Combien de temps devrons-nous nous battre pour nos idéaux?

Les militants ont besoin, je crois, de réfléchir en profondeur sur le sens de leur travail et l’importance de la constance.

Tribune libre


Que penser du fait que certains retraités, parfois, se laissent aller à dire: « Pourquoi me battrais-je pour la souveraineté du Québec? Ça n’arrivera pas de mon vivant. » Ou : « Quand que la question palestinienne sera réglée, je ne serai plus de ce monde. » Pendant combien de temps devrons-nous poursuivre nos luttes? Vaut-il la peine de « continuer le combat » quand on ne voit pas poindre la victoire dans un futur immédiat?
Oui, il vaut la peine de se battre, si on examine ces questions avec l’éclairage de la pensée de quelques philosophes. Je pense ici, entre autres, au philosophe allemand Karl Jaspers (1883-1969). Jaspers décrit ce qu’il appelle les situations-limites. Ce sont des situations auxquelles l’homme ne peut échapper, auxquelles tout homme est confronté, un jour ou l’autre. On ne peut avoir une attitude de déni face à ces « événements » possibles.
Jaspers décrit cinq situations-limites : la mort, la souffrance, le hasard, la faute et la lutte. Pour Jaspers, c’est justement lorsqu’il rencontre une situation-limite que l’homme accède à la conscience. Les situations-limites sont des situations opaques, contre lesquelles nous nous heurtons, sans parvenir à les expliquer, à en connaître la raison d’être. Elles sont données avec la vie elle-même. Peu importe donc que la lutte soit longue, que l’horizon soit constamment repoussé. La lutte fait partie du destin de l’homme, comme la mort, comme la souffrance. On ne peut en chercher l’explication ailleurs que dans la condition humaine.
Revenons aux exemples concrets de la souveraineté du Québec ou de la lutte du peuple palestinien. Mais on pourrait illustrer la question par d’autres combats : la protection de l’environnement, la recherche d’un nouvel ordre économique mondial plus juste, etc. Il est bien possible que je meure avant que ces idéaux ne soient atteints (« Mais nous, nous serons morts mon frère », chantait Raymond Lévesque). Est-ce une raison de ne pas y travailler? Non. De nombreuses personnes se sont battues contre l’esclavage aux États-Unis et sont mortes avant que celui-ci ne soit aboli Même si elles n’ont pas vu de leur vivant le fruit de leur lutte, leur combat n’a pas été vain. Elles ne se sont pas dit, en 1820 ou en 1830 : j’arrête de lutter contre l’esclavage parce que le résultat tarde. C’est seulement en 1865, à la fin de la Guerre de Sécession, que leur lutte a fait un pas décisif. Autres exemples : pour l’abolition du travail des enfants, pour le droit de vote des citoyens non propriétaires, pour le droit de vote des femmes, pour la fin de l’apartheid en Afrique du sud, il a fallu des décennies de ténacité.
Les militants ont besoin, je crois, de réfléchir en profondeur sur le sens de leur travail et l’importance de la constance. Les philosophes peuvent nous apporter un éclairage pertinent dans cette voie. Ceci dit, il n’est pas interdit de grignoter quelques victoires avant de passer l’arme à gauche…
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Jacques Fournier
organisateur communautaire retraité

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