Brésil

35 millions de personnes qui veulent s’emparer des rues

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Au Brésil aussi, une confrontation est en train de se préparer entre l’oligarchie et les travailleurs qui ne pourra se régler que dans la rue

La grève générale du vendredi 28 avril 2017 constitue sans aucun doute le plus fort «arrêt de travail» de toute l’histoire du Brésil. Et il ne s’est pas agi d’une grève passive où l’on n’aurait fait «que» ne pas travailler. A travers tout le pays, des milliers de mobilisations ont eu lieu dès le soir précédent, avec des blocages de routes et d’autoroutes ainsi que des marches et des manifestations invitant les «indécis» à abandonner le travail dans toutes les villes du pays. Pour la première fois, l’oligarchie brésilienne a reçu une réponse à la hauteur de sa brutale offensive et de ses contre-réformes qui tentent d’imposer la tertiarisation (système sous-traitance) du travail, l’augmentation des années exigées pour obtenir un droit à la retraite et l’annulation des principaux droits syndicaux et démocratiques conquis avant et après la Constitution de 1988. C’est un plan néolibéral qui placerait le Brésil parmi les pays les plus arriérés de la planète et qui le pousserait vers une crise sociale et économique sans issue.


La grève a été une manière de dire que toute expectative de négociations avec un Parlement majoritairement dirigé par les ruralistes, le «lobby de la balle» et par les évangéliques, ne pouvait déboucher que sur une impasse.


Les déclarations de certains dirigeants des principales centrales [syndicales] du pays montrent qu’ils sont d’accord sur le fait qu’une confrontation est en train de se préparer entre l’oligarchie et les travailleurs et que ce n’est que dans la rue qu’une solution pourra être trouvée.


Paulo Pereira da Silva


Le président de Força Sindical, une centrale «jaune», le député Paulo Pereira da Silva, connu sous le petit nom de «Paulinho da Força», qui fait partie de la clique «gouverniste» et qui a été un appui de la première heure au coup porté contre Dilma Rousseff pour la destituer, a déclaré lors d’une intervention le 1er mai dernier (entouré d’une sélection de dix-neuf voitures Hyundai HB20 Zéro Km offertes par des entrepreneurs) que «si le gouvernement n’avait pas compris le message de la grève, alors il allait y en avoir davantage». Comme tout bon opportuniste, il s’est accaparé du succès de la grève sans avoir rien fait pour qu’elle existe. En ajoutant, comme il se doit, que le principal était de négocier avec le gouvernement afin qu’il «améliore» les contre-réformes, il a affirmé: «J’espère que le gouvernement négociera et que tout pourra se résoudre sans bruit


De son côté, le président de la Centrale Unitaire des travailleurs (CUT) – qui est inféodée au Parti des Travailleurs – Vagner Freitas [qui a été secrétaire de la gestion politique de la CUT entre 2006-2009, puis des finances de la CUT et enfin président élu en 2012 et réélu pour la période de 2015-2019] a annoncé que les instances allaient discuter pour savoir si on allait organiser une marche des cent mille sur Brasilia, une nouvelle grève de deux jours ou alors les deux choses à la fois.


La contre-réforme «travailliste» [sur le Code du travail] a déjà été approuvée la semaine passée par les députés. Mais le leader du PMDB (Parti du mouvement démocratique brésilien) au Sénat, Renan Calheiros, a assuré que «comme elle avait été approuvée par les députés, elle ne passerait pas devant le Sénat», ouvrant ainsi la possibilité d’une nouvelle négociation avec les centrales.


Comme l’a révélé une enquête, cette contre-réforme a été élaborée par des patrons de grandes industries et des banquiers. Huit cent cinquante amendements à la loi ont été rédigés par des représentants de la Confédération nationale du transport, la Confédération nationale des institutions financières, la Confédération nationale de l’industrie et l’Association nationale du transport de charges et de logistique. Le député Rogério Marinho (PSDB, un parti colonial subordonné aux Etats-Unis), qui est le rapporteur auprès de la Commission spéciale mise sur pied en février pour discuter la proposition du gouvernement, a décidé d’inclure plus de 50% de ces amendements, totalement ou partiellement, au projet substitutif.


De son côté, des chiffres parus le lundi 1er mai ont révélé que sept Brésiliens sur dix se déclaraient opposés à la contre-réforme du système de retraite. Ce rejet atteint même les 83% parmi les fonctionnaires publics, qui sont les plus menacés par les changements de la loi régissant retraites et pensions.


