Voyages de pêche pour élus aux frais de BPR

L'affaire BPR

Kathleen Lévesque - La firme de génie-conseil BPR a payé au fil des ans des voyages de pêche à des élus de municipalités avec qui elle brasse des affaires. Des fonctionnaires du ministère des Affaires municipales ont également pris part à ces excursions de trois ou quatre jours toutes dépenses payées, a appris Le Devoir.
Il ne s'agit toutefois pas d'une pratique isolée. Selon les informations recueillies par Le Devoir, des dirigeants de la firme d'ingénierie Dessau invitent régulièrement à la chasse et à la pêche des clients potentiels ou déjà établis au camp appartenant au club privé Mazana, dans les Laurentides. Chez Dessau, on affirme que la firme n'est pas membre de ce club privé bien que «probablement» elle le connaisse. Dessau n'avait aucun commentaire à faire quant à la possibilité que des dirigeants de la firme puissent en être membres puisqu'il s'agit «d'adhésions personnelles».
Chez BPR, interrogée à trois reprises sur ces voyages, on a refusé de faire quelque commentaire que ce soit après avoir reconnu toutefois que l'entreprise possède bien un camp de pêche. Celui-ci est situé sur les bords du lac Wilkin, à environ 50 kilomètres au nord-est de La Tuque, dans la réserve faunique des Laurentides.
Des maires et des conseillers municipaux de différentes municipalités de la région de Charlevoix ont participé à des voyages de pêche à la fin des années 1990 et au début des années 2000 à l'invitation de BPR. À la même époque, d'importants contrats d'assainissement des eaux (égout) étaient projetés dans la région. Ont suivi des contrats concernant l'eau potable, dont une usine de filtration à Saint-Irénée conçue par BPR.
«De beaux voyages»
«Ça s'est fait régulièrement. J'y suis allé à deux reprises. C'étaient de beaux voyages. Tout était fourni», raconte un ancien élu qui souhaite conserver l'anonymat. Après une journée de pêche, les langues se déliaient autour d'un verre, ajoute cette personne. «C'est sûr que des contrats ont été discutés pendant les voyages. On était là toute une fin de semaine. [...] Les voyages étaient fréquents, mais les invitations ont cessé quand certains contrats ont été donnés», soutient-il.
Ce dernier se rappelle s'être rendu en avion au lac Wilkin avec des collègues d'autres municipalités, deux fonctionnaires du ministère des Affaires municipales ainsi que Martin Lapointe, représentant de BPR. Joint hier par téléphone, M. Lapointe, qui travaille aujourd'hui comme consultant, a refusé d'accorder une entrevue au Devoir.
Le maire de Saint-Irénée, Pierre Boudreault, a reconnu avoir voyagé aux frais de BPR dans le passé. «C'est pas des pots-de-vin. C'est des choses qui se font dans tous les secteurs. J'ai eu des invitations d'autres entreprises aussi», s'est défendu M. Boudreault, sans pour autant nommer les firmes en question.
Selon lui, «il n'y a jamais eu de contrat donné après les voyages». «Quand on y allait, les contrats étaient déjà donnés», a dit M. Boudreault, qui a toutefois été incapable de préciser si les voyages représentaient alors une forme de remerciement. Lorsque Le Devoir lui a mentionné la présence de fonctionnaires des Affaires municipales, il s'est enflammé. «Il y a peut-être eu des racontars, mais je n'ai pas de commentaires à faire là-dessus», a-t-il tranché.
Le ministère des Affaires municipales joue un rôle dans l'octroi de contrats par les municipalités. Une large part des travaux est souvent subventionnée et des contrats doivent être approuvés par des fonctionnaires du ministère.
Consolidation de clientèle
Une personne bien au fait du développement des affaires au sein des firmes d'ingénierie a souligné au Devoir, sous le couvert de l'anonymat, que soigner les relations avec ses clients est chose normale et que le but n'est pas nécessairement d'obtenir un contrat. «Amener un client jouer au golf, au restaurant ou au hockey, ce sont des éléments de marketing habituels. Mais pour aller à la pêche ensemble, ça prend des affinités entre les gars, surtout que les fonctionnaires sont en général très réticents. On appelle ça de la consolidation de clientèle», explique-t-il. Selon lui, les voyages resserrent les liens et «améliorent l'engagement» de part et d'autre. «Ça fait pression sur les ingénieurs pour qu'ils livrent de meilleures performances», avance-t-il.
Du côté de l'Ordre des ingénieurs du Québec, on rappelle que le code de déontologie est clair quant à l'obligation qui est faite aux ingénieurs de ne jamais se placer en situation de conflit d'intérêts. On souligne également que l'Ordre encadre les ingénieurs mais ne contrôle pas les firmes d'ingénierie.
Ces voyages semblent s'inscrire dans le développement des affaires des entreprises. Cela s'apparente à l'utilisation des loges des entreprises du Centre Bell comme l'ont fait au cours des quatre dernières années les firmes de génie-conseil Tecsult, Cima+, Groupe SM, Dessau et SNC-Lavalin, qui y ont accueilli des membres du comité exécutif de la Ville de Montréal. L'entrepreneur Tony Accurso a utilisé, quant à lui, son bateau de luxe amarré dans les mers du Sud pour recevoir l'ancien président du comité exécutif de Montréal, Frank Zampino, alors que le contrat des compteurs d'eau faisait l'objet de discussions.


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