Angle-mort: la place du français dans un Canada “post-Trudeau”

Tribune libre

Sharon Butala, une écrivaine des Prairies, publiait en 2005 “Lilac Moon”, un essai d’histoire de l’Ouest canadien qui essayait de répondre à “What makes a Westerner?” Ironie oblige, l’ouvrage est passé plutôt inaperçu, possiblement en raison de la réponse proposée : “Our stubborn refusal to recognize the French fact”!
L’histoire citoyenne captivait pourtant par son récit intime des origines d’une famille, les rapports entre groupes, les drames tel les faillites répétées des “homesteads”, ainsi que les accommodements nécessaires forgeant cette identité, souvent réprimée. Le tabou sur les origines de la grand-mère préférée de Butala y est relevé. “Central Canada” tirait les ficelles. Butala évoque un besoin de rédemption sur les torts commis. Le Toronto Star l’avait pourtant bien porté en éloge: “One of this country’s true visionaries”.
Poussant la réflexion identitaire, la place du français au Canada d’aujourd’hui, et particulièrement dans l’Ouest, semble sujette au même traitement que la grand-mère francophone. En effet, rien de nouveau n’a été mis de l’avant après quarante ans de “langues officielles” alors que l’essoufflement est notable. La donne a pourtant bien changé, suffit-il de mentionner une révolution des communications, la mondialisation, la nouvelle démographie, la crise environnementale, la fin de l’hégémonie américaine et la disparition d’une multitude de langues et cultures. Quant au “fait français”, les communautés francophones minoritaires se meurent et le cœur même de Montréal voit cette tendance des nouveaux arrivants et de la prochaine génération à “s’accommoder” en anglais de par le travail, les régions attendant leur tour…
A l’image de la faillite des “homesteads”, les institutions traînent le pas en soutien à un pseudo ordre établi. Le cafouillage des politiciens continue selon les agendas du jour. Les mariages entre anglophones et francophones se poursuivent néanmoins pour produire de nouvelles petites Sharon dérobées de leur histoire. La langue minoritaire demeure similairement décimée et le sujet gardé bien tabou. Les gens restent laissés à eux même. Bien sûr l’école d’immersion ou “cadre” est disponible mais point de traction, passé la période ado lorsque le jeune refuse de perpétuer le mensonge sociétal, identité oblige! L’essoufflement s’observe aisément devant l’attrait de nouvelles langues plus profitables.
Institutionnellement, le renie du fait français se manifeste par l’éradication de sa mémoire tel que forgée dans les départements d’histoire des universités de l’Ouest canadien. Passé les stéréotypes des premiers Voyageurs ayant accompagné Mackenzie, Fraser et Thompson, le jeune canadien de l’Ouest aura peine à trouver des livres dans lesquels les apports des pionniers francophones sont justement reconnus. Que cela soit en éducation, santé, spiritualité, transport, agriculture, foresterie, mines, syndicalisation, presse et même politique. Le livre “BC spirit of people”, publié pour un important anniversaire de la province, illustrait toutes ces carences. À peine un petit encadré soulignait le premier établissement de Maillardville en dépit de son impact en matière de foresterie, de syndicalisation, de multiculturalisme … et du “BC spirit”. Une promenade historique récemment aménagée devant le Vancouver Convention Centre retenait comme seul pionnier francophone un “fascist Frenchman” devenu fou durant le tournage d‘un documentaire avant de retourner en France pour y collaborer avec le régime Nazi et se suicider… Les journaux n’ont aucunement signalé ces aberrations. Pas étonnant puisque les médias agissent trop souvent comme un autre bastion d’intégrisme institutionnel, similairement formé dans les départements de journalisme de nos universités.
L’Ouest canadien a renié l’identité de ses premiers habitants et de ses Métis. La pratique se continue avec l’identité francophone. Les torts subis sont considérables. Les citoyens commencent toutefois à vivre eux même les effets du “new world order” et se faire avoir par de nouvelles langues “fourchues”. Ils voient leur culture, leur cours d’eau, leurs forêts et leurs communautés se dérober. Ils ont vu leurs voisins du sud agir comme les pire bully internationalement après avoir décimé impunément leurs premiers habitants. Ils constatent leurs propres dommages environnementaux infligés au reste de la planète. Ils observent la prochaine génération désespérer. Ils connaissent aussi l’expression bien française “Déjà-vu”! La place du français dans tout cela? Qu’on l’appelle “l’angle mort” pour le moment. Il reste une multitude de démons à exorciser et Butala offrait une première piste de rédemption. Ou à moins que ça ne provienne de la grand-mère adorée?
Réjean Beaulieu, Citoyen engagé
Vancouver, Colombie-Britannique
Note: une version longue de l'essai est disponible en anglais sous Angle-mort*: the place of French in Canada “post-Trudeau” (Opinion)


Laissez un commentaire



1 commentaire

  • Michel Guay Répondre

    30 août 2009

    Trudeau savait que seuls les francophones tomberaient dans le piège du bilinguisme assimilateur à l'anglaise et effectivement c'est ce qui est arrivé partout hors Québec et avec Charest ici au Québec .
    Si nous n'apprenons pas très vite à imposer notre langue au Québec à tous et dans tous les emplois il arrivera ici ce qui est arrivé hors Québec .
    Trudeau savait comment nous éliminer linguistiquement physiquement politiquement et culturellement et son rêve à la Durham se réalise
    En 1867 nous étions près de 50%
    En 1960 grâce aux revanches des berceaux nous étions encore 32%
    En 2009 nous ne sommes plus que 24% dont dèjà la moitié dèjà très anglicisés .
    Il nous reste le Québec comme pays mais sans l'indépendance et la francisation conséquente c'est finit . Trudeau et ses fédéralistes nous aurons éliminés