Chypre : bilan d’étape

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Les Allemands ont durablement compromis ce qui restait de confiance dans les systèmes bancaires de la zone Euro

L’accord finalement signé entre le gouvernement chypriote et la Troïka aux premières heures du 25 mars est, en apparence, un progrès sur celui, rejeté par la Parlement de Chypre, qui avait été signé le 16 mars. La première, et la plus importante, des différences est que les dépôts de moins de 100 000 euros ne seront pas touchés. Mais, cet accord ne fait que confirmer des choses que nous savions déjà : il correspond à la mainmise de l’Allemagne sur l’ensemble du processus de sauvetage. Surtout, il établit un très dangereux précédent. Au-delà, l’application de cet accord va rencontrer de nombreuses difficultés. Compte tenu de l’évasion des capitaux qui a eu lieu entre le 16 et le 25 mars, il faudra taxer les comptes de plus de 100 000 euros à plus de 70% (et non 30% comme initialement annoncé). Cet accord est lourd de menaces pour l’ensemble de la zone Euro, mais surtout pour Chypre, qu’il condamne de facto à un appauvrissement considérable. Le succès à la Pyrrhus de l’Allemagne Cet accord montre le triomphe de la stratégie allemande. L’Allemagne est dans la contradiction suivante : elle entend conserver la zone Euro, dont elle tire le plus grand profit, mais elle entend la conserver au moindre coût pour elle. D’où l’idée de faire contribuer, en cas de restructuration bancaire non pas les seuls actionnaires (ce qui serait normal) mais aussi tout ou partie des déposants. C’est la raison pour laquelle l’Allemagne s’est montrée inflexible dans la négociation. Elle a donc obtenu qu’une large part de la contribution aux sommes nécessaires (5,8 milliards sur les 17,5 milliards) proviennent de la « tonte » des déposants. Elle peut donc continuer sa politique selon laquelle une crise doit être payée avant tout par le pays qui la subit. On peut remarquer que cette politique est très proche, dans son principe, de celle que le Royaume-Uni mit en place par rapport à l’Irlande lors de la famine de 1847. Ici encore, on prétendait que les secours devaient être majoritairement payés par les Irlandais. On sait ce qu’il en advint1. Il est d‘ailleurs inouï qu’un ministre français, Pierre Moscovici pour ne pas le nommer, ait donné son consentement à cette stratégie. Mais cette stratégie pourrait s’avérer contre-productive dans un délai relativement court. En effet, la déclaration plus que maladroite du président de l’Eurogroupe affirmant que ce qui fut fait à Chypre servirait de modèle pour traiter d’autres crises a déclenché le lundi 25 mars une émotion bien compréhensible sur les marchés financiers. Même si cette déclaration a été ensuite démentie, même si de nombreuses autorités, comme François Hollande en France, ont insisté sur le caractère « particulier » de la situation chypriote et la nature « exceptionnelle » des mesures prises, le mal est fait. Désormais, à chaque nouvelle crise, l’inquiétude d’être traités comme les Chypriotes s’emparera des peuples, ce qui rendra toujours plus difficile la recherche d’une solution. En imposant leur lourde main de fer, les Allemands ont durablement compromis ce qui restait de confiance dans les systèmes bancaires de la zone Euro. Chypre, pour tenter d’éviter une fuite massive des capitaux, devra instaurer des contrôles de capitaux, qui sont théoriquement proscrits au sein de la zone Euro. Cette dernière en est donc à accepter le principe de mesures qu’elle avait toujours refusé, car niant en réalité les avantages de la monnaie unique. Ce n’est pas le moindre paradoxe de cette crise. Les fragilité du plan du 25 mars Par ailleurs, la réussite dans le cas chypriote risque de ne pas être au rendez-vous. La Banque centrale de Chypre maintient la fermeture des banques jusqu’à jeudi. Nous verrons alors si un « bankrun », autrement dit une panique bancaire se déclenche. La population, traumatisée, n’a guère de raisons d’avoir confiance dans le système bancaire. Au-delà, la question de la réussite technique de ce