Chute et fuite d’une fondamentaliste de la réingénierie de l’État et des PPP

Scandales à Montréal - les compteurs d'eau

Invitée à "Tout le monde en parle", le 12 avril dernier, l’ex-ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, a confessé que la pire gaffe de sa carrière politique avait été de mettre en doute la qualité de l’eau de la Ville de Montréal. On aurait souhaité que l’animateur ou le fou du roi de l’émission lui demande ce qui avait bien pu l’amener à faire une déclaration aussi intempestive et non fondée.
Rappelons le contexte de ladite gaffe. C’était en septembre 2003, peu de temps après l’arrivée au pouvoir du tandem Charest-Jérôme-Forget. Le parti néolibéral du Québec tenait son Conseil général à Laval. Pendant la rencontre et après, devant les journalistes, la nouvelle présidente du Conseil du Trésor avait déclaré « qu’il fallait s’inquiéter de la qualité de l’eau, particulièrement à Montréal, où la qualité de l’eau ne respectait pas les normes internationales ». Stupéfaction à la Mairie de Montréal et début de panique dans la population. Le parti a vite réalisé que sa stratégie était trop offensive et maladroite. Embarrassé, le premier ministre s’est empressé de contredire sa ministre trop bavarde. Cette déclaration inopinée visait bel et bien à préparer l’opinion publique à la cession de la gestion de l’eau des municipalités à l’entreprise privée, ce qui faisait partie de l’agenda secret du parti libéral.
L’ ayatollah de la réingénierie de l’État et des PPP
Dans une longue entrevue accordée à L’Actualité peu de temps après sa nomination à la présidence du Conseil du Trésor, Monique Jérôme-Forget avait expliqué que la raison principale de son entrée en politique, avait été de réaliser son rêve de procéder à une révision complète du rôle de l’État, lequel devait laisser à l’entreprise privée, plus efficace que le public, la gestion de la plupart des services y compris l’éducation, les soins de santé et, évidemment, l’eau. La réingénierie de l’État, c’était le maître-mot des idéologues de la belle époque du néolibéralisme et de la globalisation, alors à son apogée.
Conformément aux enseignements de la Banque mondiale et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la réingénierie de l’État se résume dans la mise en oeuvre de trois grandes consignes : privatisation, déréglementation, libéralisation. En d’autre mots, réduction du rôle de l’État en faveur de puissants intérêts transnationaux. Protéger notre agriculture, nos ressources naturelles, nos outils de développement économique, devenaient des notions dépassées. Juste le contraire du « Maîtres chez nous » de Jean Lesage et de René Lévesque qui avaient voulu nous délivrer de notre statut de « porteurs d’eau et des scieurs de bois ».
Le tout-au-privé peut se réaliser soit directement comme dans le cas de l’éolien et des petits barrages, soit indirectement par le biais des partenariats public-privé (PPP). A la suite de sa déconvenue de septembre 2003, Mme Jérôme-Forget n’a nullement renoncé à son agenda principal. En décembre 2004, elle fait adopter la Loi sur l’Agence des partenariats public-privé du Québec. La mission de l’Agence est de « contribuer par ses conseils et son expertise au renouvellement des infrastructures publiques dans le cadre de la mise en oeuvre de partenariats public-privé ».
L’ayatollah des PPP veut non seulement la réingénierie de l’État mais aussi des municipalités. C’est ainsi qu’en 2005 elle parraine la Loi 62 sur les compétences municipales. Entrée en vigueur le 1er janvier 2006, cette législation confère aux municipalités du Québec, le pouvoir de céder en PPP à des entreprises privées « la construction et la gestion de son système d’aqueducs, de son système d’égouts, et de ses autres ouvrages d’alimentation en eau ou d’assainissements des eaux ». (Art. 22) Des contrats qui peuvent s’étendre sur un période de 25 ans.
Le PPP incestueux des compteurs d’eau de la Ville de Montréal
L’affaire trouble des compteurs d’eau de la Ville de Montréal dans laquelle s’embourbe le maire Tremblay depuis une semaine, s’inscrit dans le droit fil de la Loi 62. Cette indécente connivence entre les élus et les lobbies d’affaires constitue l’illustration exemplaire de la vraie nature des PPP. Comme l’avait remarqué le dramaturge allemand Bertold Brecht, « c’est dans l’exagération que se révèle la vraie nature d’un système ».
Voici quelques jalons de cette incroyable saga. Se prévalant de la Loi 62 susmentionnée, la Ville de Montréal a formé avec la firme d’ingénierie BPR un PPP pour la gestion du vaste Chantier de modernisation de la gestion de l’eau exigera le déblocage de milliards de dollars. Il s’agit d’un contrat de dix ans. La firme BPR a ses bureaux dans les locaux de la municipalité. C’est elle qui a rédigé le contrat d’appel d’offres pour l’installation des compteurs d’eau. Le contrat a été accordé au consortium Génieau, Dessau, Simard-Beaudry (une entreprise de Tony Accurso !). Le hic, c’est que BPR fait aussi partie d’un autre consortium : BPR-Dessau. Sur les entrefaites, Frank Zampino, ex-président du Comité exécutif de la ville, empruntant le passage des portes tournantes, a abouti chez Dessau où il est devenu, du jour au lendemain, le vice-président. La conformité légale du contrat a été confiée au cabinet privé Dunton-Rainville plutôt qu’au Service du contentieux de la ville. L’analyse financière du dossier a été confié à la firme comptable Raymond Chabot Grant Thornton, en lieu et place du Service financier de la municipalité. Toujours est-il que selon les chiffres aujourd’hui disponibles chaque compteur coûtera aux contribuables de la Ville de Montréal la somme de 3337$, alors qu’à Toronto le même instrument tout bien installé ne coûtera que 476$.
En 2008, la ministre des Affaires municipales, Nathalie Normandeau, répondant à une plainte de l’Opposition officielle, avait conclu que rien ne permettait d’affirmer que le consortium Génieau-Dessau-Simard-Beaudry « avait pu profité d’un traitement de faveur ».
Des accords de dépossession
Dans les années 1980-1990, nos politiciens, tant à Ottawa qu’à Québec, ont endossé, ratifié et signé de nombreux accords de libre-échange, tels l’ALENA et l’Accord général sur le commerce des services (AGCS). La société civile non informée ou désinformée n’a pas vu alors que tous ces accords comportaient l’obligation pour les gouvernements de procéder progressivement et par tous les moyens, dont les PPP, à la privatisation des services et des biens publics.
Puisse le scandale des compteurs d’eau de la ville de Montréal contribuer à nous réveiller pour qu’en ce 21e siècle, nous devenions enfin Maîtres chez-nous !
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par Jacques B. Gélinas
Photo : Assemblée nationale du Québec


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