Amherst mérite-t-il sa rue?

Richler-Amherst : les indésirables

La rue Amherst traverse le quartier Centre-Sud de Montréal de la rue Notre-Dame à la rue Sherbrooke. Photo David Boily, La Presse
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Karim Benessaieh - Facebook réussira-t-il là où la politique municipale a échoué? Moins de deux mois après qu'un conseiller municipal indépendant de Montréal eut tenté en vain de débaptiser la rue Amherst, un groupe Facebook va plus loin et propose de lui donner le nom de Pierre Falardeau. En moins d'une semaine, l'initiative a attiré plus de 6000 supporteurs. Mais Amherst, ce mal-aimé de l'histoire du Canada décrit comme le «père de la guerre bactériologique», mérite-t-il de perdre sa rue? Non, tranchent deux historiens.
Jeffrey Amherst est sans contredit un mal-aimé de l'histoire du Canada. On lui a accolé le titre peu honorable de «père de la guerre bactériologique», ses victoires militaires ont marqué le départ des troupes françaises de Nouvelle-France, il a laissé l'image d'un homme froid et peu attachant.

Sans les croisades demandant le changement de nom de la rue Amherst, depuis deux mois, on n'en parlerait presque jamais, estiment les historiens.
Jeffrey Amherst, c'est d'abord et avant tout un intendant de la guerre avant d'être un brillant stratège. «Il organise, il fait tout lentement, il ne se bat à peu près jamais, résume Denis Vaugeois, auteur et historien. C'est un drôle de personnage, il n'est pas attachant, il n'est pas sympathique. Il a une vie familiale difficile, sa femme est plutôt malade, neurasthénique.»
Son premier titre de gloire, il l'obtient en 1758 en s'emparant de la forteresse de Louisbourg, un petit port de pêche à la morue dans l'île Royale - devenue l'île du Cap-Breton - à l'entrée du golfe du Saint-Laurent. Il fallut six semaines de siège et un débarquement hasardeux pour venir à bout des Français.
Il rate de peu la bataille des plaines d'Abraham en 1759 mais organise de façon méthodique la prise de Montréal, en 1760, qui marque la fin de la présence militaire française en Nouvelle-France.
C'est dans les mois suivants que se jouera un épisode peu glorieux de la vie d'Amherst. Acclamé en Angleterre pour ses succès militaires, il constate avec irritation qu'une poignée de tribus indiennes des Grands Lacs, unies sous le commandement du chef Pontiac, se soulèvent et malmènent les troupes britanniques.
«Amherst se rend compte qu'il est en train de perdre sa crédibilité, que son image va être ternie, raconte Denis Vaugeois. En plus, il a horreur des Indiens. Il les méprise, il les déteste.»
Amherst envisage d'éliminer les Indiens rebelles en leur inoculant la variole, extrêmement contagieuse et qui tuait près de 90% des autochtones atteints. Le nouveau gouverneur de la Nouvelle-France occupée écrit à son subalterne Henry Bouquet: «Vous feriez bien d'essayer de contaminer les Indiens avec des couvertures, ainsi que par tous les moyens pouvant servir à éradiquer cette race exécrable.»
Il semble que Bouquet n'appliquera jamais cette consigne de son supérieur. Quoi qu'il en soit, Amherst n'était vraisemblablement pas le seul ni le premier à envisager cette méthode qu'on qualifierait aujourd'hui d'horrible, assure M. Vaugeois.
«Il faut se replacer dans le contexte d'il y a 250 ans, et se demander ce qu'étaient les lois de la guerre à l'époque, ajoute Gaston Deschênes, historien qui a passé près de 30 ans au service de l'Assemblée nationale. Aujourd'hui, c'est bien facile de dire que c'était un écoeurant. Pour Moncton, par exemple, la déportation à l'époque n'était pas un acte contraire aux lois de la guerre.»
Révisionnisme?
S'il faut juger les acteurs de l'époque, James Wolfe serait une cible nettement plus facile qu'Amherst, estime Denis Vaugeois. «S'il y avait eu à l'époque la notion de crime de guerre, il aurait comparu devant un tribunal. Avant 1759, il s'est attaqué à la population civile, il a incendié un millier de fermes, et il l'avait dans la tête, ce n'était pas un accident.»
Doit-on débaptiser la rue du centre-ville de Montréal qui porte le nom d'Amherst? Non, répondent les deux historiens. D'abord parce que les noms de lieux, avant d'être des hommages, sont de formidables outils d'apprentissage de l'histoire. «Je n'aime pas ça, c'est du révisionnisme, tranche Denis Vaugeois. Avoir des repères pour l'histoire telle qu'elle s'est déroulée, c'est très commode. S'il n'y avait pas de rue Amherst, on ne parlerait pas d'Amherst, des épidémies, des drames qu'ont vécus les Indiens.»
Son collègue Gaston Deschênes estime que «s'il fallait débaptiser tous les lieux nommés d'après des gens qui ont des taches dans leur histoire, on n'en finirait plus». Il rappelle le bon mot du premier ministre du Québec en 1912, Lomer Gouin, au moment d'inaugurer un monument en mémoire d'Honoré Mercier - critiqué par plusieurs. «S'il faut élever des monuments seulement aux gens qui sont sans aucune tache, nos places publiques vont rester désertes.»

Amherst en quelques dates
1717> Naissance le 29 janvier de Jeffrey Amherst à Sevenoaks, en Angleterre, d'un père avocat prospère.
1758> Sous le commandement d'Amherst, les Anglais prennent la forteresse de Louisbourg, dans l'île du Cap-Breton à l'entrée du golfe du Saint-Laurent, le 27 juillet.
1760> Capitulation de Montréal le 8 septembre. Amherst coordonne l'attaque de trois armées de façon magistrale. C'est la fin de la présence militaire française en Nouvelle-France. Amherst est nommé gouverneur.
1763> Soulèvement des tribus indiennes de la région des Grands Lacs sous le commandement de Pontiac - de son vrai nom Obwandiyag. En novembre cette année-là, il rentre définitivement en Angleterre.
1797> Décès d'Amherst à sa résidence appelée «Montreal», près de Sevenoaks en Angleterre. Autour de 1800> Désignation de la rue Amherst à Montréal. Selon le service de toponymie de Montréal, l'événement aurait eu lieu «avant 1817»


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