Ces chiffres indiquent que les prochaines mobilisations visant à barrer la route aux contre-réformes de l’actuel gouvernement ont de grandes chances de croissance autant quantitative que qualitative. Et c’est bien cette force dont nous avons besoin pour mettre en échec les banques, elles qui sont les principaux ennemis des travailleurs du Brésil qui ont été expoliés par une dette publique enrichissant les banquiers et un 0,3% des habitants du pays qui détiennent les titres publics. C’est une dette frauduleuse qui mine la souveraineté nationale afin d’engrosser le capital financier [qui encaisse les intérêts de la dette].


Alors que la population s’empare des rues, des élections internes sont en train d’avoir lieu au PT. Avec un grand absent…


Durant ses quatre exercices au gouvernement [de 2003 avec Lula, puis avec Dilma Rousseff de janvier 2011 au 31 août 2016], le PT a perdu une belle occasion d’impulser une profonde transformation politique au Brésil permettant d’en finir avec un système de gouvernement exploiteur et corrompu au service du Capital.


Le dimanche 9 avril s’est déroulée la première étape des élections internes au PT avec l’élection des dirigeants et délégués municipaux et des délégués des Etats [fédéraux] dans tout le pays. Ont voté dans tout le Brésil un peu plus de 200’000 militants, ce qui représente moins de la moitié du nombre de votants lors du précédent processus électoral direct interne de 2013. Rappelons que cette année-là, peu avant l’éclatement de l’opération Lava Jato, les votants avaient dépassé les 420’000.


Au cours de ce mois de mai, les délégués récemment élus choisiront les directions du PT et les présidents des Etats et éliront également les délégués au Congrès de juin 2017, au cours duquel la nouvelle direction nationale du PT sera élue. Tout cela en vue des élections nationales (présidentielles et législatives) de 2018.


Ce processus électoral soi-disant démocratique se déroule avec un grand absent: il n’y a pas eu de véritable débat démocratique interne qui analyse en détail ces quatre exercices au gouvernement où il y a eu quelques lumières et beaucoup d’obscurité. Pire encore: la base militante du PT n’a même pas pu disposer d’un document d’autocritique de la part de la direction nationale, ce qui serait un élément indispensable pour réorienter un parti s’étant embourbé dans les méandres institutionnels de la démocratie bourgeoise. Il semblerait que la direction actuelle du PT pense que le coup qui est en train d’être porté par l’oligarchie les autorise à passer par-dessus tout cela et à laisser de côté toutes leurs intrigues et leurs erreurs. (Cet article a été envoyé le 5 mai 2017 par l’auteur à la rédaction de A l’Encontre; traduction A l’Encontre)


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Brésil. Un vol de terres qui s’amplifie


Par Marie-Noëlle Bertrand


Au Parlement, la droite et le parti des grands propriétaires relancent l’accaparement des terres indigènes et son lot de violences. Les Indiens organisent leur résistance. Forcément, l’image a fait mouche. D’un côté, des casquettes fédérales, des gyrophares et des fusils armés. De l’autre, des arcs, des flèches et des hommes tout en plumes. Les uns face aux autres, s’affrontant devant le Congrès brésilien, joute urbaine effarante opposant, sur l’asphalte boucané aux gaz lacrymogènes, les forces de police aux peuples des forêts.


Cela se passait la semaine dernière à Brasilia, à l’occasion du 14e campement Terra Livre («Terre libre»). Chaque automne (on se trouve sous l’équateur), le rassemblement réunit les membres des tribus indiennes du pays – elles sont plus de 200 – devant ce haut lieu du pouvoir politique. Celui de cette année a été, dit-on, le plus important de l’histoire du Brésil. Les organisateurs, un temps, avaient compté sur la venue de 1500 personnes. Elles ont été 3000 à affluer de partout, au cri de «Demarcaçao jà!» (démarcation maintenant!), pour exiger la reconnaissance du droit à leurs terres.


Séculaire, leur bataille n’est pas neuve. Elle a vu les conquistadors portugais et les colons français, chercheurs d’or et autres bandits de grands chemins, tracer les cadastres à coups de pistolet. Le progrès ne fait jamais table rase de tout: ce sont les grands propriétaires terriens et les multinationales qui, depuis longtemps, s’occupent désormais de chasser manu militari les Indiens de leurs terres.


