Après les millions de litres de lait jetés par des producteurs canadiens, voilà que les éleveurs de porcs québécois craignent de devoir se débarrasser de 100 000 bêtes, en raison de l'activité ralentie des usines de transformation.
Plusieurs éleveurs de porcs sont arrivés « à la limite », affirme le président de leur syndicat, David Duval. D'ici « une ou deux semaines », ces producteurs ne pourront plus garder en vie leurs cochons, parce que « ça va devenir dangereux pour eux et pour les animaux ».
Les cochons sont rendus trop gros, alors ils sont trop tassés dans les bâtiments. Ils commencent à manquer un peu d'air et de place, ils deviennent hargneux et se mettent à se battre entre eux.
Les éleveurs utilisent l'expression de « porcs en attente », mais il s'agit bien d'une congestion de cochons dans les fermes du Québec. Les truies continuent de mettre au monde des porcelets, mais dans le même temps, les porcs de plus de 100 kg tardent à prendre le chemin des usines d'abattage et de découpe.
Les abattoirs du Québec, principalement ceux de la compagnie Olymel, ont été frappés de plein fouet par la crise du coronavirus. L'usine de Yamachiche a été fermée pendant deux semaines en raison d'une éclosion parmi le personnel et n'a pas encore retrouvé sa pleine capacité.
Dans les autres abattoirs, des employés sont absents à cause de la COVID-19 et la production est ralentie par les nouvelles exigences d'hygiène et de distanciation.
Cette semaine, la lueur au bout du tunnel, elle est un peu plus sombre. Je dirais même qu'elle a disparu
, dit David Duval. Il estime que les éleveurs pourraient perdre jusqu'à 20 millions de dollars si les 100 000 cochons en attente ne sont pas transformés en viande.
S'ils euthanasient leurs animaux, les éleveurs enverront les carcasses à l'usine Sanimax de Montréal. Elles devraient ensuite être transformées en nourriture pour chiens et chats.
Des cochons ontariens à la place des cochons québécois
Les éleveurs de porcs du Québec déplorent que les usines d'Olymel continuent d'acheter des bêtes de l'Ontario alors que les cochons de la province se bousculent dans les enclos. Selon David Duval, il serait possible de limiter les euthanasies à 50 000 cochons d'ici la mi-juin, si on arrêtait de recevoir des porcs ontariens.
La population, les producteurs et les employés d'abattoirs n'accepteront jamais qu'on rentre des cochons de l'Ontario et qu'on euthanasie des cochons du Québec. C'est hors de question que ça se passe comme ça.
Mais Olymel rappelle qu'elle doit honorer ses contrats signés avec les producteurs ontariens. « Nous aussi, on aimerait en faire plus », dit le porte-parole de l'entreprise, Richard Vigneault. « On fait tout en notre pouvoir pour maintenir les capacités d'abattage. »
Olymel promet de tout faire pour éviter les euthanasies de cochons, mais elle ne peut promettre de rattraper le retard sans précédent accumulé. « On ne peut pas remplacer les absences par n'importe qui », dit Richard Vigneault.
Tous les producteurs du Québec sont prêts à payer les employés des abattoirs en temps supplémentaire, en temps double. Ce sont eux qui vont permettre d'éviter cette catastrophe.
Encore là, Olymel ne peut rien garantir, car ses employés syndiqués ont le droit de refuser de travailler en temps supplémentaire et la compagnie souhaite garantir la sécurité de ses employés en cette période de pandémie.
Québec tente d'éviter le pire scénario
Le gouvernement québécois reste optimiste et communique tous les jours avec les acteurs de l'industrie.
Après une diminution importante en début de pandémie, la capacité d’abattage des porcs est maintenant en augmentation et se dirige vers un niveau se rapprochant de celui d’avant la crise
, dit l'attachée de presse du ministre de l'Agriculture, Laurence Voyzelle.
Le gouvernement et les membres de la filière porcine s’entendent sur le fait qu’un scénario d’euthanasie est un scénario de dernier recours. Tous travaillent ardemment pour l'éviter.
La santé publique a mis en place un protocole, au début du mois, qui permet de continuer le travail dans les abattoirs tout en protégeant la santé des travailleurs.
Abattoirs à l'arrêt au Canada et aux États-Unis
Aux États-Unis, les fermetures d’abattoirs se multiplient en raison de la contamination de salariés. Dans les derniers jours, des producteurs se sont débarrassés de millions d'animaux pour dépeupler leurs fermes, ont rapporté le New York Times, le Washington Post et le Guardian.
Mardi, le président américain Donald Trump a signé un décret ordonnant aux usines de transformation de maintenir leur activité, sur fond de crainte de pénuries.
Les éleveurs de l'Ouest du Canada sont aussi inquiets. De nombreux abattoirs ont dû ralentir leur production ou même fermer leurs portes.
Difficile d'évaluer pour le moment quel impact pourrait avoir cette situation sur la disponibilité et le prix de la viande à l'épicerie.
Lors de sa conférence de presse, mercredi, le premier ministre du Canada Justin Trudeau a déclaré : On va tout faire pour assurer la chaîne d'approvisionnement alimentaire pour nourrir les canadiens, tout en protégeant la sécurité des travailleurs afin qu'on puisse compter sur eux dans le futur.