Outré par The Gazette
23 janvier 2010
Monsieur Parent, vous avez raison: Gazette est un mot français, tiré de l'italien Gazetta. Mais il y a plus, quand le français, Fleury Mesplet, né à Marseille mais ayant principalement vécu à Lyon, a fondé et imprimé(il était imprimeur de métier) ce journal, c'était un journal français, dont la première édition a paru en 1778 sous le nom de "Gazette commerciale et littéraire" et les subséquentes sous celui de "Gazette littéraire". Ce fut le premier journal en langue française en Amérique du nord, tous ceux qui existaient alors dans l'ancienne colonie française étant en anglais, quoiqu'il y avait à Québec un journal bilingue "La Gazette de Québec". Ce journal déplût cavalièrement au Supérieur des Sulpiciens de Montréal, Étienne Montgolfier, qui en avait contre son esprit et surtout qui trouvait qu'il favorisait une attitude outrancière à l'égard de la religion et de l'autorité religieuse, et il s'en est donc plaint au Gouverneur- Général Frederick Haldimand dans l'espoir de le faire fermer, mais sans succès. Montgolfier s'acoquina alors avec le juge Hertel Rouville( cf *1),lequel comptait Haldimand parmis ses relations, pour appuyer son combat, accusant l'imprimeur et son journal de sédition, et ultérieurement Haldimand, après avoir reçu une lettre de Montgolfier réclamant la fermeture du journal pour le motif qu'il "faisait les éloges continuels à des auteurs impies"(CF *2), fit arrêter et emprisonner pour une seconde fois(CF *3), sans procès, durant 3 ans Fleury Mesplet. Après être sorti de prison , Mesplet, en 1785, reprit l'édition du journal, en en faisant un journal bilingue : "La Gazette de Montréal/The Montreal Gazette": C'était un moyen astucieux de se mettre à l'abri contre les abus des autorités coloniales britanniques qui, jamais, n'oseraient fermer un journal qui utilise la langue anglaise. Postérieurement à la mort de Mesplet, le journal devint, en 1822(Cf *4), un journal en langue anglaise sous le nom de "The Gazette". Si vous prêtez bien attention à la première page de l'édition électronique de ce journal, vous constaterez que, dans la bas de cette page, en petits caractères, il y a, en colonnes, plusieurs sujets d'annoncés, avec pour chacun de ceux-ci des sous-sujets. L'un de ces sujets est "The Gazette" et si vous cliquez à son sous-sujet "About us"(À propos de nous), vous lirez, au premier paragraphe de ce qui y est écrit, ceci:
"(Ma traduction)The Gazette est l'un des plus vieux journaux en Amérique du Nord. Fondé par Fleury Mesplet en 1778, la Gazette était à son début un journal en langue française, puis il est devenu bilingue vers la fin du 17ième siècle pour se transformer par la suite, en 1822, en un journal uniquement de langue anglaise."
*1)Après que Jautard, l'associé de Mesplet, qui exerçait également comme avocat, eût critiqué à quelques reprises, dans le journal, des jugements rendus par Hertel Rouville dans lesquels il était concerné comme avocat.
*2)Voir l'article "Les Sulpiciens et la liberté de Presse", par Pierre Arbour, paru le 7 janvier 2010 dans "The Metopolitain"
http:www.themetropolitain.ca/articles/view/755
*3) Mesplet avait déjà été imprimeur à Londres où il fit la connaissance de Benjamin Franquelin, qui, semblet-il, l'incita à s'établir à Philadelphie pour y pratiquer son métier d'imprimeur, ce qu'il fit. Or en 1775, Montgomery et ses révolutionnaires indépendantistes américains avaient conquis Montréal et Franquelin, alors âgé de 70 ans, avait organisé, en mai 1776, avec une délégation, un congrès français à Montréal afin d'inciter les Canadiens-Français à les rejoindre en se soulevant contre le joug britannique. Mesplet arriva à Montreal le 26 mai 1776 pour s'y installer comme imprimeur, encore, semble-t-il, à l'instigation de Benjamin Franquelin. On dit qu'il assista à ce congrès de Montréal qui fut reçu froidement, dit-on encore, par les Canayens de Montréal, tant et si bien que Franquelin s'en retourna chez lui penaud. Finalement les Britanniques battirent la troupe de Montgommery et chassèrent les révolutionnaires américains de Montréal le 5 juin 1776 et quelques jours plus tard , laissé seul à la merci de la vindicte des autorités coloniales, Mesplet fut arrêté et emprisonné par Haldimand sans procès pendant 26 jours. Cependant, ce dernier se ravisa ultérieurement en le faisant libérer, estimant que les services de cet imprimeur seraient utiles à la colonie.
*4)À la mort de Mesplet, sa seconde épouse continue temporairement la publication du journal, puis la suspend en février de la même année. En 1794, le journal est racheté par Edward Edwards, qui le revend finalement, en 1708, à l'Ecossais James Brown, qui, en 1716, abandonne la partie française de son titre mais continue de publier des articles en français. Il vend finalement le journal, en 1822, à Thomas Andrew Turner, un autre Écossais et l'un des fondateurs de la Banque de Montréal, qui transforme le journal en un journal uniquement en langue anglaise.
À noter que le Québec a institué le Prix "Fleury Mesplet", accordé à une personne ou à un organisme qui a contribué au progrès de l'édition au Québec: Si jamais ce prix vient à être accordé à Paul Desmarais ou à l'un de ses descendants, ce jour-là, l'on saura que l'avenir du Québec français est définitivement mort!