Vous avez dit «gestes fondateurs»?

Vous avez dit «gestes fondateurs»? Eh bien, désolée. À la lecture du projet de loi 94, on y trouve zéro «gestes fondateurs». Aucun. Vraiment. Aucun.

Laïcité — débat québécois

Force est malheureusement de constater, comme je le craignais dans mon billet du 20 mars, que le projet de loi sur les «accommodements raisonnables» aura pris «les traits décevants d'une montagne accouchant d'une toute petite souris»...
Je parle du 20 mars parce qu'en entrevue à la une du Devoir, Jean Charest s'y engageait pourtant à «régler pour longtemps l'enjeu des accommodements raisonnables et de la laïcité de l'État». (...) Beaucoup plus que de simples directives édictées par les ministres concernés, c'est d'une position beaucoup plus ambitieuse dont a parlé Jean Charest dans une entrevue accordée au Devoir. «On veut poser des gestes qui seront des gestes fondateurs, des gestes qui pourront passer le test du temps», a affirmé le premier ministre.»
Vous avez dit «gestes fondateurs»? Eh bien, désolée. À la lecture du projet de loi 94, on y trouve zéro «gestes fondateurs». Aucun. Vraiment. Aucun.
(Pour votre info: Le projet de loi s'intitule ainsi: «établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'Administration gouvernementale et dans certains établissements». Et je vous invite cordialement à le lire vous-même. Il est très court. Vous ne subirez aucune fatigue oculaire à le lire... http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-94-39-1.html
Pour la nouvelle, voir: http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/politique-quebecoise/201003/24/01-4263790-quebec-impose-des-limites-au-port-du-voile-integral.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_B4_manchettes_231_accueil_POS1
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Malgré tout, le PM parlait aujourd'hui d'un «geste législatif fort», un «geste fondamental» et d'une réponse «à un besoin de clarté». Vraiment?
La réalité est plutôt que ce projet de loi, en bonne partie, ne fait que reprendre la définition des «accommodements raisonnables» ainsi que des «balises» déjà édictées au fil d'une jurisprudence construite essentiellement par les tribunaux.
En d'autres termes, nous voguerons encore sur la vague du «cas par cas» de l'interprétatif et du hautement subjectif.
Comme «geste législatif fort et fondamental», meilleure chance la prochaine fois!
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Ce projet de loi réussit même à aller moins loin que le rapport Bouchard-Taylor. Ce qui n'est pas peu dire.
Hormis ceci: le projet de loi épouse le principe de «laïcité ouverte» si cher au rapport B&T - un principe menant à la reconnaissance de la présence du religieux dans l'espace civique.
Et un principe que l'on retrouve, sans qu'il ne soit nécessairement «nommé» ainsi, dans plusieurs pays et/ou régions de tradition anglo-saxonne, comme le Canada-anglais, les États-Unis, la Grande-Bretagne, etc... Bref, pas de vision «républicaine» ici...
Aussi un principe où, sous prétexte d'«ouverture» et de «pluralisme» - comme si le mot «pluralisme» n'avait qu'une seule définition -, on encourage en fait la multiplication des communautarismes culturels, ethniques ou religieux.
En d'autres termes, à quelques détails près, on dirait un projet de loi rédigé par des juges de la Cour suprême...
D'ailleurs, en conférence de presse, M. Charest peinait à répondre aux questions portant sur des exemples envoyés par les journalistes au «cas par cas». Au point où il est allé jusqu'à ressortir le concept hautement controversé de «croyance sincère» concocté par la Cour suprême comme «balise» d'interprétation lorsque des accommodements de nature religieuse sont demandés. À une exception près: cette «pratique d'application générale» voulant qu'une personne donnant ou recevant un service public le fasse «à visage découvert».
Donc, sans niqab, ni burqa. (Quoique dans les faits, le projet de loi parle encore d'«accommodements» pouvant toujours être demandés sur cette question, lesquels seraient «refusés» «si des motifs liés à la sécurité, à la communication ou à l'identification le justifient».
Une formidable diversion:
Et ici, on mesure mieux à quel point cette question du niqab récemment ultra médiatisée sous toutes ses coutures, aura eu comme effet de créer une formidable diversion par rapport aux questions de fond comme, disons, une Charte de la laïcité, le port des signes religieux ostentatoires dans la fonction publique, et tutti quanti.
En offrant comme seule mesure explicite celle touchant les niqab et les burqa, quoique sans les nommer, ce projet de loi aura réussi à braquer les projecteurs sur l'accessoire plutôt que sur l'essentiel. Du moins, dans un premier temps...
