexuelles 15 ans avant le mouvement #MeToo », réplique-t-il.


Que lui reproche-t-on alors ? « D’être ce que je suis ! » rétorque-t-il. « Blanc, de sexe masculin, né bourgeois dans les années 1960, mais je ne l’ai pas choisi, ni ma condition sociale ni ma couleur de peau. Il reste que je suis la cible parfaite, car s’en prendre au mâle blanc hétéro de plus de 50 ans, c’est devenu tout à fait acceptable, et pourtant c’est quatre fois raciste. »


Si l’on en croit Beigbeder, ce sont également ses prises de position qui dérangent. Il est par exemple l’une des personnalités — aux côtés de la figure d’extrême droite Éric Zemmour — à avoir signé la pétition des « 343 salauds » publiée dans le mensuel Causeur pour dénoncer la pénalisation des clients de prostitués. « J’ai un esprit de contradiction qui peut en agacer plusieurs, j’en conviens. Dans une démocratie, dire ce que l’on pense ne devrait pas être risqué physiquement. »


Dans la ligne de mire de l’auteur, les nouvelles ligues de vertu dirigées par ce qu’il nomme des féministes radicales. Il en veut pour preuve sa dernière rencontre avec ses lecteurs le 21 avril dernier, à la librairie Mollat de Bordeaux. Elle s’est déroulée sous escorte policière avant d’être interrompue par des militantes. « C’est le résultat d’une tentative de censure », affirme l’écrivain.


« Je me bats contre la culture de l’annulation, dit-il. Ce qui arrive est très grave. Au début, ce sont de petites censures : interdire les oeuvres d’un artiste, un film, une peinture. Et ensuite, ça devient de la tyrannie. Comme l’écrivait Colette, il faut qu’il y ait du pur et de l’impur dans les livres. Les livres doivent explorer le Mal. »



Je n’ai jamais rien fait d’illégal ni agressé quiconque, mais il se peut que je lise des choses affreuses, écrites parfois par des salauds. Oui, il y a des monstres qui ont pondu de bons livres. Le métier d’un critique littéraire est de lire un livre, pas de juger un auteur. 




Époque woke


L’écrivain ne veut pas d’une littérature aseptisée, même pour les auteurs qui ont une mauvaise vie. Il croit en sa liberté de pensée contre une « minorité bruyante de wokes » qui tentent, selon lui, de monopoliser la parole. « On assiste à quelque chose de nouveau. J’ai le sentiment qu’il y a un manque de transmission, de culture. Force est de constater que l’époque est beaucoup moins libre et plus violente que je ne le pensais. »


Il accuse notamment les réseaux sociaux, érigés en tribunaux populaires faisant de la présomption de culpabilité la « nouvelle cour de justice arbitraire et instantanée ». Un tantinet provocateur, il traite de sujets sur lesquels il n’est plus de bon ton de rire.


« On est en face d’incultes et d’analphabètes dans la vingtaine qui ne savent pas ce qu’est l’art. Il faut leur répéter les bases, que l’art n’est pas là pour sauver le monde, mais pour le décrire tel qu’il est. »


Le phénomène de la bien-pensance toucherait l’ensemble du monde occidental, croit-il, prenant le cas de Denys Arcand, qui ne pourrait pas, aujourd’hui, tourner un film comme Le déclin de l’empire américain, chef-d’oeuvre de 1986 dans lequel le réalisateur met en scène un joyeux marivaudage d’universitaires désabusés au verbe très peu politically correct. « Non seulement parce qu’il ne trouverait pas de financement, mais parce qu’il ne trouverait pas d’acteurs qui accepteraient de le jouer. »


Dans cet essai vindicatif et grinçant, au ton souvent badin et impudique, l’ex-trublion des lettres parisiennes ne se pose pas seulement en victime en prenant la défense du mâle hétérosexuel devenu ringard. Il brandit un miroir sur sa propre condition. « Je suis pris entre deux mondes : le monde d’avant ne me convenait pas, celui d’après ne me comprend pas », reconnaît-il.


Au diable le Beigbeder des années 1990. Le voilà devenu nostalgique, faisant le point sur son ancienne décadence et ses dépendances à la coke. « Je suis peut-être devenu réactionnaire sur certains domaines. J’ai un côté conservateur. Mais ce livre n’est pas réac, c’est simplement le livre d’un écrivain qui cherche un sens à ce qu’est être un homme aujourd’hui. Qu’est-ce que, aujourd’hui, la virilité ? »


Papa a raison


Adieu, donc, les lignes de coke, les boîtes de nuit parisiennes et les soirées mondaines hautement alcoolisées jusqu’au petit matin, l’ancien publicitaire hédoniste et obsédé sexuel libertarien reconverti en écrivain à succès est un repenti qui profite dorénavant d’une vie familiale bien rangée au coeur du Pays basque français.


« J’assume celui que j’ai été. J’ai évolué depuis mes premiers livres. La cocaïne, c’est peut-être amusant à 20 ans, mais quand on approche de la soixantaine, c’est non seulement ridicule, mais très dangereux. J’ai passé l’âge de ces conneries. »


Son livre-confession revient sur cette nouvelle vie d’un bon père de famille qui jure avoir fait une croix sur ses délires passés, davantage attiré par un certain conformisme et un retour aux racines catholiques. « J’entreprends une forme de quête dans laquelle jaillissent ici et là les questionnements existentiels. Qu’ai-je fait de ma vie ? »


L’auteur se raconte sans filtre, sa retraite spirituelle dans un monastère ou son stage testostéroné dans une caserne militaire accompagné par les membres d’un régiment d’infanterie. L’homme assagi affirme voir de moins en moins d’intérêt aux brouhahas de ce début de XXIe siècle ampoulé par la morale qui emprisonne toute légèreté.


« J’étais un jeune con, et maintenant je suis un vieux con. Les quelques extrémistes wokes qui vont m’insulter de vieux con auront probablement raison. Mais moi, je ne prône pas la guerre. »




Confessions d’un hétérosexuel légèrement dépassé


Frédéric Beigbeder, Albin Michel, Paris, 2023, 176 pages




 





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