Changement théorique

Accommodements et Charte des droits

Ajustement cosmétique ou révolution? Alors que la commission Bouchard-Taylor va fermer ses micros, le gouvernement Charest veut ajuster la Charte québécoise des droits et libertés pour rappeler l'importance de l'égalité entre les hommes et les femmes. L'intention est noble, le geste louable. Mais ce rappel à l'ordre laisse en suspens encore trop d'iniquités.

Le projet de loi 63 présenté hier par la ministre de la Condition féminine, Christine St-Pierre, correspond sans contredit à l'un des morceaux de ce «socle» de valeurs communes auquel aspire le Québec.
Comme convenu, le gouvernement annonce son intention d'ajuster la Charte québécoise pour assurer le respect de l'égalité entre hommes et femmes. Refusant avec raison de céder à une hiérarchisation des droits, Québec choisit plutôt de modifier le préambule de la Charte en y inscrivant l'importance de l'égalité entre les sexes. Il ajoute de surcroît une clause interprétative -- à la manière de la Charte canadienne -- qui souligne à double trait la force de ce caractère.
Comment ne pas saluer ce principe? Volontairement fait en pleine tempête identitaire, l'ajustement -- un brin électoraliste -- s'ajoutera à la boîte à outils juridiques en cas de conflit. Réclamé par le Conseil du statut de la femme, cet amendement servira-t-il aux juristes lorsqu'on opposera en cour droit à la religion et égalité entre les sexes, un terrain encore non défriché? L'avenir seul le dira. En matière de droit, les arguments des uns valent parfois tout à fait ceux des autres.
Malgré la noblesse du geste, toutefois, cette modification à la Charte risque de changer peu de chose sur le plancher des vaches, là où l'inégalité entre les sexes reste -- hélas! -- une réalité très palpable. L'amendement ne changera rien à l'écart salarial (de parfois 30 %) qui subsiste entre hommes et femmes au travail. Rien encore au fait que les plaintes pour violence conjugale, principalement formulées par des femmes, correspondent à près du quart des dossiers de crimes contre la personne traités par les policiers.
Il ne changera rien non plus à ce constat désolant: pendant qu'on chatouille la Charte pour cimenter l'égalité théorique des hommes et des femmes, les droits au logement, au revenu, au travail, à l'éducation et à la santé -- tous plus faiblards au féminin -- ne sont en pratique pas du tout solidifiés.
Dans quelques jours, les deux sages de la Commission sur les pratiques d'accommodement se retireront pour ordonner le flot de confidences, de cris du coeur et de rappels entendus ces derniers mois. Ébranlés par certains excès tolérés au nom de la diversité religieuse, plusieurs ont défilé pour affirmer leur exaspération devant le recul apparent des droits des femmes. Hier encore, Gérard Bouchard avait bien raison de sonder ainsi les représentants de l'Assemblée des évêques catholiques du Québec: et vous, quel tapis rouge dérouleriez-vous aux femmes?
Cette commission-thérapie aura donc permis de le réaffirmer: l'égalité entre les sexes brille au palmarès des valeurs souhaitées par la majorité. L'amendement à la Charte suggéré par les libéraux vient confirmer son inscription au fameux «socle» commun. Fort bien. Mais il ne faudrait pas que ce geste symbolique masque l'implacable réalité.
Dans le monde réel, loin des tribunaux et des figures politiques, les femmes, qu'elles soient de souche ou nouvellement arrivées, mènent encore d'âpres combats. Les intégrismes religieux, quels qu'ils soient, servent généralement très mal leurs intérêts. Les qualifications professionnelles des immigrantes sont trop souvent non reconnues. À tout cela, le polissage d'une charte ne changera rien.


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