Attentat de Halle : un « manifeste » qui pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses

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Une sous-culture internet devient l'expression phare de la nouvelle extrême droite du XXIe siècle

Trois documents attribués à l’auteur de l’attentat de Halle, dont un « manifeste », ont commencé à circuler en ligne, quelques heures après l’attaque qui a fait deux morts en Allemagne, mercredi 9 octobre.


Le manifeste attribué à Stephan B. n’en est pas vraiment un : long de seulement quatre pages, dont une entière est laissée vierge, avec une minuscule légende « merci d’avoir lu », il s’apparente davantage à un exercice de shitpost, une publication en ligne volontiers parodique conçue pour piéger ou agacer son destinataire. Le document est accompagné de deux autres fichiers, l’un détaillant son projet d’attentat, et l’autre contenant l’adresse de la page Web où a été diffusée sa vidéo en direct.


Les documents tranchent avec les précédents manifestes publiés par les auteurs d’attentats d’extrême droite : quasi vides de toute élaboration théorique, ils abondent en revanche de références à la culture weeb, celle des internautes adeptes de forums de jeux vidéo et d’animation japonaise ultrapointus, les « weeaboo ».


Le nom de fichier de son manifeste est rédigé en japonais ; la « doctrine » dont il se réclame, le « technobarbarisme », est ainsi en réalité une référence au jeu de plateau Warhammer 40 000 ; il associe à son acte des objectifs de missions présentés à la manière d’un jeu vidéo Xbox comme des « achievements », tandis qu’il promet des waifus (des âmes sœurs sorties d’animés japonais) en guise de récompense dans l’au-delà. A plusieurs reprises, il présente son projet d’attentat de manière ludique.


Les documents ne révèlent pas grand-chose des motivations politiques de l’auteur de l’attentat. Le fichier intitulé en japonais « manifeste », qui se présente comme « un guide spirituel pour les hommes blancs mécontents » ne contient qu’une seule phrase, appelant à tuer des juifs, des musulmans, des communistes, ou des « traîtres ». Dans un autre fichier, il se donne également pour cibles « bonus » les membres du « gouvernement d’occupation sioniste », gouvernement fictif qui, dans l’imaginaire néonazi, dirigerait la planète.


A l’inverse des longs documents publiés par d’autres terroristes d’extrême droite, comme les auteurs des attentats d’Oslo ou de Christchurch, Stephan B. ne détaille en aucune manière son parcours idéologique ni les raisons de sa radicalisation et de son passage à l’acte.


Plusieurs éléments sont par ailleurs étonnamment absents des textes. Alors que dans sa vidéo diffusée en direct, le tireur mettait l’accent sur sa haine du féminisme, accusé d’être « à l’origine du déclin des naissances en Occident » et « le prétexte de l’immigration de masse », les trois documents publiés n’y font pas référence. Les textes ne contiennent pas non plus de référence à des groupes néonazis ou au nazisme, alors que l’iconographie du IIIe Reich est une composante importante de la sous-culture des forums anonymes dont il se réclame.


A contrario, l’auteur de l’attaque détaille de manière très précise l’arsenal dont il était équipé, et explique pourquoi : il voulait montrer « la viabilité des armes improvisées » dans des attentats de ce type. Le terroriste avait dans sa voiture une demi-douzaine d’armes à feu, dont une carabine d’un modèle ancien et plusieurs fusils de fabrication artisanale, ainsi que des explosifs fabriqués à partir de guides trouvés en ligne. La « viabilité » de son arsenal a cependant été en partie démentie par la vidéo diffusée par le tueur, qui voit ses armes s’enrayer à plusieurs reprises, et qui échoue à faire fonctionner ses explosifs.


Le tireur semble également avoir eu conscience du fait qu’il ne parviendrait pas à pénétrer dans la synagogue – dans un long passage consacré à son « plan », il explique avoir noté que la porte pourrait lui résister, et qu’il devrait improviser.


Tous ces éléments, qui signent son œuvre autant qu’ils cherchent à embrouiller les lecteurs, ne permettent pas à ce stade de savoir si l’auteur présumé de la tuerie de Halle était lié à d’autres personnes.


Dans un document intitulé Read it first (« Lisez ceci en premier »), il remercie Mark (probablement Mark Mann), ancien du forum 8chan et fondateur d’un forum satellite, vch.moe, pour lui avoir versé 0,1 bitcoin, soit l’équivalent de près de 800 euros, avant de le couvrir d’insultes antisémites et complotistes.


Selon Fredrick Brennan, fondateur de 8chan, en retrait de l’ancien forum-phare de l’extrême droite depuis les attentats néonazis de 2016, Mark Mann aurait été mentionné soit en guise de vengeance pour avoir banni l’auteur de la tuerie de son forum vch.moe, soit car il s’agit d’un des rares juifs connus au sein de la communauté 8chan.


La mise en ligne de ces documents reste par ailleurs floue. Le Monde n’est pas parvenu à remonter à la source de leur première publication, et n’est pas en mesure de confirmer si les documents ont bien tous été écrits par l’auteur de l’attentat. Le « manifeste » et le détail du projet d’attentat semblent avoir été créés le 1er octobre, tandis que le fichier contenant le lien vers la future vidéo en direct de l’attentat date du 6 octobre.