Bâtir la nation

Stratégie énergétique

Grand bâtisseur du Québec.» Jean Charest semblait mal à l'aise avec l'expression lancée par ses supporters rassemblés à Laval le week-end dernier pour le conseil général du PLQ. Placé dans la même catégorie que les Godbout, Lesage et Bourassa par ses 600 délégués, le premier ministre ne voulait pas que l'on pense qu'il quittera la politique bientôt, même si l'expression se rapportait davantage à sa détermination à enfiler les projets hydroélectriques les uns après les autres qu'à sa possible retraite prochaine de la vie politique.
L'expression «grand bâtisseur du Québec» est peut-être mal choisie pour d'autres raisons. Le bâtisseur est «celui qui bâtit, qui construit, qui fonde». Celui qui se distingue par ces qualités sera considéré comme «grand». Jean Charest se distingue-t-il par la manière dont il bâtit, construit et fonde la nation québécoise?
On considère les grands chantiers hydroélectriques comme la manière par excellence de bâtir l'État en assurant l'indépendance énergétique et le financement des secteurs publics de la Santé et de l'Éducation par le truchement d'exportations lucratives aux États-Unis? Alors, on peut considérer M. Charest comme un grand bâtisseur. Les dizaines de milliards de dollars dépensés pour financer les projets sur les rivières Eastmain, Rupert et maintenant Romaine (en attendant Petit-Mécatina) sont là pour le prouver. «C'est l'avenir du Québec. [...] C'est là que je veux conduire le Québec», lançait le chef libéral au conseil général de son parti.
Hier ou aujourd'hui?
Si les centrales hydroélectriques étaient une voie tout indiquée en 1962, à une époque de grande noirceur où les leviers économiques de la province étaient contrôlés par des intérêts étrangers et où la nécessité d'alphabétiser et de soigner la population québécoise était pressante, est-ce bien le cas en 2009?
Les chantiers hydroélectriques sont désormais plus coûteux. Le coût de revient par kilowatt issu des centrales de la Romaine est estimé à 9,2 ¢ (auquel il faut ajouter 2 ¢ pour la ligne de transport, donc en réalité 11,2 ¢/kW), ce qui est bien au-dessus des 7 ¢ que nous payons à domicile. Encore davantage que le tarif commercial et bien loin du coût (2 à 3 ¢) associé aux centrales de la première phase de la Baie-James.
Désormais, les coûts des grandes rivières inexploitées (la rivière Romaine est le quatorzième des 16 plus grands cours d'eau de la province à être transformé en chapelet de réservoirs) sont comparables à ceux des parcs éoliens. Pourtant, on continue de «bâtir le Québec» en allant de l'avant avec des projets hydroélectriques.
Malgré de bons efforts, on nous répète que la part maximale que l'on peut développer en éolien au Québec est de 4000 mégawatts, ce que nous atteindrons en 2015. Au-delà de cette limite (10 % de la puissance installée totale au Québec), il sera trop difficile d'intégrer de l'éolien, selon ce que nous disent tant le gouvernement qu'Hydro-Québec.
L'économie de demain
Ailleurs, des spécialistes comme Hermann Scheer, député au Parlement allemand et président de l'Association européenne pour les énergies renouvelables basée à Berlin, disent pourtant que l'éolien et l'hydraulique forment un couple idéal et que le potentiel de 10 % pourrait être facilement multiplié. Certains pays européens en font d'ailleurs la démonstration. L'Espagne approche les 50 % de puissance installée venant de la filière éolienne. Le Danemark est au-dessus des 40 % et l'Allemagne est à 31 %. Faut-il préciser que ces pays ne sont pas de grandes puissances hydroélectriques comme le Québec?
Ce qu'il faut comprendre ici, c'est que lorsqu'il vente, on ferme les turbines des barrages et ceux-ci se remplissent davantage. Puis, quand il vente moins, on turbine l'eau accumulée lors des grands vents. Les vents permettent, en quelque sorte, de «recharger les batteries» que sont nos réservoirs hydroélectriques remplis. De plus, il se trouve que c'est en hiver que les vents sont les plus forts, en plein en demande de pointe de la consommation.
Au Québec comme ailleurs, le développement d'autres filières permet(trait) de fonder une nouvelle expertise énergétique locale qui pourra(it) par la suite s'exporter. Les marchés des énergies solaire, éolienne, de biomasse, de biogaz et de géothermie suivent des progressions au-dessus des 20 % annuellement dans le monde, et ce, malgré un climat économique morose. Même les États-Unis semblent vouloir se diriger vers les nouvelles énergies renouvelables sous l'impulsion de l'administration Obama.
La Corée du Sud pousse l'exercice encore plus loin, pouvait-on lire dans Le Monde du 23 mai dernier. Entre 2009 et 2012, ce pays investira plus de quatre milliards de dollars (la moitié du coût du complexe hydroélectrique de la Romaine) dans un «plan vert» où les technologies vertes, les énergies renouvelables et les produits et services écologiques auront une place enviable. «Prendre la conduite des nouvelles industries de croissance comme les technologies vertes décidera quels pays seront les grandes puissance de l'avenir», résumait le Coréen Kang Man-soo, chef du conseil présidentiel sur la compétitivité nationale.
