Andreï Makine : «Le jour où les Français se réveilleront»

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« Les peuples finissent toujours par se réveiller. Malheureusement, celui de France a la fâcheuse habitude de le faire seulement lorsque celle-ci est en danger de mort ». Les Québécois seraient-ils plus Français que les Français ?»

L’auteur du Testament français, né en Sibérie, est arrivé en France en 1987 en tant que réfugié politique de la Russie soviétique. Il a fait, ce 15 décembre, son entrée à l’Académie française.


Il faut lire son discours de réception. Son verbe précis et exigeant est au service d’une analyse lucide, inquiète, mais subtile de ce qu’est la France à la lumière de ce qu’elle fut.


Sa mission à l’Institut sera de « promouvoir la langue française. C’est-à-dire la défendre, la protéger. » Contre « la chasse systématique aux traditions » que constituent la réforme de l’orthographe aussi bien que le mépris de certains écrivains pour la langue « classique », telle Marie Darrieussecq qui « [veut] donner des coups de pied à la langue française ». Plus généralement, il fustige une France où les langues anciennes sont désormais « considérées […] comme un archaïsme élitiste », et dénonce « l’arrivée [de] gouvernants qui revendiquent, avec une arrogance éhontée, leur inculture ».


Mais défendre la langue, c’est aussi défendre la pensée, la vérité, la liberté de penser contre la bien-pensance : « Trop de mots sont utilisés ou au contraire évités en raison de leur connotation. […] Collaboration ou race sont des termes chargés d’une valeur symbolique si forte que leur usage est devenu systématiquement conflictuel. »


« L’abrutissement programmé des populations » n’est pas un simple problème culturel, il est aussi politique : « Il faut distinguer la voix des élites et la vox populi, […] moins audible. Pour l’instant. Car elle ne peut pas être comprimée éternellement. » L’URSS en est un exemple éclatant.


Devant « l’absence de réaction violente ici après les tragédies de Nice ou de Saint-Étienne-du-Rouvray », il s’interroge : « Jusqu’à quand les Français resteront-ils aussi patients, indulgents, tolérants ? »


« C’est un des miracles de ce pays : faire naître chez des étrangers l’envie d’être encore plus français que les Français », s’émerveille-t-il. Ce miracle existe encore : lui-même en est la preuve vivante.

Mais pour un Andreï Makine, combien d’étrangers, aujourd’hui, qui ne se sentent pas vraiment, voire nullement français ?


Jusqu’à Assia Djebar, au fauteuil de laquelle il a été élu. Brillante élève d’établissements français en Algérie, elle a ensuite étudié à Paris, au lycée Fénelon puis à l’École normale supérieure. « Aucune pression idéologique ne commanda, en France, les choix qu’elle devait faire pour persévérer dans ses études. Aucune censure ne lui opposa un quelconque index librorum prohibitorum. » Et « le général de Gaulle [aida même] la militante pro-FLN Assia Djebar à réintégrer ses fonctions » [universitaires]. Cela ne l’empêcha pas d’écrire dans un roman : « Langue de l’ancien conquérant », « le français m’est une langue marâtre. » Aucune gratitude, mais une rancune tenace, visiblement. Et une mémoire sélective : « Nous partageons la peine des Algériens d’il y a soixante ans mais notre mémoire refuse d’ignorer le destin cruel des harkis et le bannissement des pieds-noirs », nuance Makine.


La repentance et l’indulgence coupable conduisent au « suicide français ». Mais les Français peuvent encore se réveiller. « Et le jour où ils se réveilleront, la réaction ne sera-t-elle pas d’autant plus féroce qu’elle aura trop longtemps été contenue ? »


« Les peuples finissent toujours par se réveiller. Malheureusement, celui de France a la fâcheuse habitude de le faire seulement lorsque celle-ci est en danger de mort. » C’est un Immortel qui le dit.



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