Le putch opéré, il y a huit mois, par le conservateur Michel Temer a redonné du mordant à ceux qui convoitent les contrées indigènes : 12 % du Brésil, la plupart dans les régions amazoniennes. Des dispositions législatives sont en discussion au Congrès visant à revigorer l’accaparement de terres indigènes.


Les monocultures de canne à sucre ou de maïs restent avides d’espace


En 1988, le retour au régime démocratique avait si ce n’est clairement freiné, du moins contrarié le phénomène. La nouvelle Constitution octroyait aux Indiens des garanties quant à la reconnaissance de leurs cultures et de leurs terres. Une politique de démarcation avait été mise en place consistant à homologuer des territoires qui leur seraient propres. En vingt-cinq ans, près de 600 000 km² ont ainsi été démarqués.


Mais le processus reste inachevé. Il s’est même ralenti depuis 10 ans sous des influences diverses. Les politiques de développement du pays en sont une. La construction d’infrastructures de transport (autoroutes ou aéroports) ou de grands barrages a mordu sur les territoires indigènes. Les lobbies de l’agrobusiness et de l’extractivisme, surtout, ont repris de l’influence. Les monocultures de canne à sucre, de maïs ou d’eucalyptus restaient avides d’espace, les ressources minières et forestières demeuraient appétissantes… Mais bon an mal an, la «demarcaçao» se poursuivait. En 2013, Dilma Rousseff homologuait ainsi trois nouvelles terres indigènes couvrant 230 000 hectares.


La droite a réagi. En 2014, Osmar Serraglio, député du parti libéral PMDB, présentait une proposition d’amendement à la Constitution, la PEC 215, visant à réformer le système. Alors que, jusqu’alors, seul le pouvoir exécutif avait l’autorité de décider de démarquer une terre indigène, la signature finale revenant à la présidence de la République, le texte propose de soumettre cette approbation au Congrès.


D’apparence démocratique, le coup est bas, quand il permet de renforcer le pouvoir des ruralistes, porte-voix de l’agrobusiness. Principal groupe représenté au Congrès, il en compose 40% des bancs.


La gauche tentera de faire barrage. En août 2015, députés du PT (Parti des travailleurs), du PCdoB (Parti communiste du Brésil), des Verts et autres socialistes unissaient leurs voix pour repousser le texte. Ceux de la droite votaient pour. «Si demain nous avons des morts, si demain nous avons une révolution, ce sera de votre responsabilité!» prophétisait alors un des députés Verts. À la fin de cette année-là, les associations des droits humains et de l’environnement recensaient l’assassinat de 137 Indiens.


Lui président, Michel Temer n’a pas cherché à éteindre l’incendie. Au contraire. Soit pour s’assurer que la PEC 215 (programme de délimitation des territoires indiens et occupés, historiquement, par des ex-esclaves noirs) fasse son œuvre, soit par simple mépris – soit les deux –, il a jeté de l’huile dessus. En février, il nommait Osmar Serraglio lui-même ministre de la Justice. Avec, sous sa tutelle, la Fondation nationale des Indiens (Funai), organe exécuteur des politiques indigènes du gouvernement fédéral.


La résistance des Indiens et de leurs soutiens, elle, s’est organisée, prenant appui sur la force de l’image, du son et d’Internet. Peut-être certains s’en souviennent-ils. En 2014, lors de la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de foot, un adolescent indien, délégué par la Fifa pour représenter la diversité de la jeunesse brésilienne, se saisissait du podium mondial qui lui était offert pour brandir une bannière «Demarcaçao jà!». Les caméras ont eu vite fait de tourner de l’œil, mais la photo fut faite.


Le mouvement, depuis, a grandi. La semaine dernière, vingt-cinq artistes brésiliens parmi les plus populaires ont mis en ligne une vidéo de quinze minutes pour dénoncer les violences faites aux peuples indigènes. Logiquement baptisé Demarcaçao jà!, le clip a, dès le lendemain, récolté plus de 600 000 vues. Quelques heures plus tôt, à Brasilia, quelques dizaines d’Indiens avaient tenté de déposer devant le Congrès des cercueils en carton figurant ceux des leurs tués dernièrement. C’est le moment qu’a choisi la police pour charger. Armes au poing. (L’Humanité, 3 mai 2016)



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