Les dernières grandes rivières
Le Québec ne possède plus beaucoup de grandes rivières sauvages. La Romaine, la Petit-Mécatina et la Georges sont les trois dernières du groupe des seize plus grandes rivières de la province à n'avoir aucun barrage sur leur cours. Deux de ses trois rivières sont aujourd'hui dans la mire d'Hydro-Québec. Si le Québécois moyen reste fier de vivre dans une contrée sauvage au nord-est de l'Amérique, le caractère sauvage s'effrite considérablement. Et c'est normal. La question est: jusqu'où faut-il aller?
Jean Charest le reconnaît lui-même: il n'y a aucune forme d'énergie sans impact. C'est juste, sauf qu'à se concentrer sur une seule forme d'énergie (97 % de l'électricité produite au Québec provient de l'hydroélectricité), on s'expose à des risques qu'on peut difficilement prévoir, quoi qu'en disent les études d'impacts, soit dit en passant effectuées par le promoteur lui-même (Hydro-Québec).
La contamination au mercure, l'inversion des crues (débit élevé en janvier et faible au printemps -- on emmagasine l'eau dans les réservoirs pour la relâcher pendant la pointe de consommation des grands froids de l'hiver), le fractionnement du territoire (espèces animales qui ne franchissent plus une rivière devenue un réservoir trop large), l'érosion des rives due au marnage (fluctuation du niveau des réservoirs) et l'apport réduit de sédiments au fleuve (nécessaire à la santé de l'estuaire du Saint-Laurent et aux espèces qui le fréquentent) sont les impacts connus de l'hydroélectricité. À mettre tous nos oeufs dans le même panier, on ne devient peut-être pas aussi indépendant qu'on aimerait le croire.
Efficacité énergétique
De plus, quand on compare l'inondation de vastes territoires avec les avantages des biogaz (on capte les GES et on fournit un combustible), de la géothermie (on creuse un puits et on chauffe les bâtiments avec un coût trois fois moindre que l'électricité, le gaz naturel ou le mazout) ou du solaire thermique (on oriente les nouveaux bâtiments pour un ensoleillement plein sud sur une fenestration maximisée), on comprend qu'il y a d'autres façons de «fonder une nation».
On pourrait également parler de l'efficacité énergétique. Je me souviendrai toujours avoir vu Jacques Parizeau expliquer (dans un documentaire) qu'il avait tenté plusieurs fois de demander aux dirigeants d'Hydro-Québec ce qui coûtait le plus cher: produire ou économiser un kilowatt? Il n'eut aucune réponse. À l'heure actuelle, au Vermont, grâce à de brillants programmes d'efficacité énergétique, on réduit la consommation d'énergie de l'État d'année en année.
Pendant que la santé de nos rivières périclite, on entend nos dirigeants affirmer haut et fort que cela permet aux États-Unis de consommer moins de charbon et de réduire les gaz à effet de serre. Ce sont nos rivières contre leur charbon. Il faudrait peut-être se demander si les grandes rivières «fondent, construisent et bâtissent» aussi l'identité et la culture de notre peuple. Ou si ce ne sont que les barrages qui portent cette charge. Personnellement, je crois que c'est peut-être un peu des deux...
Et après?
Je fais partie du peuple québécois. Je suis fier des bâtisseurs qui ont mis le Québec «sur la map». Fier des Jean Lesage, René Lévesque et Robert Bourrassa qui ont lancé le développement hydroélectrique de la province et permis son enrichissement considérable.
Mais je constate aujourd'hui qu'il y a lieu de se questionner. Les grands projets de barrages continuent comme s'ils devaient continuer sans fin, parce que c'est comme ça et que ça l'a toujours été. [...]
Chaque décennie amène son lot de noms de rivières dont on n'avait jamais entendu parler et qui, ironie du sort, ne seront plus des rivières après le passage de la grande industrie hydraulique. On connaîtra le barrage Romaine, pas la rivière Romaine. Savez-vous qu'il y a une grande chute d'une trentaine de mètres de hauteur à une quinzaine de kilomètres de Havre-Saint-Pierre (un sentier serait facile à construire) et que sa beauté rivalise avec la chute Montmorency, téléphérique et autoroute en moins?
Faut-il toujours continuer à faire ce que l'on sait faire sans se poser de questions, sans faire d'examen de conscience? Ne reconnaît-on pas plutôt la marque du vrai «grand bâtisseur» chez celui qui cherche à adapter le paradigme à son époque, à innover, à progresser, à sortir du «confort et de l'indifférence» pour entrer dans de nouveaux horizons?
***
Alexis de Gheldere, Réalisateur, l'auteur a parcouru toute la rivière Romaine en canot en 2008 et réalise présentement un documentaire sur les énergies renouvelables (automne 2009, [www.chercherlecourant.org->www.chercherlecourant.org])

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Alexis de Gheldere1 article

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Réalisateur, l'auteur a parcouru toute la rivière Romaine en canot en 2008 et réalise présentement un documentaire sur les énergies renouvelables (automne 2009)





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