L'élection de Michaëlle Jean à la tête de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a été fêtée comme une victoire à Québec et à Ottawa, où l'on avait fait campagne tambour battant en sa faveur. Mais c'est une victoire en quelque sorte empoisonnée, qui risque de nuire à la francophonie.
Mme Jean est certes une femme cultivée, polyglotte et charmante, qui s'exprime avec aisance. À première vue, on se dit que sa nomination, de même que le fait qu'elle soit la première femme à diriger l'OIF, pourrait apporter le «buzz» qui a toujours manqué à cette organisation terne, hypermasculine et bureaucratique. Mais la première impression favorable ne résiste pas à l'analyse.
Le premier effet négatif de la victoire de la candidate canadienne sera de priver l'OIF de l'apport inestimable de Clément Duhaime, qui en a été l'administrateur depuis 2005, après s'être consacré pendant 25 ans à la construction et au renforcement de la francophonie.
Son mandat venait d'être renouvelé par le secrétairegénéralsortant Abdou Diouf et devait se terminer en 2018. Mais M. Duhaime devra céder la place à un Africain, puisqu'il serait impensable que les numéros un et deux de l'OIF proviennent du même pays - qui plus est, de l'hémisphère nord, alors que l'Afrique est la force montante au sein de la francophonie.
Ce sera en quelque sorte la pire des combinaisons: en remplacement de M. Diouf, ancien premier ministre du Sénégal et figure de proue prestigieuse, une non-Africaine dépourvue d'expérience politique... et, en remplacement de M. Duhaime, un gestionnaire africain venu d'un continent qui souffre - ce n'est pas un secret - de multiples carences au niveau de la gouvernance.
Le choix de l'administrateur de l'OIF relève en principe de Mme Jean, mais on peut prévoir qu'en pratique, il fera l'objet de moult tractations entre les gouvernements africains. Il reste à voir si le futur titulaire aura la compétence de M. Duhaime. Avant le Sommet de Dakar, M. Diouf avait publiquement souhaité que M. Duhaime conserve son poste... ce qui équivalait à une prise de position contre la candidature de Mme Jean.
Ce scénario aurait été conforme à une tradition ancrée depuis 1997, qui stipule que le plus haut poste de l'OIF doit aller à un Africain tandis que l'administration doit aller à un pays du nord. Mais aucun des candidats africains n'ayant réussi à s'imposer, le président Hollande a forcé un consensus, et la couronne est allée par défaut à Mme Jean, malgré son manque total d'expérience gouvernementale ou diplomatique.
Les gouverneursgénéraux - un poste purement honorifique - ne gèrent rien du tout sauf le personnel de Rideau Hall. Pour les très rares décisions qu'ils doivent prendre, ils sont encadrés par une armada de spécialistes du droit constitutionnel. Et même s'il faut de l'entregent et une certaine finesse diplomatique pour la fonction, ce ne sont pas des diplomates de carrière.
Le premier ministre Harper, qui a laissé échapper le siège nonpermanent du conseil de sécurité de l'ONU et n'a guère de prestige sur la scène mondiale, a donc obtenu un prix de consolation, et nos gouvernements ont eu la satisfaction chauvine de voir un poste d'envergure internationale échoir à une Canado-Québécoise.
Ils n'ont pas lésiné sur les moyens pour obtenir cette petite victoire, ni d'ailleurs sur les arguments spécieux pour promouvoir la candidature de Mme Jean. La ministre des Relations internationales, Christine Saint-Pierre, est même allée jusqu'à dire que Mme Jean peut comprendre les enjeux africains parce que «ses ancêtres venaient d'Afrique» ! À ce compte-là, la plupart des Canadiens-français pourraient se piquer d'être des experts sur la Normandie puisque c'est de là que sont venus leurs aïeux!
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