Le peuple québécois a mille qualités et mille défauts.
Parmi les premières, on trouve cette spontanéité remarquable qui fait vite tomber la distance sociale. Il y a chez nous une grande convivialité. Mettez quelques Québécois ensemble, ils sauront vite faire la fête. Ils ne se compliqueront pas la vie. Ils ne s’encombreront pas de trop pesantes manières. Gilles Vigneault a chanté nos vertus.
Parmi les seconds, on trouve inversement une familiarité presque excessive, qui devient vite agressante : deux personnes viennent à peine de se rencontrer qu’elles font comme si elles se connaissaient depuis mille ans. Comme on dit, ils font comme s’ils avaient gardé les cochons ensemble !
Vouvoiement
Cet étrange trait culturel se révèle notamment dans notre rapport au vouvoiement.
C’est une réflexion que je me fais souvent : nous n’avons jamais trop su, au Québec, quoi faire du vouvoiement. On dirait qu’il vient d’un autre temps, et plusieurs rêvent de s’en débarrasser.
Deux personnes se rencontrent. Elles hésitent. Peut-être essaieront-elles de se vouvoyer un instant. En un instant, elles se délivreront de ce corset et basculeront dans une familiarité spontanée, mais illusoire.
Le problème, c’est que l’empire du tutoiement s’exerce même dans des domaines qui devraient lui résister, par exemple à l’école où la distinction entre le professeur et son élève s’efface pour que chacun joue à l’ami de l’autre.
On le voit aussi en politique. À la course à la chefferie du PQ, en 2015, les candidats se tutoyaient dans leurs débats, comme s’ils étaient dans leur cuisine à jaser de la pluie et du beau temps. Malheureuse comédie.
Mais le vouvoiement est le symbole d’une distance civilisatrice. Il témoigne d’une marque de respect. Lorsqu’on vouvoie quelqu’un, on envoie le signal qu’on connaît les codes élémentaires de la politesse.
On marque une distance entre nos rapports officiels et personnels.
Et en même temps, on se donne la possibilité de passer au tutoiement. Cela peut prendre quelques minutes, cela peut prendre quelques heures, cela peut même prendre quelques années. Ou peut-être bien n’arriver jamais.
Distance
Mais lorsque le passage a lieu, on a souvent l’impression qu’un lien véritable vient de se nouer entre deux personnes. Elles ont accepté de faire un pas de plus dans leur amitié. Il y a un bonheur à faire tomber les barrières. Mais pour cela, elles doivent exister.
Qu’on me comprenne bien. Je ne nous prends pas pour des Français. Nous n’avons pas ici l’héritage aristocratique qui a façonné une conception très structurée de la hiérarchie sociale, pour le meilleur et pour le pire.
Nous avons une autre culture, et c’est très bien ainsi. Mais il m’arrive de croire que si l’élève vouvoyait son professeur, si le vendeur vouvoyait son client, et si deux inconnus se vouvoyaient dans la rue, notre société serait un tout petit peu plus civilisée.
Et que cela ne nous ferait certainement pas de mal, dans un monde de plus en plus brutal.
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