HISTOIRE

Ces magnifiques héros de la Nouvelle France

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Chronique de Marie-Hélène Morot-Sir

Les attaques des Odinossonis (Iroquois) étaient, en ces années 1658, à nouveau redevenues terribles et de plus en plus nombreuses, faisant des dizaines et des dizaines de morts.


Cela était alors principalement dû au contrôle du commerce des fourrures, parce que les Odinossonis voulaient être les seuls intermédiaires, entre les fournisseurs de pelleteries et les Français, et par conséquent ils désiraient soumettre les autres Amérindiens, tels les Montagnais, les Algonquins, les Wendat (Hurons) les Attichawata ou n’importe quelle autre nation, désireuse de faire, elle aussi, cette traite des pelleteries, qui était d’une importance considérable à cette époque-là, pour l’économie de la colonie elle-même. Ils parcouraient tout le pays sur les territoires même des Wendat ou des Attichawata, alliés des Français, tout en espérant fortement arriver à les en chasser.


C’est pourquoi un arrêt même provisoire de l’approvisionnement, pouvait avoir des conséquences considérables et c’est ce qui se produisit vers les années 1658-59, du fait de ces attaques iroquoises de plus en plus nombreuses, les fourrures ne parvenaient plus ni à Ville Marie (Montréal) ni à Québec. La nourriture peu à peu manque et Ville Marie tout entière commence à souffrir réellement !


Depuis la fondation  de Ville Marie, en 1642 par Paul Chomedey de Maisonneuve, cela fait à peine dix-huit ans, la petite agglomération ne compte encore que 372 personnes…


Mère Marie de L’Incarnation, supérieure du couvent des Ursulines, avait rapporté dans un de ses récits, qu’il avait même été question alors, la situation étant si grave, de rapatrier en France la colonie tout entière, dans un tel cas de pareille situation de blocage économique.  Heureusement un groupe de jeunes gens de Montréal va alors réaliser un véritable exploit.


Adam Dollard des Ormeaux, jeune officier de vingt-trois ans, commandait la garnison du petit fort de Ville Marie qui n’était alors qu’une minuscule bourgade fortifiée. Au-delà de cette petite bourgade, commençait le chemin des pays d’En-Haut.


Adam Dollard était arrivé en Nouvelle France depuis peu de temps, en 1657 seulement, mais devant cette situation presque désespérée, le jeune officier pense pouvoir « …courir sur les petites bandes Odinossonis au moment où elles redescendraient la rivière, revenant chargées de leurs produits de la chasse hivernale » et cela avec une facilité qu’il présumait telle, puisque ces Odinossonis n’auraient pratiquement plus de balles ni de poudre lors de ce retour.


Cette capture des fourrures de castors Odinossonis paraissait certainement une opération très profitable, leurs canots devaient en être remplis ! C’est pourquoi Adam Dollard n’a pas trop de mal à recruter seize soldats modestes, courageux et prêts à se lancer dans une telle aventure, poussés par l’idée d’enlever et de ramener en quantité de riches fourrures, ce qui les aiderait à se faire ainsi un peu d’argent, tout en aidant la ville. Cela ne s’avérait, certes pas très facile, mais à cette époque incroyablement audacieuse et téméraire, cela ne posait pas des problèmes insurmontables à tous ces jeunes hommes aguerris. Les soldats prêts à partir pour cette entreprise, avec Adam,  sont tous soit des artisans, ou des laboureurs, nombreux sont ceux qui sont arrivés récemment en Nouvelle France  la plupart depuis 1653 seulement.  


La petite équipe part  donc en canot le  19 avril 1660, en direction d’un ancien fort Algonquin délabré. Il ne portait même pas encore de nom, mais bien encaissé sur la rivière, il pouvait effectivement très bien permettre d’arrêter, en cet endroit stratégique, les guerriers Odinossonis.


