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La langue française

Sitôt dévoilé, sitôt enterré. Le rapport prônant une évaluation «holistique» de l'épreuve uniforme de français au collégial sera passé des presses aux oubliettes. Grand bien nous fasse! Toutefois, si brève fût-elle, sa seule existence inquiète, car elle relève d'une philosophie galopante au ministère de l'Éducation selon laquelle le passage à l'école doit se faire sans heurts.

La page 95 du document de travail Pour une révision des épreuves uniformes de langue d'enseignement et littérature, dévoilé hier par Le Devoir, l'indique noir sur blanc: «Dire qu'il y a une erreur, c'est aussi dire qu'il y a commission d'un écart par rapport à une norme ("divine") qu'il faut suivre. [...] L'approche, judéo-chrétienne, est punitive, l'idéal à atteindre étant une sorte d'état angélique duquel il faut s'éloigner le moins possible.»
Enseignant de français au collégial et ancien superviseur à la correction de l'épreuve uniforme de français au cégep, l'auteur Richard Berger soutient dans son document l'idée d'une appréciation globale -- cette fameuse approche «holistique» -- de l'examen dans son ensemble, par opposition à une méthode «comptable et mécanique», jugée «punitive» et assortie d'un processus «pointilleux».
Le guide de correction de cette épreuve utilisée depuis sept ans pour juger de l'admissibilité d'un collégien à l'université compte en effet 125 pages. Il recèle des critères comptables, certes, garants d'une certaine rigueur. Au nom d'une plus grande équité à l'égard de l'étudiant, il aurait fallu jeter cela au panier?
Réagissant avec une promptitude à laquelle il faut applaudir, la ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne, a immédiatement condamné cette proposition, vantant la nécessité d'une maîtrise excellente du français, peu importe le degré scolaire. Interrogée à propos du fondement «judéo-chrétien» au nom duquel un professeur bariolerait de rouge la copie d'un disciple nonchalant, la ministre a levé les yeux au ciel et soupiré: «Ah! mon Dieu!», faisant ainsi écho à une exaspération généralisée à force de révélations du genre.
Ce rapport a beau avoir été rejeté par la ministre, il est associé à une vague de fond sur laquelle voguent nos élèves. Ainsi, le bulletin chiffré dévoilé en grande pompe la semaine dernière informera les parents des «forces et défis» de leurs enfants, la plus petite difficulté ayant gagné le statut de «défi» sous la baguette ministérielle.
Érigée en dogme, la protection de l'estime de soi de l'enfant -- un principe vertueux auquel on peut souscrire sans sombrer dans la bêtise -- pourrait donc cautionner la production de cancres? À cheminer dans un système ainsi pasteurisé, l'«apprenant» risque une chute douloureuse le jour où on lui indiquera sa première... erreur.
La ministre Courchesne a tenté un peu vite de dégager son ministère de la responsabilité de ce rapport déconcertant. C'est tout de même bel et bien le directeur de l'enseignement collégial du MELS qui en a spontanément pris la défense lorsque notre collègue a tenté d'en savoir un peu plus.
S'il faut chercher quelque réconfort, adoptons la vision «holistique» que la ministre de l'Éducation a proposée hier. Ainsi, si certains «pédagogues» ont tant pistonné l'approche fleur bleue, craignant tout classement de type militaire, c'est peut-être que, ces derniers temps, le discours officiel n'a porté que sur les élèves ayant des difficultés d'apprentissage. Ces enfants, dont la route est semée d'embûches, ont en effet davantage besoin de la tape dans le dos que d'un coup de baguette sur les doigts. Pour tous les autres, nul besoin de mettre des lunettes roses quand ils commettent des bévues linguistiques.
La tentation est grande de conclure que derrière ces écarts se camoufle un objectif de réussite du plus grand nombre. L'accumulation des diplômes dissimulerait alors un vaste gouffre qualitatif.
machouinard@ledevoir.com


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