Q: «Nous voyons sur les réseaux sociaux des patrons pour faire des masques et des personnes incitent à en fabriquer. Est-ce que des masques faits maison sont utiles pour protéger les adultes et enfants? Le directeur de la santé publique nous recommande la distanciation et le lavage de mains comme les meilleures protections. Qu’en pensent nos scientifiques ?» demande Louise Morin, de L’Ancienne-Lorette.
R: De nombreux chercheurs se sont prononcés à ce sujet dans les derniers jours. La plupart pensent qu’utiliser des masques en tissu ne peut pas nuire, et peut éventuellement être utile, ne serait-ce que pour rassurer. Plusieurs craignent cependant que les masques procurent un faux sentiment de sécurité et nous incitent à procéder moins scrupuleusement au lavage des mains et à la distanciation physique, deux mesures qui, elles, ont fait la preuve de leur très grande efficacité pour barrer la route au virus.
L’Organisation mondiale de la santé ne recommande pas le port du masque dans la communauté. Mais plusieurs pays ont révisé leurs positions ces derniers jours. L’Agence de santé publique du Canada a annoncé que ses experts sont parvenus à un consensus à l’effet que le port du masque en tissu est une mesure additionnelle appropriée lorsqu’il est difficile de respecter la distanciation sociale. Le Dr Howard Njoo, directeur adjoint de la santé publique du Canada, indique toutefois qu’il ne s’agit pas d’une recommandation, mais plutôt d’un «conseil permissif». Aux États-Unis, les Centers for Disease Control and Prevention en ont fait une recommandation plus formelle.
Mais est-ce que ces mesures vont vraiment ralentir la propagation du virus, ou vont-elles plutôt inciter les commerces à admettre plus de gens à la fois et les clients à se côtoyer d’un peu plus près, ce qui pourrait au contraire faciliter sa transmission? Et est-ce que les masques vont être portés d’une manière qui diminue vraiment les risques de s’infecter ou d’infecter les autres? Pour l’instant, personne ne le sait, pas même dans les pays où on impose le port du masque.
Le problème, c’est que même si cela semble aller de soi que mieux vaut porter un masque en tissu que rien du tout, on n’en a aucune preuve scientifique. Voilà pourquoi les autorités de santé publique avaient jusqu’à présent jugé que ce n’était pas une bonne mesure à mettre de l’avant. Mais face aux difficultés à faire respecter la distance physique dans certains lieux, comme à New York, sous la pression de la population de plus en plus anxieuse et au vu des nouvelles connaissances sur les modes de propagation du coronavirus, plusieurs ont réévalué la question.
La plupart des études existant sur les masques portent soit sur les masques chirurgicaux, dont on sait que le système de santé a un besoin vital, soit sur l’usage de masques en milieu hospitalier, où les risques de contamination sont beaucoup plus élevés que dans des commerces ou autres lieux publics, et où le personnel est formé. Porter un masque de manière efficace, ce n’est pas si évident, puisqu’il faut à la fois bien l’ajuster, ne jamais le toucher (pour le mettre, l’enlever ou le repositionner) sans avoir les mains parfaitement propres et s’assurer aussi que le masque n’est pas entré en contact avec un objet, ou une autre partie du corps (comme le cou ou le front), qui pourrait avoir été contaminé. Il faut aussi le garder propre et sec, de manière qu’il n’entrave pas la respiration et ne devienne pas un nid à microbes.
Quelques études sur le port de masques en tissu dans la communauté ont aussi été réalisées dans l’éventualité d’une pandémie de grippe. Elles ont cependant été menées avec des petits groupes de personnes, en laboratoire, avec des nébuliseurs projetant de grandes quantités de micro-organismes dans l’air. Les cobayes ont eu à porter des masques neufs sur une courte période de temps et pour réaliser un nombre limité d’activités, après avoir appris à les manipuler correctement.
Dans ce contexte, il semble clair qu’un masque en tissu maison peut retenir une partie des particules virales. Cela a notamment été démontré dans cette étude publiée en 2013 par des chercheurs britanniques sur un groupe de 21 personnes. Les chercheurs en avaient cependant conclu que le port du masque en tissu devrait être considéré comme une mesure de dernier recours uniquement pour protéger ceux qui sont en contact fréquent avec des porteurs symptomatiques. Le masque de tissu, selon leurs conclusions, n’arrête pas les aérosols pouvant éventuellement contenir des traces de virus, mais seulement les gouttelettes plus grosses émises lorsqu’une personne tousse ou éternue.
Une autre étude publiée en 2008, avec un groupe de 28 personnes, avait conclu que les masques en tissu filtrent bien les gouttelettes des autres, mais n’arrêtent à peu près pas les particules virales émises par la personne qui le porte. Les chercheurs étaient alors très prudents dans leurs conclusions, indiquant juste que «il ne peut être exclu» que la protection offerte par les masques en tissu puisse être suffisante pour avoir un impact sur la transmission d’un virus lors des premières vagues d’une pandémie. On est loin d’une certitude.
En 2015, le British Medical Journal avait publié une revue de littérature sur l’utilisation des masques dans la communauté, qui recensait essentiellement des études réalisées avec des masques chirurgicaux, souvent en combinaison avec d’autres interventions comme le lavage accru des mains. Même si les masques en tissu sont largement utilisés en Asie, peut-on y lire, on n’a pas de preuve clinique de leur efficacité.
Aucun chercheur n’a encore publié de compilation de l’ensemble de ces études pour déterminer si les masques en tissu ont une vraie chance d’être utiles dans le contexte actuel, alors qu’on applique déjà des mesures de distanciation physique et de lavage des mains accru. C’est normal, car cet exercice prend du temps.
C’est donc en faisant une revue de littérature «au jugé», et au vu des connaissances encore incomplètes sur les caractéristiques du coronavirus, que les experts de plusieurs pays estiment désormais que les masques en tissu pourraient peut-être quand même être (un peu) utiles. Il faudra cependant lancer rapidement des projets de recherche pour le vérifier. Pour l’instant, l’anxiété pousse de nombreuses personnes à vouloir à tout prix que l’on mette des masques. Le web regorge de conseils sur la manière de les fabriquer et de tests sur leur efficacité, mais rien de ceci ne constitue une preuve scientifique que cela fonctionne. D’ailleurs, il n’est pas exclu qu’au bout d’un certain temps, porter un masque soit plutôt considéré comme une corvée supplémentaire qui suscitera bien des hésitations. Espérons qu’à ce moment-là, on en saura un peu plus sur la réelle utilité de cette nouvelle contrainte...
___
La COVID-19 suscite énormément de questions. Afin de répondre au plus grand nombre, des journalistes scientifiques ont décidé d’unir leurs forces. Les médias membres de la Coopérative nationale de l’information indépendante (Le Soleil, Le Droit, La Tribune, Le Nouvelliste, Le Quotidien et La Voix de l’Est), Québec Science et le Centre Déclic s’associent pour répondre à vos questions. Vous en avez? Écrivez-nous. Ce projet est réalisé grâce à une contribution du Scientifique en chef du Québec, qui vous invite à le suivre sur Facebook, Twitter et Instagram.