Adam et sa petite troupe doivent, après avoir quitté le grand Kaniatarowane-neh, le Saint Laurent de son nom amérindien, entrer dans la rivière des Outaouais, puis traverser le lac des deux montagnes, parvenir jusqu’aux rapides de Carillon, les chutes à Blondeau et beaucoup plus loin, après un large détour vers l’ouest, entrer dans un lac par un passage particulièrement étroit, dans lequel les eaux furieuses vont les entraîner d’une manière abrupte et périlleuse, c’est le Sault de la chaudière.


Arrivés à cet endroit-là, ils décidèrent d’aller s’y installer, pour guetter le passage des Odinossonis, au-dessous de ce long Sault. En effet il s’y trouvait cette ancienne palissade abandonnée par les Algonquins, une enceinte non consolidée, faite de troncs d’arbres, assez haute néanmoins pour s’y abriter.


Adam Dollard des Ormeaux et ses seize compagnons y parvinrent rapidement, la retapèrent comme ils purent en y arrivant le soir, puis le jeune officier posta quelques-uns de ses alliés algonquins qui les avaient rejoints  un peu plus haut, à la tête du long Sault. C’était un petit groupe d’Amérindiens avec le chef Wendat Anahotaha qui, ayant eu vent de cette embuscade étaient venus prêter mains fortes aux Français.


Ils s’y installent tous, mais mettent, malheureusement sans discernement, leurs chaudrons au bord de l’eau, beaucoup trop loin de la palissade… Soudain, les sentinelles qui attendaient à la tête du long Sault, annoncent des canots remplis d’Odinossonis se dirigeant, à vive allure, vers eux.


Alors ce fut inimaginable, les Odinossonis déboulèrent avec toute une armada de canots, porteurs de fusils et de tomahawks, surgissant en nombre incroyable des rapides, avec plus de deux cents Onnaontagués la hache à la ceinture et les fusils à la pointe des canots. Tous enragés, se précipitant sur eux, tuant et coupant des têtes, car effectivement, ce jour-là ils avaient revêtu leurs plus terrifiantes peintures… Ce qu’Adam et ses compagnons ne savaient pas, c’est que ces tribus et particulièrement les Onnaontagués, étaient ce jour-là sur le chemin de la guerre, arborant en effet toutes leurs plus terribles peintures, ayant décidé d’aller déferler sur Ville Marie...


Adam Dollard, entraîne tout le monde à l’abri de la palissade, dont ils consolident vivement à nouveau quelques  endroits, tout en repoussant une première attaque.


Les Odinossonis détruisent les canots des Français, leur enlevant toute possibilité de fuir. Puis la seconde attaque  survient comme un coup de tonnerre, se ruant sur le misérable fortin en un assaut tumultueux, repoussé cependant, avec la plus extrême vigueur.


Anahotaha, impressionné par le nombre et la rare violence enragée des attaquants Odinossonis, suggère d’envoyer des émissaires Wendat parlementer avec eux, en proposant de la porcelaine, mais les Odinossonis refusent catégoriquement l’offre, et les émissaires terrorisés en évaluant à l’avance le peu de chance des Français, largement  submergés par le nombre, préfèrent alors changer de camp devant la situation, telle qu’elle se présente !


Les Odinossonis attaquent alors, sans plus aucune restriction, les Français et les Hurons… la troisième attaque est à nouveau très bien repoussée. Mais entre-temps les quelques Wendat restant encore près d’eux, terrorisés par ces ennemis virulents sautent un à un la palissade seul le chef Anahotaha et quatre autres Wendat resteront à côté des Français.


Cela va durer cinq jours !


Les Odinossonis étaient armés de fusils largement distribués par les Anglais, alors que les alliés Amérindiens des Français n’en possédaient pas encore à cette date, à cause  de la politique de Samuel de Champlain. Les  Français sont assiégés derrière leur palissade, ils souffrent du froid  de l’insomnie, de la faim, ils ont à peine un peu de farine de maïs trop épaisse pour vraiment se nourrir et surtout ils n’ont pas d’eau… Ils tentent bien une sortie pour s’en procurer  en allant en puiser à la rivière, mais ils sont harcelés nuit et jour.