plan est posée. On sait désormais qu’une partie non négligeable de l’argent de la Cyprus Popular Bank et de la Bank of Cyprus est sortie entre le 16 et le 25 mars. Ces sorties se sont faites soit par les filiales de ces deux banques (qui contrairement aux maisons-mères n’avaient pas été fermées), soit par les clauses d’exceptions que la BCE, qui avait organisé le blocus monétaire de Chypre, a été obligée d’instaurer très vite. Les montants qui se sont évaporés sont au minimum de 4 milliards et pourraient atteindre jusqu’à 10 milliards d’euros. Les autorités monétaires n’auront pas le choix. Si elles veulent retrouver les montants nécessaires (5,8 milliards d’euros) tels qu’ils ont été prévus dans le plan, il faudra augmenter la taxe sur les dépôts de plus de 100 000 euros. D’une taxe de 30% on pourrait arriver à une taxe à 80%. Ceci équivaudrait à une confiscation des dépôts, et provoquerait la fuite des dépôts de moins de 100 000 euros, non seulement hors de la Bank of Cyprus mais aussi des autres banques chypriotes. Le plan, censé éviter un effondrement complet du secteur bancaire, le provoquerait en réalité. Nous verrons très vite, à partir de jeudi 28 mars en réalité, à quoi il faut s’attendre. Mais on ne peut exclure que ce plan soit insuffisant et que de nouvelles négociations s’engagent dès la semaine prochaine pour un plan complémentaire. Si tel était le cas, nous serions revenus au point de départ. Notons enfin que des entreprises russes, dont la liquidité serait ainsi prise en otage dans le processus de taxation lourde des comptes de plus de 100 000 euros pourraient attaquer en droit international le gouvernement de Chypre, donnant naissance à des procédures multiples aux issues hasardeuses. La crise qui vient Enfin, cette crise est un signal important quant à la crise rampante que connaît la zone Euro. Le simple fait qu’un pays ne représentant que 0,2% du PIB de cette zone puisse poser un tel problème est bien le symptôme d’une situation extrêmement détériorée. Le Président François Hollande se mordra les doigts pour avoir affirmé, avec un rare aplomb et une rare impudence, que « la crise de l’euro est derrière nous ». C’est en réalité tout le contraire. Déjà, la Slovénie va frapper à la porte, connaissant elle aussi une crise importante de son système bancaire. Alors que la situation économique continue de se dégrader en Espagne, où le chômage s’apprête à dépasser les 27% de la population active et la dette publique à atteindre les 100% du PIB, alors que l’Italie va connaître dans les semaines qui viennent une crise grave liée à l’impact de la contraction du crédit sur les PME-PMI, l’heure n’est plus aux rodomontades. Or la méthode employée sur Chypre contient tous les ingrédients nécessaires pour paniquer les déposants espagnols et italiens. Un processus de contagion à ces deux pays signifierait l’explosion à court terme de la zone Euro. La meilleure solution reste encore, tant qu’il en est temps, de procéder de manière coordonnée à la dissolution de la monnaie unique afin de préserver des mécanismes de coordination entre les monnaies nationales retrouvées, par exemple dans le cadre d’une système de monnaie commune.


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Jacques Sapir141 articles

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Jacques Sapir est un économiste français, il enseigne à l'EHESS-Paris et au Collège d'économie de Moscou (MSE-MGU). Spécialiste des problèmes de la transition en Russie, il est aussi un expert reconnu des problèmes financiers et commerciaux internationaux.

Il est l'auteur de nombreux livres dont le plus récent est La Démondialisation (Paris, Le Seuil, 2011).

_ Zone Euro : une crise sans fin ?
_ Zone Euro : le bateau coule…
_ Marine le Pen, arbitre de la vie politique française
_ L’Euro, un fantôme dans la campagne présidentielle française
_ Euro : la fin de la récréation
_ Zone Euro : un optimisme en trompe l’œil?
_ La restructuration de la dette grecque et ses conséquences
_ À quel jeu joue l’Allemagne ?
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