Réflexion postcapitaliste - "République, un abécédaire populaire"

50 penseurs pour un monde nouveau

Le nouveau documentaire d'Hugo Latulippe propose une réflexion postcapitaliste

Économistes atterrés



À retenir
République, un abécédaire populaire, sera présenté en avant-première au Festival du nouveau cinéma le samedi 15 octobre à 17h15 et le lundi 17 octobre à 15h.
La première aura lieu le 24 octobre à la Société des arts technologiques dans le cadre de la journée Agir pour l'avenir du Québec.

Alexandre Shields - Exaspéré par la faiblesse des idées émanant de la classe politique actuelle, le réalisateur Hugo Latulippe a réuni une cinquantaine d'artistes, d'intellectuels, de gens impliqués dans l'action sociale et de politiciens québécois de toutes générations. De là est né République, un abécédaire populaire, un documentaire qui se veut une invitation à réfléchir à un nouveau modèle de société qui permettrait de remettre le Québec sur la voie d'une véritable modernité.
«Ce que je constate, c'est que sur la place publique, il y a en ce moment une grande pauvreté d'idées de la part des gens qui font la politique active, explique le documentariste. Mais cette pauvreté-là n'est pas représentative de ce qu'il y a comme idées en circulation dans le Québec d'aujourd'hui. Il y a une sorte de mur entre les bonnes idées et l'Assemblée nationale.»
«Je suis loin du Québec pour deux ans, ajoute-t-il, mais cette idée ne me sortait tellement pas de la tête que je suis revenu au Québec pour tourner ce film au printemps passé. Ce documentaire est donc plus un "projet" qu'un film.» On ne peut évidemment pas approfondir tous les enjeux en une heure trente. Mais selon ce qu'a constaté Le Devoir, qui a pu visionner le documentaire avant sa présentation au Festival du nouveau cinéma, on peut amplement donner matière à réfléchir, et pourquoi pas, le goût d'agir. Bref, inciter des citoyens à lancer cette «vague» qui provoquerait les changements que le réalisateur souhaite tant voir survenir. «Ce film annonce, je l'espère, que le temps des bouffons achève. Il faut remettre le Québec sur la voie du progrès humain, de la vraie modernité. Remettre le Québec sur la voie du sens.»
Ce vaste programme passe par une remise en question de notre façon de voir la démocratie, l'éducation, la santé et l'environnement, mais aussi le système économique capitaliste et son dogme de la croissance éternelle. Plusieurs des intervenants qui défilent devant l'objectif d'Hugo Latulippe écorchent d'ailleurs les idées reçues qui ont permis d'ériger ce système en finalité immuable. «Lucien Bouchard nous dit: "allez travailler, bande de paresseux". Mais je pense qu'il faut avoir le courage de s'opposer à ça, lance le metteur en scène Dominic Champagne. C'est être plus souverain que de bâtir cet espace de liberté. On sait objectivement que si on demande aux autres habitants de la Terre d'adopter notre mode de vie, on mène la Terre à sa perte. Ce n'est pas praticable. S'il y a une utopie, c'est celle d'être mieux avec moins. Mais ça va nous demander des efforts et un courage beaucoup plus grands que d'augmenter le produit intérieur brut. C'est une expérience de vide.»
Une telle réflexion, en rupture totale avec le discours politique ambiant, s'inscrit en effet dans un contexte où les économies émergentes aspirent à un modèle de consommation calqué sur celui de l'Occident. Or, rappelle le réputé sociologue Guy Rocher, «nous venons de vivre une crise économique due à des raisonnements d'économistes qui ont encouragé une consommation folle aux États-Unis». Même Claude Béland, ancien président du Mouvement Desjardins, lance un avertissement: «Tant qu'on a cette mentalité de faire de la production de richesse l'élément principal du développement, on s'en va vers des crises.»
M. Latulippe — qui a notamment réalisé le très percutant Bacon, le film, une critique virulente de l'industrie porcine — se désole d'ailleurs du fait que le Québec n'envisage absolument pas un nouveau modèle économique. «Alors que la London School of Economics étudie les concepts de décroissance ou encore d'économie postcapitaliste, chez nous, ces concepts apparaissent complètement farfelus. Pourtant, il faut faire entrer le Québec dans une nouvelle ère postcapitaliste. Il faut réfléchir au prochain pas.»
Et la question environnementale devra être au coeur de ce nouveau paradigme, affirme sans détour le réalisateur. «Il faut maintenant tenir compte des limites du vivant et introduire les notions d'environnement et inventer une nouvelle société.» Le cofondateur d'Équiterre, Steven Guilbeault, dit d'ailleurs constater un véritable «état de panique» au sein de la communauté scientifique quant au rythme auquel les effets des changements climatiques se matérialisent. Au point où si rien de significatif n'est fait d'ici une décennie, le pire sera à prévoir.
Mais le hic, encore une fois, c'est que la classe politique ne semble pas prendre la mesure des défis auxquels le monde fait face. M. Latulippe ne mâche d'ailleurs pas ses mots lorsque vient le temps de qualifier les Stephen Harper, Jean Charest ou même François Legault de ce monde. «Ce sont des gens qui ne sont que des suiveux de l'époque et qui essaient de s'infiltrer dans les craques du n'importe quoi. On n'a pas besoin d'eux. On a besoin de gens inspirés et inspirants.» Le Zapartiste Christian Vanasse insiste donc, dans République, sur l'absolue nécessité de redonner «le goût de rêver» aux citoyens. «Quand les gens vont se mettre à rêver, il vont enfin arrêter de regarder des politiciens qui sont des murs beiges de gyproc qui ne font que nous promettre qu'à la fin de l'année, on va avoir 2000 $ de plus à mettre dans notre REER.» Ils retrouveront peut-être alors le goût de prendre pleinement part à la vie démocratique du pays qu'ils habitent.
Hugo Latulippe, qui a une dizaine de documentaires à son actif, dit avoir confiance dans les citoyens du Québec. «J'ai l'impression qu'on approche d'un point de rupture. J'y crois. Mais on va devoir accélérer les choses parce qu'il y a des gens qui vont faire beaucoup de dommages sur notre territoire. Le Plan Nord est un exemple de cette menace gigantesque. [...] On peut tous faire des gestes cohérents de citoyens au quotidien, mais ça ne suffit plus. Le pouvoir s'exerce encore à l'Assemblée nationale et on va devoir y aller un jour.»


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