Quelques jours après, une flottille remplie d’autres Odinossonis arrive en renfort, « dans une clameur terrifiante ! »


Les Français purent dénombrer plus de cinq cents Annierronnons (Agniers) accompagnés de cinquante Onneiouts, ce qui faisait avec les précédents attaquants Odinossonis entre sept cents et huit cents guerriers bien armés, contre seulement dix-sept Français et cinq amérindiens…


Durant à nouveau trois longues journées, les attaques se répètent et sont magnifiquement repoussées, tandis que les assaillants  préparent cette fois  des torches enflammées pour tenter d’incendier la palissade… Voyant que le prochain assaut risque  bien d’être le dernier, Adam charge un gros mousqueton de poudre et de balles  pensant pouvoir l’envoyer disséminer les rangs  ennemis, il l’allume et en effet il le lance par-dessus la palissade, mais rien ne se passe comme prévu, rien ne semble arrêter ces terribles Odinossonis. En désespoir de cause Adam tente de faire de même avec un petit baril de poudre mais jouant de malchance, une branche arrête le baril dans sa course et le renvoie à l’intérieur de la palissade, tuant plusieurs Français, aveuglant les autres, et les Odinossonis n’eurent alors aucune peine pour pénétrer derrière la palissade  et s’attaquer au corps à corps aux cinq Français restant et aux quatre Wendat.


Le dernier assaut termina donc la bataille, tous périrent, le dernier des dix-sept acheva  au pistolet ses camarades blessés pour leur éviter la torture.


Annaotaha le fidèle Wendat (Huron), mourut percé de flèches à côté de Dollard des Ormeaux, mais des dix-sept on n’en retrouvera aucun, dépecés distribués et probablement mangés.


Curieusement au soir de leur victoire, les Odinossonis ont rebroussé chemin et regagné leurs territoires, sans même essayer de poursuivre leur avancée vers Ville Marie, pourtant maintenant à leur portée, trop décontenancés  d’avoir  eux-mêmes été tenus si longtemps en échec par un si petit nombre. Peut-être que dans ce terrible massacre, leurs sorciers y avaient  lu de trop funestes présages, mais c’est ainsi que Ville Marie et donc également toute  la Nouvelle France fut sauvée d’un féroce assaut Iroquois.


Ils s’en retournèrent alors précipitamment dans leurs villages, laissant même sur place toutes leurs fourrures. Nous pouvons imaginer que les  défenses françaises avaient fait de nombreux blessés et des morts dans les rangs des Odinossonis et qu’ils avaient dû certainement étre obligés de  décharger leurs canots de toutes leurs fourrures pour ramener leurs morts et leurs blessés dans leurs villages.


L’invasion  de la Nouvelle France par les Odinossonis en cette année 1660 fut ainsi évitée.


C’était le 2 mai 1660.


Au petit village de Carillon demeure un monument à la gloire de ces dix-sept héros, tous aux noms français : Hébert, Lecomte, Tremblay, Martin, Boisseau, Robin, Tavernier, Valet, Delestre, Cusson, Augier… Tous  natifs du Perche, ou de Normandie, tous très jeunes, âgés d’à peine 17 à 23 ans, bûcherons, laboureurs, artisans, le Canada  français était bien représenté.


Adam Dollard des Ormeaux n’avait donc pas  formé le dessein héroïque de se faire tuer pour arrêter l’invasion des Iroquois, comme l’affirmèrent les Jésuites dans leurs “ Relations ” sans doute pour embellir l’exploit !


En effet ce n’est qu’après l’expédition du petit groupe des dix-sept qu’on apprit à Québec ce projet d’invasion des Odinossonis, et leur déplacement en aussi grand nombre ce jour-là.


Cependant par leur résistance acharnée, ils ont permis de les arrêter et de sauver la colonie de ce terrible désastre.