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Bref, ce projet de loi ultra minimaliste n'apporte à peu près rien de neuf. Zéro «geste fondateur».
Pis encore, comme le notait la députée péquiste Véronique Hivon, «le projet de loi fait référence au concept de neutralité de l'État avec la religion en se référant à la Charte québécoise des droits et libertés. Or, la charte québécoise ne fait pas mention du principe de neutralité.» Un détail...
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En passant, le concept de «neutralité de l'État» ne devrait pas être confondu avec le concept nettement plus strict de «laïcité de l'État»... Un concept qui ne s'applique nullement encore au Québec. C'est assez évident.
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Gouverner ou «passer le test» des chartes?
Force est aussi de constater, une fois de plus, la difficulté croissante des gouvernements au Canada à penser le bien commun et la gouvernance sans chercher à projeter ce qu'ils «croient» que les juges de la Cour suprême pourraient un jour statuer, ou non, sur une loi qu'ils voudraient adopter! Ouf...
Résultat: l'objectif unique est devenu de «passer le test» des chartes - ou plus précisément celui de l'interprétation qu'en font les cours - plutôt que de réfléchir à ce qui serait nécessaire dans l'intérêt public.
Bref, on constate depuis l'adoption de la Charte canadienne des droits en 1982, une érosion croissante de la souveraineté des parlements face aux tribunaux. Mais une érosion que les parlementaires semblent vouloir s'imposer eux-mêmes sans prendre conscience des conséquences néfastes sur leur propre capacité de gouverner.
Un exemple parmi d'autres: cette peur bleue et irrationnelle qu'ont développée les gouvernements quant au recours à la clause dérogatoire lorsqu'il serait pourtant nécessaire de le faire.
Le paradoxe étant que cette clause est incluse dans les chartes, et est donc parfaitement légale, légitime et constitutionnelle. Et le drame étant que cette clause fut justement incluse dans les chartes pour PROTÉGER la souveraineté des parlements face aux tribunaux - une souveraineté dont les élus ne semblent même plus vouloir vraiment préserver...
Un projet de loi «trop mince»:
Le Parti québécois, l'ADQ et Québec solidaire sortent également très déçus de la lecture de ce projet de loi.
En point de presse, Amir Khadir faisait quelques observations.
Constatant que le projet de loi est «trop mince pour assurer l'égalité entre les hommes et les femmes, trop mince pour nous assurer aussi de la laïcité, c'est-à-dire la neutralité de l'État vis-à-vis des institutions religieuses», il soulignait la nécessité d'adopter de vraies balises.
Et de poursuivre: «Par exemple, pour préserver l'image de neutralité de l'État, une balise très, très raisonnable aurait été d'interdire le port des signes religieux ostentatoires aux détenteurs des postes dans la fonction publique ou dans les fonctions qui représentent l'État, les postes qui sont d'autorité, par exemple des policiers, les juges ou autres agents de la paix.» (Ce qui, en passant, était recommandé par le rapport Bouchard-Taylor).
Et de souligner qu'en fait, le vrai débat reste encore à faire: «C'est mince et ça ne nous dispense certainement pas de la nécessité de nous entendre une fois pour toutes au Québec sur les principes de la laïcité et de définir les applications de ces principes dans le contexte québécois.»
Et d'apporter un argument assez fondamental: «(...) le gouvernement ne peut pas prétendre respecter la laïcité de l'État (...) puis en même temps continuer à subventionner les écoles privées religieuses, ce que le gouvernement fait.
Le gouvernement est même allé aussi loin que d'accorder des accommodements tout à fait déraisonnables à cette école religieuse des ultra-orthodoxes juifs de la région de Montréal. Donc, dans ce contexte-là, il y a un souci de cohérence qui n'est pas là, et, si le gouvernement n'est pas cohérent, le gouvernement et nos institutions prêtent flanc à toutes sortes de tensions qu'on a vu surgir à différentes occasions au cours des trois, quatre dernières années. (...)
Donc, le gouvernement doit être plus actif pour assurer sa neutralité, mais également pour assurer l'égalité des hommes et des femmes lorsque cette égalité est menacée par, disons, les interprétations fondamentalistes, les interprétations ultra-orthodoxes des différentes religions qui font jusqu'à l'intégrisme.»
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Le problème étant que le projet de loi 94 est à des lunes d'une telle vision.
Surtout avec un premier ministre capable de se montrer particulièrement «accommodant» quant à la place du religieux dans l'espace civique.
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@ Dessin: http://www.renartleveille.com/


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