À chaque fois qu'une situation d'«accommodement » survient, je me dis que là, face à l'absurdité de la chose, on touche vraiment le fond et que la raison, le bon sens et l'intérêt général vont finir par l'emporter, une fois pour toutes, sur les dérives politico-religieuses. Eh bien non ! Il faut croire que le « fond » est un concept abstrait, relatif et qu'il tend même vers l'infini, tant il est vrai que dans notre beau « paradis des accommodements raisonnables », les particularismes religieux se multiplient et se banalisent jusqu'au plus haut sommet de l'État sans que les politiques daignent exercer leur responsabilité première : c'est-à-dire celle de légiférer pour défendre le bien commun.
Jugez-en ! Une adolescente de 15 ans décide de porter le voile intégral en classe à l'école Antoine-de-Saint-Exupéry (pardon pour lui) située dans l'est de Montréal. Cette mascarade dure deux jours. Et la commission scolaire finit par dire NON ! Interrogée sur le sujet, la ministre de la Justice du Québec a affirmé : « Il ne m'appartient pas de juger de la situation aujourd'hui. » Madame, si vous refusez d'exercer votre autorité et d'incarner le rôle qui vous revient pourquoi occupez-vous la fonction qui est la vôtre ?
La situation est-elle pour autant résolue ? Par vraiment. Comme il n'y a aucun texte législatif auquel se référer, ni au Québec ni au Canada, pour interdire le port du voile intégral pas même aux enseignantes ni aux élèves d'ailleurs ni à une quelconque autre catégorie, ce cas-là risque fortement de se retrouver devant les tribunaux. Car au pays du free-for-all, on considère que chacun a le « droit » de s'habiller comme il l'entend, quelle que soit sa fonction. Et bien sûr, comme vous le savez déjà, pour les chantres du multiculturalisme, le voile intégral n'est qu'un simple « habit » parmi tant d'autres. Au tribunal, nous allons certainement voir se profiler le scénario suivant, d'un côté, l'élève dans le rôle de la « pauvre victime musulmane » alors que la « vilaine » commission scolaire qui a osé tracer une ligne entre ce qui est interdit et ce qui est permis dans une école sera enfermée dans la posture du persécuteur. Dans l'état actuel du droit, c'est le vide. Mieux vaut avoir un bon parachute et ne pas souffrir de vertige.
Une société qui décrypte l'ensemble des phénomènes sociaux sous la seule lorgnette des droits et des libertés individuels ne peut prétendre habiter le monde et en saisir la complexité. Du fait de son refus de se comporter en un sujet politique exerçant sa pleine responsabilité, choisir son modèle de société et ultimement le défendre, cette dernière se condamne à vivre en marge de l'histoire. Un peuple qui n'est plus en mesure de s'incarner dans des valeurs et des principes met en péril sa propre existence.
Comment s'en sortir ? Il m'arrive parfois de rêver (un peu) et de me surprendre à inventer des dénouements heureux à ce que nous vivons. Trancher en faveur de l'égalité, par exemple, ou en faveur de la séparation du politique et du religieux, défendre l'école du prosélytisme religieux ne me semble pas constituer des choix farfelus, exagérés ou même déraisonnables pour reprendre un certain jargon en vogue. D'ailleurs, pourquoi avoir déconfessionnalisé le système scolaire ? Et puis, le temps n'est-il pas venu de libérer nos professionnels de la menace constante de se retrouver face à un intégriste en mission commandée pour affaiblir nos institutions et les gruger de l'intérieur ? Pourquoi un médecin risquerait-il de se mettre dans une situation à risque face à un mari obsessif et possessif qui ne supporte pas l'idée que sa femme se fasse soigner par un homme ? Pourquoi un enseignant se résoudrait-il au fait de livrer son message devant un public composé d'élèves voilées de la tête au pied ? Pourquoi vouloir à tout prix normaliser une posture politique de rupture totale et de confrontation frontale avec la société ?
Au pays des Tartuffes, nos décideurs esquivent les questions qui fâchent, car ils ont la trouille de froisser les intégristes. Ces derniers sont organisés, ont du fric et des bataillons de militants-soldats aux ordres. Après tout, ça peut être vachement utile lors d'une campagne électorale à Québec comme à Ottawa. Le reste, on s'en contrefiche. Pas moi.
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