Pierre Esprit Radisson et son beau-frère Médard Chouart des Groseilliers passant par là quelques jours plus tard, trouvèrent par hasard les restes horribles de ce terrible assaut, ainsi que des dix-sept français, éparpillés tout le long de la rive.


Pierre Radisson dira de Dollard :


« Ce piqué de la Tarentule a sauvé nos établissements, car ces terribles loups d’Odinossonis avaient dans le chignon de fondre sur le Mont Royal ! » 


Ils récupèrent alors les fourrures abandonnées précipitamment par les Odinossonis (Iroquois),  elles ramèneront la prospérité, un moment menacée, dans la colonie.


Chaque année le dernier lundi de mai les Canadiens français ont fêté longtemps Adam Dollard des Ormeaux et ses compagnons, qui sans le savoir avaient sauvé deux fois la colonie, une première fois en empêchant le terrible assaut des Odinossonis sur Montréal puis même jusqu’à Québec qu’ils avaient le dessein de prendre dans la foulée, et la deuxième fois grâce aux fourrures, qu’ils avaient laissées sur place, ramenant ainsi la prospérité.


Au cours des siècles, cette fête uniquement dédiée aux dix-sept de fort Carillon, est depuis devenue celle de tous les Patriotes, englobant ainsi tous les gens valeureux qui grâce à leur courage ont également combattu vaillamment  et de multiples façons, durant tous ces derniers siècles pour la liberté de la Nouvelle France, devenu par la suite après le départ de la France et la conquête anglaise, le Bas Canada puis le Québec d’aujourd’hui.


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Marie-Hélène Morot-Sir151 articles

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Auteur de livres historiques : 1608-2008 Quatre cents hivers, autant d’étés ; Le lys, la rose et la feuille d’érable ; Au cœur de la Nouvelle France - tome I - De Champlain à la grand paix de Montréal ; Au cœur de la Nouvelle France - tome II - Des bords du Saint Laurent au golfe du Mexique ; Au cœur de la Nouvelle France - tome III - Les Amérindiens, ce peuple libre autrefois, qu'est-il devenu? ; Le Canada de A à Z au temps de la Nouvelle France ; De lettres en lettres, année 1912 ; De lettres en lettres, année 1925 ; Un vent étranger souffla sur le Nistakinan août 2018. "Les Femmes à l'ombre del'Histoire" janvier 2020   lien vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=evnVbdtlyYA

 

 

 





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1 commentaire

  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    24 mai 2021

    ( C'est suite à la Bataille du Long Sault qui avait dramatisé la situation d'insécurité de la colonie naissante que Pierre Boucher part en France en 1661 pour demander du secour du Roi Louis XIV. ) :



    Opinion : 350e anniversaire de Boucherville



    Pierre Boucher, un héros à découvrir




    « Ambassadeur de la Nouvelle-France auprès du roi de France et de Colbert



    Pierre Boucher est anobli par le roi Louis XIV en 1661. Le gouverneur d’Avaugour, alors que la colonie est dans un état déplorable, délègue Pierre Boucher auprès du roi pour la défendre. Le souverain promit qu’il protégerait le pays. En 1662, Pierre Boucher obtient les ressources nécessaires en hommes, vivres et bateaux pour renforcer la colonie. Le roi décide de transférer la Nouvelle-France sous son autorité et d’abolir la Compagnie des Cents associés qui détenait les pouvoirs seigneuriaux depuis 1627. Il envoie un premier contingent de 36 filles à marier que Marguerite Bourgeoys nommera plus tard Filles du Roy..



    Auteur d’un mémoire sur le Canada



    Son Histoire véritable et naturelle des mœurs et productions du Pays de la Nouvelle-France vulgairement dite le Canada, est publiée à Paris en 1664. Ce texte marquant de cette époque a contribué à faire connaître la Nouvelle-France et à intensifier l’intérêt à son égard. L’envoi des troupes du régiment de Carignan-Salière en 1665 est un des effets positifs de cette publication. La paix qui suivit contribua au développement de la Nouvelle-France. »



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